Chapitre 6 - Arthur


Arthur.

La plupart du temps, quand je pense à Mia, je me rappelle toutes les choses qui nous ont déchirés et qui font de nous l'exemple parfait d'une relation sans avenir. Mais quand j'ai le malheur de songer à notre rencontre et à ce que j'ai ressenti en la voyant pour la première fois, mon cœur prend une grande secousse.

~ ~ ~

Nous avons emménagé ici, il y a sept ans, pour suivre notre père. Et pour être honnête, au début, mon frère et moi en avons énormément voulu à nos parents de nous avoir obligés à quitter notre lycée, nos amis, et ma petite copine – plutôt sympa, quoique pas transcendante quand j'y repense. Nous devions tout recommencer à zéro, sans avoir voix au chapitre.

Pendant les premières semaines d'été, mon frère et moi, en pleine crise d'adolescence, avons fait vivre l'enfer à nos parents, et toutes les excuses étaient bonnes pour quitter la nouvelle maison. Nous avions pris l'habitude de traîner dans le parc, proche de chez nous, c'est d'ailleurs là-bas que nous avons rencontré Raphaël et John pour la première fois. Nous nous rejoignions quasiment tous les jours pour faire du skate, du vélo, discuter et fumer ensemble.

Mais l'intégration a été bien moins facile pour notre mère. Elle a eu beaucoup de mal à trouver du travail. Heureusement, mon père a pu faire jouer ses nouvelles relations dans l'usine de construction de voiture réputée de la région pour lui trouver une place de secrétaire à la mairie.

Par chance, Léo et moi avons retrouvé nos deux connaissances de l'été à la rentrée scolaire, deux niveaux en dessous de nous, et peu à peu, ils nous ont présenté au monde.

Un jour, alors que nous sortions de cours pour la pause du matin, nous avons rejoint Raphaël qui parlait avec une jolie brune. Je l'ai d'abord vue de dos. Les courbes onctueuses de son corps dessinées par sa petite veste en cuir noir et son jean bleu délavé. En pleine discussion avec notre ami en commun, elle bougeait les mains dans tous les sens pour appuyer ses propos qui semblaient grandiloquents.

Arrivés à leur niveau, Léo s'est annoncé, elle s'est retournée vers nous et ça a été une grande claque. Ses grands yeux en amande se sont trimballés de Léo à moi et j'ai perdu l'usage de mon cerveau pendant plusieurs secondes.

Sa peau était claire, ses pupilles vert émeraude étaient délicatement posées sur ses joues moelleuses et sa fine bouche formait un sourire détonnant. Ses cheveux châtains étaient tenus en chignon désordonné sur le haut de son crâne. Sa poitrine généreuse était habillée d'un chemisier large avec de petits motifs cactus vert, rentré à l'intérieur de son pantalon slim, qui rappelait la couleur de ses iris.

— Les gars, je vous présente Mia, ma meilleure amie. Je ne crois pas que vous vous êtes déjà parlé.

— Non, effectivement jamais, avait rétorqué mon frère.

— Enchantée.

Alors qu'elle me regardait en souriant, je n'ai pas pu répondre tout de suite, trop absorbé par son regard enchanteur. Du haut de mes dix-sept ans, mes hormones étaient en totale ébullition et je n'arrivais plus à y faire face. La bienveillance et la joie de vivre qui se dégageaient d'elle m'ont complètement retourné.

Comme un coup de jus de dix-mille watts.

— Je suis Arthur, finis-je par balbutier.

— Tu es en quelle classe ? avait demandé Léo.

Ça m'a tout de suite déplu qu'il s'intéresse à elle. Je ne la connaissais pas, mais j'avais envie d'en apprendre plus sur elle. De parler avec jusqu'à quatre heures du matin, de devenir celui qui la ferait sourire et la rendrait heureuse.

— Je suis en seconde avec Raphaël.

— Et bien ravi de te rencontrer, Mia.

Cette première rencontre avait été brève. Elle avait dû partir, je ne l'ai pas revue tout de suite. Mais, ce jour-là, j'ai commencé à croire au coup de foudre. Celui qui vous retourne complètement et vous change à tout jamais. J'étais sûr de ne jamais avoir ressenti ça avant, et que c'était le genre de chose qui n'arrive qu'une fois dans une vie.

Quelques semaines plus tard, mon père a été invité par un collègue de travail avec qui il avait sympathisé. Je n'étais pas emballé à l'idée de m'y rendre jusqu'à ce que la brune aux yeux émeraude qui hantait mes pensées ouvre la porte, suivie de près par celui qui semblait être son père et donc le nouvel ami du mien. Ils nous avaient chaleureusement accueillis et présentés à sa femme et ses cinq filles.

Xavier nous avait alors invités à nous asseoir dans le salon et je m'étais décidé à aborder Mia, pour la première fois.

— Je ne savais pas que tu étais la fille de l'ami de mon père.

— Moi non plus, répondit-elle timidement.

— C'est cool de se voir en dehors du lycée.

Son sourire, ses yeux, sa présence, j'avais l'impression que tout m'avait manqué alors qu'elle n'était encore qu'une inconnue pour moi. Nous avons passé le reste de la soirée à discuter, de tout, et surtout de rien. En plus d'être belle à tomber, c'était une fille très intéressante, passionnée par les animaux et grande amatrice de films d'action.

Nos parents ont créé une vraie amitié, m'offrant l'occasion de me rendre chez les Gomel pour des repas, des journées piscine ou encore des soirées cinéma avec tous les adolescents réunis.

C'était devenu un rituel. Nous choisissions chacun notre tour un film à montrer aux autres, en nous bourrant de pop-corn sucré et en critiquant ouvertement les choix cinéphiles des autres. Mon frère, un grand fan de films d'horreur, ne nous avait pas épargné la projection de « Ça » dans le salon familial. C'était d'ailleurs l'une des plus belles soirées de ma vie - mais pas forcément à cause du choix douteux de Léo.

Ce soir-là, nous étions réunis dans le salon des Pietron, devant l'immense télévision qui trônait au-dessus de l'ancienne cheminée en pierre apparente. Assis sur l'immense banquette club en cuir marron vieilli, nous entendions les parents discuter et rigoler dans la cuisine et l'odeur alléchante des sucreries que nous avait préparées Marie planait dans toute la maison. Mon jumeau installait le film avec l'aide de Sophie, Daphné était en boule dans un des fauteuils et Mia s'était installée juste à côté de moi avec son éternel sourire aux lèvres.

Jusqu'à maintenant, je m'étais bien gardé de dire à mon idiot de frère ou à Raphaël que je n'arrêtait pas de penser à elle. J'avais l'impression qu'elle m'avait jeté un sort qu'il m'était impossible de rompre. Au lycée, je la cherchais dans les couloirs, et j'allais même jusqu'à me tromper de bâtiment pour la croiser entre deux cours. Si elle avait su tout ça, elle m'aurait sûrement pris pour un psychopathe en mal d'amour.

Et petit à petit, j'avais l'impression qu'un lien était en train de se tisser entre nous. Je ne sais pas vraiment ce que j'attendais pour agir. J'avais peur de tout faire capoter. Ce n'était pas n'importe quelle fille et je ne voulais pas me louper, pour pouvoir la garder près de moi pour toujours.

Ironique, n'est-ce pas ?

Une fois le film lancé, je m'étais confortablement installé dans le dossier et m'étais concentré sur l'écran. À côté de moi, Mia ne bougeait pas d'un cil, et, au début, j'étais très impressionné par son sang-froid, mais... C'était avant de remarquer qu'elle se bouchait discrètement les oreilles et avait les yeux complètement fermés. Alors, dans un élan de courage, je me suis penché vers elle et j'ai passé mon bras autour de ses épaules pour lui cacher délicatement les yeux avec ma main. Elle s'est immédiatement laissée tomber contre moi alors que je souriais comme un débile.

Nous avons passé le reste du film collé l'un à l'autre et je pouvais sentir l'odeur délicate de son shampoing à l'ananas et son petit cœur battre à tout rompre contre sa poitrine.

Et c'est grâce à ça que j'ai passé une excellente soirée.

Plusieurs jours après cet épisode, j'ai pris mon courage à deux mains et j'ai fini par lui avouer ce que je pensais, avec un nœud au ventre et des palpitations horribles. Pourtant c'était la meilleure décision de ma vie. Nous nous sommes aimés comme des fous, puis déchirés comme des idiots. Notre histoire a duré un peu moins d'un an avant de s'arrêter dans un grand fracas. Et la suite n'a pas été plus glorieuse...

La Mia du passé était un peu différente de celle de maintenant. Moins sûre d'elle, davantage discrète dans la vie de tous les jours, et un peu plus émotive. Mais au fur et à mesure des années, elle a évolué pour devenir la jeune femme pleine de fougue et de courage qu'elle est aujourd'hui.

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