Chapitre 5 - Mia


Mia.

Lorsque je sors du centre de loisirs Enfance Colorée, j'ai le sourire aux lèvres. Sophie, ma sœur, a réussi à m'obtenir un entretien d'embauche dans le centre aéré où elle travaille à chaque période de vacances depuis un an. C'est un établissement dont la réputation n'est plus à faire dans la région grâce à sa diversité d'activités extra-scolaires et culturelles, et sa qualité d'accueil.

Ils ont besoin de personnel supplémentaire pour l'été, et comme j'adore travailler avec les enfants, j'ai tout de suite accepté. Je viens de signer un contrat de vingt-cinq heures pour l'été, et je commence dès demain. Le directeur m'a fait visiter les locaux et la cour de récréation, tout en me parlant des différentes activités sportives et ateliers créatifs qu'ils proposent quotidiennement Je n'aurais pas pu rêver mieux.

Je veux devenir institutrice. Pour moi, c'est l'un des plus beaux métiers. les enseignants participent à la construction des futurs adultes et c'est tout simplement fabuleux. Si l'on veut que le monde d'aujourd'hui évolue dans la bonne direction, il faut s'adresser à la future génération et lui inculquer des valeurs encore trop fragiles à l'heure actuelle : le respect de l'autre et de la planète.

C'est madame Réjane qui m'a donné envie de m'engager dans cette voie. Elle était ma maîtresse en CM1 et venait remplacer monsieur Vanderflutt. Elle m'a tout de suite inspirée. C'est la femme la plus gentille et la plus douce que je n'ai jamais rencontré. Tout le contraire de son prédécesseur,qui était colérique et impatient.

Elle croyait dans le potentiel de chacun. Elle nous disait d'ailleurs souvent de ne pas nous comparer les uns aux autres, et que cela nous aiderait à devenir la meilleure version de nous-même. Elle accordait une attention toute particulière aux enfants considérés en échec scolaire. Elle les aidait à faire leurs devoirs après les cours et les encourageait à s'épanouir autrement qu'à travers leurs notes.

Je pense que nous avons tous des modèles, des personnes qui nous ont marqués à un moment précis de notre vie et qui nous ont inconsciemment aidés à nous construire en tant qu'individus. Madame Réjane est l'une d'entre elles. Elle était ma superhéroïne en jupe à fleurs avec de grosses lunettes en cul de bouteille et j'ai toujours voulu faire comme elle.

En attendant le moment où je pourrais réaliser ce rêve, je tente chaque été d'obtenir un travail qui ait du sens et qui m'aide à me construire un bagage solide pour ce métier qui me tient à cœur.

En sortant de mon entretien d'embauche, je croise ma sœur au loin. Je ne peux pas lui parler, mais nous échangeons un regard complice. Elle lève les pouces en l'air, et semble ravie de notre future collaboration.

Je prends ensuite la route pour rejoindre mon meilleur ami à notre spot favori, à la sortie du village, en plein milieu d'une forêt, près d'un ruisseau. C'est un endroit peu connu, très tranquille. Le petit cours d'eau, qui ne fait pas plus d'un mètre de large, est bordé par plusieurs bouleaux qui se transforment à chaque saison pour donner un côté magique à ce lieu. Et l'été, c'est l'emplacement parfait pour se prélasser à l'ombre, bercé par le bruit léger de l'eau qui glisse contre les rochers.

C'est pour tout ça que nous aimons nous retrouver ici, sur cette vieille table en pierre où se trouve déjà Raphaël quand je me gare près de sa nouvelle moto flambant neuve. Il m'attend avec un sac de fast food à ses côtés, et, quand il m'entend arriver, il se tourne pour me sourire.

— Tu as devant toi la nouvelle animatrice du centre aéré Enfance Colorée.

— Félicitations !

— Merci, dis-je en m'asseyant près de lui.

J'ouvre le sac fumant entre nous et soupire d'extase en sentant l'odeur de frites grasses et de burgers au bacon.

De par son métier, ma mère m'a appris très jeune à aimer la bonne cuisine et elle n'a jamais voulu nous acheter de "cochonneries" pendant notre enfance. Elle disait que ce n'était pas digne d'un vrai repas. En échange, nous avions le droit à des burgers gastronomiques et même s'ils sont excellents, je dois bien avouer que j'adore manger en secret ces plats gras et mauvais pour la santé en secret.

Impatiente, je m'attaque directement à mon hamburger pendant que Raphaël rajoute une couche de sauce sur le sien.

— Tu racontes quoi ? demandé-je la bouche pleine.

— Stella m'a contacté tout à l'heure.

Je soupire en pensant à elle. Elle fait partie des gens que je me suis fait un plaisir d'oublier, et le sourire de Raphaël ne me dit rien qui vaille. Elle a été sa petite amie pendant tout le lycée et il était fou d'elle. Alors, quand elle en a décidé autrement j'ai dû l'aider à remonter la pente. J'ai peur qu'il retourne dans ses bras et qu'il souffre à nouveau. D'après moi, cette fille n'est pas faite pour lui, elle lui a fait beaucoup de mal. Pourtant, nous nous sommes promis de ne jamais interférer dans la vie amoureuse de l'autre. Je n'ai aucun droit sur son choix de petites-amies et même si je considère que cette fille ne le mérite pas, je n'ai pas mon mot à dire. Il sait pertinemment ce que je pense d'elle, mais s'il considère qu'il n'a pas terminé son histoire avec elle, alors il doit tenter le coup. Raphaël est un grand garçon, il peut prendre seul ses décisions, et il sait que je le rattraperai toujours quoi qu'il arrive.

Cette règle a été instaurée à l'âge de nos dix ans, quand nous avons commencé à avoir des amoureux respectifs. Elle est arrivée juste après notre règle sur l'honnêteté absolue et juste avant celle qui oblige chacune des parties à partager son goûter quand celui de l'autre n'est pas à la hauteur.

Ce règlement était un moyen de continuer à entretenir une relation amicale saine, sans aucune ambigüité et durable dans le temps. Et même si nous nous sommes pris la tête parfois, je suis heureuse de pouvoir dire que notre amitié, vieille de vingt-et-un ans, est indéfectible.

Je m'essuie le coin de la bouche avant de lui demander, calmement :

— Qu'est-ce qu'elle voulait ?

— Savoir si j'étais de retour en ville.

— J'espère que tu lui as dit non.

Je lui lance un faux-sourire plein de sens pour lui faire comprendre que je n'approuve pas.

— Elle organise une soirée retrouvailles vendredi. Et je veux que tu viennes avec moi.

— Pitié, non.

— Si, j'ai besoin de toi comme soutien moral et je suis sûr que ça va être bien.

Après une moue peu convaincante et plusieurs arguments bancals, je finis par accepter. Je peux bien faire ça pour lui et puis, au fond, je sais que je vais m'amuser. Je trouverai bien quelqu'un avec qui parler une fois qu'il m'aura lâchement abandonnée pour visiter la chambre de Stella.

La connaissant, la plupart des jeunes du village seront présents et revoir mes anciens camarades de classe me tente bien. Peut-être qu'il y aura Medhi ou Léo, même si se sont plus des amis de Daphné à présent. A une période, nous étions tous amis et on formait un groupe plutôt soudé. On se rejoignait souvent pour passer du temps ensemble. Mais ça, c'était avant que l'on foute tout en l'air avec Arthur. En plus d'avoir perdu un homme que j'aimais sincèrement, nous avons mis à mal une team d'enfer. Maintenant, ils essaient de nous voir séparément et il y a un énorme malaise quand ils nous voient dans la même pièce. Ils ont beau faire semblant que tout va bien, je n'invente pas leurs regards.

J'ai promis à tout le monde de ne pas faire tout un plat de la présence d'Arthur dans les bureaux de XAB, mais j'ai de plus en plus de mal à contenir mes émotions. Même si je ne ressens plus une once d'amour pour lui, je me suis fait la promesse de ne plus jamais le laisser m'atteindre. Et pour ça je dois rester le plus loin de lui, ne pas lui parler, ni réagir à ses blagues.

Il dit qu'il essaye d'enterrer la hache de guerre, mais je ne suis pas sûre d'en avoir envie car cela voudrait dire baisser les armes et être à nouveau vulnérable.

Et ça, c'est hors de question.

Alors que je rumine pour la centième fois la même histoire en grignotant des frites sans grande conviction, mon meilleur ami m'observe et semble essayer de déchiffrer mes pensées. Il a fini son repas et met tous les papiers imbibés de gras dans le sac en carton.

— Tu veux qu'on parle de ce qui te tracasse ?

— Non. Apparemment, je surréagis.

— Et comment ça se passe ?

— Je l'ignore. D'ailleurs merci de m'avoir tenu au courant, ironisé-je.

— Au bar, tu m'as dit que c'était du passé.

— Oui, et c'est vrai. Mais il y a une différence entre le croiser au bar et le voir tous les jours dans ma cuisine.

— Je n'étais pas au courant avant samedi soir. J'aurais dû t'envoyer un message. Je suis désolé.

— Ce n'est pas grave...

— Tu sais que si tu en as besoin, moi ça ne me dérange pas d'en parler.

— Merci, j'y penserai.

Raphaël est le seul qui sait absolument tout sur notre histoire. Plusieurs fois, j'ai senti le besoin de me confier à quelqu'un et il a été là pour moi. Il m'a toujours écouté sans me juger. Il est donc le mieux placé pour comprendre mon comportement face à Arthur.

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