Chapitre 4 - Arthur
Arthur.
Ici, le travail est intense et je n'ai absolument pas le temps de m'ennuyer. En seulement trois jours, j'ai eu l'occasion de suivre Xavier et mon père à plusieurs rendez-vous et ils m'ont transmis énormément de leurs connaissances. L'entrevue avec Sunset Eco arrive à grands pas et je passe une bonne partie de mes journées à travailler sur leur dossier. À côté de ça, j'aide également Xavier sur la création d'une nouvelle pompe hydraulique sur mesure.
Je suis amateur de mécanique depuis tout petit. Tout a commencé par mon envie de tout démonter pour comprendre le fonctionnement des objets qui m'entouraient. Mes parents se rappellent encore de leur poste radio de l'époque qui avait fini en petites pièces sur le sol du salon.
Car oui, au début je n'étais pas vraiment en mesure de tout remonter par la suite, ce qui m'a valu quelques petits soucis. Ma mère m'interdisait de toucher à nos électroménagers et, pour essayer de me canaliser, mon père me proposait de l'aider à construire des inventions farfelues avec lui. Nous nous enfermions dans le garage, et je pouvais extérioriser toute cette curiosité qui fourmille dans chacun de mes doigts. Contrairement à mon frère qui ne s'y intéressait pas du tout, je pouvais passer des journées entières à monter et démonter des robots télécommandés ou de vieilles cafetières.
Et c'est sûrement grâce à mon père et ses gadgets que j'ai su très tôt ce que je voulais faire de ma vie et que j'ai orienté mes études vers le génie-mécanique.
Ce qui me plait le plus dans ce métier c'est de créer un produit en partant de rien. Tout commence par une idée, un plan. Puis, la concrétisation de celui-ci grâce au travail acharné d'une multitude de personnes ayant comme objectif commun de faire vivre cette nouvelle machine dans le domaine de la santé, de l'environnement ou celui de la manufacture. Alors oui, certains trouveront que construire un automate pour boucher des tubes de crème solaire est barbant, mais moi, ça me passionne.
Je suis devant mon écran depuis presque trois heures quand j'entends la sonnerie de mon téléphone. C'est Léo qui me donne rendez-vous à la salle de sport. Je regarde ma montre et remarque qu'il est déjà dix-sept heures, et donc temps de clôturer cette journée. Je ferme mon ordinateur portable et m'étire, seul dans les locaux. Je prends ma tasse à café vide et sors silencieusement du garage en pensant déjà à ma future séance.
Une fois dans la cuisine, je dépose mon récipient dans le lave-vaisselle, quand j'entends quelqu'un derrière moi.
Plus précisément, un grognement.
Je me retourne et découvre le visage mécontent de Mia. Elle s'active alors dans un silence de plomb, dans l'idée de se préparer ce que je devine être un goûter. Les bras croisés sur la poitrine, je l'observe s'affairer autour de moi sans jamais me frôler ni me jeter un coup d'œil.
Elle est vraiment douée pour se comporter comme si je n'étais pas dans la pièce. Après tout, chacun son tour. Lors du repas de lundi, j'ai tout fait pour ne pas qu'elle sache à quel point je la trouvais sublime dans sa robe et je l'ai consciemment ignorée pendant toute la soirée. Elle bouillait de l'intérieur, c'était très plaisant à voir.
J'avais vraiment du mal à rester stoïque. Il faut dire que le jaune est vraiment une couleur qui lui va bien. Le tissu fluide tombait parfaitement sur ses hanches et s'envolait à chaque fois qu'elle faisait un mouvement. Je m'obligeais à lui tourner le dos pour ne pas en être spectateur, ni croiser son regard. Je crois qu'elle aurait tout de suite compris que tout ça n'était qu'une putain de mascarade.
Elle ouvre son goûter, froisse le plastique et se retourne vers moi. Je la bloque pour accéder à la poubelle sous le robinet, elle ne va plus pouvoir m'ignorer longtemps.
Elle fait un pas vers moi et me lance un "pousse-toi" agressif.
— Bonjour à toi aussi, Mia.
— Il est dix-sept heures passées, qu'est-ce que tu fais encore ici ?
Elle place ses poings sur ses hanches et me regarde en fronçant les sourcils comme elle le fait quand quelque chose la dérange. Je suis conscient qu'elle ne m'apprécie plus depuis longtemps, mais je remarque maintenant que je l'insupporte vraiment.
— Arrête de jouer à ça, soupiré-je. Tu n'as aucun pouvoir sur ma présence chez toi, alors pas besoin de me parler comme à une merde.
— Reste dans ton coin et tout se passera bien.
Je m'approche d'elle en la défiant du regard. Si elle croit que ses menaces ont un quelconque effet sur moi, elle se trompe. Elle va devoir apprendre à vivre avec moi sous son nez. Et plus elle me demandera de la laisser tranquille, plus j'aurais envie de la pousser à bout. C'est ce qu'on appelle la psychologie inversée. Tu me dis de ne pas me retourner pour regarder derrière moi ? Je vais faire un demi-tour dans la seconde qui suit.
— Tu n'en as pas marre d'être agressive ?
— Non. Je te déteste, Arthur Pietron. Laisse-moi tranquille. Je voudrais ne plus jamais te revoir.
— Ça t'arrive de te dire que tu n'es pas le centre de l'univers ?
— Non, jamais.
Elle me lance un sourire angélique, aussi faux qu'exaspérant, alors que je serre la mâchoire. Son petit jeu était drôle au début, mais je commence à en avoir marre. Elle veut être désagréable ? Je peux l'être aussi, mais elle n'est pas prête.
— Pauvre petite fille qui est obligée de me voir tous les jours. Tu joues très bien les martyrs...
— Et toi ? Tu as perdu la mémoire ou alors tu essaies juste de jouer la victime ? J'ai toutes les raisons du monde de t'en vouloir.
— Je suis passé à autre chose contrairement à toi qui ressasse le passé sans cesse.
J'avance encore d'un pas, elle recule d'un autre et heurte l'îlot central. Je la surplombe. Je suis en train de reprendre l'avantage et ça ne lui plait pas. Elle me pousse violemment en ripostant :
— Je suis passée à autre chose ! Pour moi, tu es mort et enterré.
— Ah bon ? Ton comportement ne dit pas la même chose.
— Tu es prétentieux ! T'es qu'un emmerdeur !
— Bon, m'exclamé-je en posant le torchon que j'avais gardé dans les mains. Ce n'est pas que je n'aime pas me chamailler avec toi, mais j'ai mieux à faire.
— Non, c'est moi qui pars !
Remontée comme un coucou, elle m'abandonne dans la cuisine pour monter dans sa chambre alors que je la suis des yeux en retenant un sourire. Aussi pénible qu'elle puisse être, je ne peux m'empêcher de la trouver mignonne quand elle boude. Je sais que j'ai réussi à la piquer au vif. Elle veut me faire croire que je l'indiffère, mais sa réaction à l'instant me prouve le contraire.
Heureusement pour moi, je risque de la recroiser souvent dans les jours à venir. Oui, je l'avoue, tout cela m'avait manqué. La mettre en rogne est l'une de mes activités favorites.
Lorsque je sors de la maison, je prends ma voiture pour me rendre à la salle de sport. Sur le parking, je rejoins Léo qui m'attend en discutant avec Mehdi, notre ami de longue date. Je leur tape dans la main et allume ma clope.
— Alors le boulot ?
— Bien, dis-je en haussant les épaules. Et toi Mehdi, tu rentres de vacances, non ?
— Oui, j'étais au soleil.
Pendant que nous fumons notre cigarette, Mehdi se lance dans un récit détaillé de son séjour aux Maldives avec ses deux cousins. Ils y ont passé deux semaines et il semblerait qu'ils soient tombés sous le charme des palmiers et des maillots de bain extra small que portent les filles. Ils ont également fait des excursions de plusieurs jours dans des paysages majestueux qu'il s'empresse de nous montrer en photos.
Une fois son incroyable récit terminé, nous écrasons notre mégot dans le cendrier et rentrons à l'intérieur du bâtiment. Après s'être rapidement changés, chacun de nous s'éparpille pour commencer son entraînement.
Contrarié par mon énième altercation avec Mia, je décide de commencer par trente minutes de tapis de courses pour me fatiguer. Je la déteste autant qu'elle me bouleverse et nos querelles deviennent pesantes au fil des années. Je voudrais juste qu'on arrive à se croiser sans se cracher à la gueule. Mais peut-être que j'en demande trop.
Ma demi-heure de footing se transforme rapidement en une heure complète. C'est seulement quand mes jambes me font mal et que je n'ai plus la force de penser que je commence à ralentir la vitesse.
J'en avais grandement besoin.
Quand je décide enfin de quitter le tapis, je passe à une séance de haut du corps. J'arrive près du banc de musculation et Mehdi s'approche de moi.
— Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu n'es pas trop cardio d'habitude.
Je soupire en l'ignorant une seconde. Je n'ai pas vraiment envie de parler de mes états d'âme, mais il me connait assez pour comprendre que quelque chose me tracasse. Je décide donc de lui répondre en plaçant les poids de chaque côté de ma barre.
— J'avais besoin de me défouler un peu.
— C'est à cause d'une fille ?
— Ce n'est pas ce que tu crois, dis-je en posant les sécurités.
— Alors c'est quoi ?
Je m'allonge et il se place derrière moi. J'attrape la barre, sur laquelle j'ai disposé quinze kilos de chaque côté, et commence quelques développés couchés.
— Mia.
— Ce n'était pas terminé tout ça ?
— Si, bien sûr. Mais je travaille pour son père, dans leur maison, alors on se croise tous les jours. Tout à l'heure, on s'est encore disputés.
— Et alors ?
Je repose la barre et me tourne vers lui. Il connaît Mia depuis plus longtemps que moi. Comme les sœurs Gomel, il est né ici et y a toujours vécu. Il nous a vus nous aimer, nous déchirer et il n'a jamais voulu prendre parti.
Peut-être par peur de me vexer.
— Ce qui m'énerve, c'est son comportement. Elle est incapable de rester dans la même pièce que moi sans être désagréable, à croire que je la répugne.
— Qu'est-ce que tu en as à faire ?
Personne n'a l'air de comprendre. Mia n'est pas seulement une ex. Je ne peux pas la rayer de ma vie et ne plus jamais penser à elle. Elle est la fille de mon patron, une amie de la famille, la sœur de ma meilleure amie et nous avons énormément d'amis en commun. Nos vies sont bien trop imbriquées l'une dans l'autre pour que ce soit facile.
— Rien. Oublie, finis-je par répondre en me recouchant sur le banc.
— Parle-lui ou ignore-la, mais passe à autre chose mec, dit-il en me tapant sur l'épaule.
L'exercice terminé, nous allons boire la fameuse bière après-séance dans un petit café du centre-ville. Alors que Léo et Mehdi s'installent en terrasse, je m'approche du comptoir pour commander nos pintes. Je place mes deux bras sur le bar, en réfléchissant à la suite de ma semaine, et j'attends que la barmaid se tourne.
— Bonjour. Qu'est-ce que je vous sers ? Arthur ! s'écrie-t-elle en me voyant.
Surpris, je me redresse face à elle et reconnais immédiatement Camille, une grande blonde aux cheveux longs, qui était elle aussi notre lycée. Elle est une amie de Daphné depuis toujours et nous avons donc souvent traîné ensemble.
— Cam ? Salut.
Elle fait le tour du comptoir, vient me sauter dans les bras et je la rattrape de justesse pour l'enlacer à mon tour. Je suis un peu décontenancé face à cet élan d'affection, mais je sais qu'elle a toujours été très extravertie.
— Mais qu'est-ce que tu fais ici ?
— Je suis rentré, j'ai fini mon Master. Je travaille pour mon père et toi ?
Elle se place en face de moi en souriant. Nous n'avons jamais été très proches, mais je suis content de voir une tête familière.
— Comme tu peux le voir, je suis barmaid. Après avoir fait un an à la fac, j'ai compris que ce n'était pas fait pour moi, alors je suis partie au Canada, en Thaïlande et en Afrique du Sud pour apprendre le métier. C'était un bon moyen de financer mes voyages. En tout cas c'est super de te voir ici ! Tu es avec ton frère ?
— Il est sur la terrasse, avec Mehdi.
— D'accord, n'en dis pas plus, je vous apporte trois bières.
— Merci.
De retour à notre table, j'ai à peine le temps de parler de cette rencontre impromptue, que Cam arrive déjà pour nous servir. Nous discutons quelques secondes et elle promet de nous rejoindre après son service.
La soirée se passe sans encombre et nous partageons même un très bon moment. Je décide malgré tout de rentrer aux alentours de vingt-deux heures, après quelques pintes et beaucoup trop de cigarettes.
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