Chapitre 39 - Mia
Mia.
Quand j'arrive au boulot je suis encore sur mon petit nuage. Un sourire niais plaqué sur le visage, je n'arrive plus à penser à autre chose. Ce matin, Arthur s'est éclipsé de notre maison très tôt pour ne pas être remarqué, et après son départ, je suis restée quelques minutes allongée, essayant de me rassurer sur la réalité de la situation. Il était là, nous avons passé la nuit à rattraper le temps perdu en se racontant des futilités, et il m'a promis que l'on se verrait ce soir.
J'ai du mal à ne pas crier de joie.
— Un café ? me propose Sophie, un air amusé sur le visage.
— Merci, souris-je en attrapant le gobelet qu'elle me tend.
Je m'assois près d'elle, sur l'un des bancs qui se trouve dans le hall d'accueil.
— Je n'ai pas eu le temps de m'en préparer un ce matin, j'étais un peu à la bourre, expliqué-je en buvant une première gorgée.
Il est sept heures vingt et plusieurs familles semblent déjà avoir posé leurs enfants à la garderie. À cette heure matinale, certains tentent d'obtenir des minutes de sommeil supplémentaires quand les autres se contentent de dessiner ou lire dans un calme presque inquiétant.
— Tu veux m'expliquer ce qui se passe ?
— Comment ça ?
— Je parle de ton visage. Il est bouffi et tu as d'énormes cernes.
— Trop gentil de ta part... rigolé-je.
— C'est à cause de Raph ?
— En partie, éludé-je. C'est une longue histoire.
— Une histoire en lien avec Arthur ?
— Tu es sûre de ne pas avoir des pouvoirs psychiques ?
— Non. Je te connais seulement par cœur et là tu as la tête de « Mon ex m'a appelé », se moque-t-elle.
— Oh... Je suis pathétique, hein ? soupiré-je en regardant la boisson tiède que je tiens entre mes mains.
Le sourire, que j'arborais fièrement depuis hier soir, s'efface pour laisser place à mes inquiétudes devenues bien trop familières.
— Je n'ai pas dit ça. Mais la dernière fois qu'on en a parlé c'était en mauvaise posture. Est-ce que quelque chose a changé ?
— Oui. Enfin, je crois, soufflé-je en haussant les épaules. C'est juste que... C'est nouveau et je ne sais pas vraiment si je dois me réjouir tout de suite ou non.
Quand je pense à lui, à ses baisers et à tout ce que nous nous sommes dit hier, j'ai envie de croire que le pire est derrière nous mais quand j'essaie de me demander ce que nous serons dans une semaine ou quelques mois, je n'arrive pas à croire que nous serons toujours ensemble... J'ai l'impression d'être dans un rêve, suspendu dans le temps, et que je vais me réveiller pour comprendre que tout ça n'était rien. Il a fermé la porte de ma chambre, et je me suis persuadée moi-même que tout allait bien, mais rien que d'en parler à voix haute, mes mauvaises pensées refont surface.
C'est plus fort que moi. J'ai connu ce scénario cent fois, mais cette fois nous avons vraiment discuté sans langue de bois et j'espère de tout coeur que tout le reste n'existe plus. On s'est aimés autant que l'on s'est blessés pendant beaucoup trop longtemps et nous sommes marqués à vie par notre histoire, peut-être même trop pour imaginer pouvoir reprendre notre histoire.
— Il a fait quelque chose qui te fait douter ?
— Non... Au contraire, on a mis les choses au clair pour la première fois depuis... Depuis toujours en fait.
— Alors, fais lui confiance.
— Plus facile à dire qu'à faire.
Mon cerveau et mon cœur ne sont pas d'accord sur le sujet.
— Ecoute, c'est normal que tu y ailles doucement, mais ne t'empêche pas d'être heureuse avec Arthur. Dis-toi que c'est un test et si ça ne marche pas, alors tu auras tout tenté. Et s'il joue encore au con, moi j'irai lui régler son compte. Ok ?
— Oui, affirmé-je alors que l'un de nos collègues tape dans les mains pour faire rentrer les gamins-zombies. Merci de m'avoir écoutée.
— Je serais toujours là, sourit-elle.
Sophie et moi finissons notre café presque froid avant de s'approcher du troupeau qui est en train de se former. Je me pare à nouveau de mon sourire en essayant de faire abstraction du beau blond qui monopolise toutes mes pensées.
Malgré tous mes efforts, des images de lui m'ont accompagnée toute la journée et son odeur a même imprégné les coussins de ma chambre ou je me suis échouée en rentrant du travail. Mon cœur est en train de gagner la partie au grand dam de mon cerveau qui ne cesse de me répéter que je fonce droit dans un mur.
Après une petite sieste réparatrice, je descends pour chercher une boisson dans la cuisine, et une large main s'enroule autour de mon bras. Je me retrouve rapidement projetée contre un torse que je reconnais immédiatement en émettant un petit cri aigu.
— Salut, murmure-t-il pendant que nos nez se rencontrent.
Je lève les yeux vers le visage de mon pseudo-agresseur qui semble ravi de son petit effet.
— Tu es sûr que c'est une bonne idée de se voir en plein milieu de ma maison ?
— Il n'y a personne à part toi et moi, continue-t-il en se baissant pour m'embrasser.
Je ferme les paupières et profite de cette étreinte dont j'ai rêvé une grande partie de la journée. Arthur resserre sa prise et nos corps se moulent l'un à l'autre, comme si nous étions deux pièces d'un puzzle séparées depuis trop longtemps.
— Tu n'es pas censé travailler ?
— Si, mais j'avais une bonne nouvelle et je voulais te prévenir que ce soir je t'embarque pour tout le week-end.
— Tu m'embarques ? répété-je en me suspendant à sa nuque.
— Loin d'ici, sourit-il en accompagnant son discours d'un léger baiser.
— C'est très gentil de vouloir faire ça mais... Je ne peux pas. Je veux dire, je n'ai prévenu personne et...
— ... Je te ramènerai ici dans trente-six heures, me coupe-t-il. C'est promis. Quarante tout au plus. Je veux te prouver que tout ce que je t'ai dit ne sont pas que des paroles en l'air. Pars avec moi, et essayons de recoller les morceaux, ailleurs que dans cet environnement qui nous a vu souffrir.
Il plonge ses pupilles azur dans les miennes et je ne peux pas m'empêcher de sourire. Sa proposition me séduit et le fait qu'il veuille me prouver les choses encore plus. C'est un peu comme s'il avait lu dans mes pensées et essayait de me rassurer. C'est exactement ce dont j'ai besoin.
— Je veux que tu prépares un sac avec un maillot de bain, une jolie robe et un gilet.
— C'est tout ? ricané-je.
— Tu n'auras pas besoin de plus. Rendez-vous à dix-huit heures dans la rue.
Incapable de lui dire non, je hoche la tête et il dépose ses lèvres sur les miennes avant de repartir dans les bureaux de XAB, me laissant seule et béate. Une sensation de manque m'envahit déjà et je ne pense plus à rien à part cette liste : un maillot de bain, une jolie robe et un gilet.
Le connaissant, le bikini était inévitable. Nous allons dans un endroit proche de l'eau. Peut-être un hôtel avec piscine ? Un lac ? Non. ça ne sert à rien que je commence à spéculer, c'est une surprise mais ça va être génial.
~ ~ ~
Il est actuellement dix-sept heures cinquante-six et je ne tiens plus en place. Je ne suis pas une grande sportive mais je suis à deux doigts de partir faire un footing pour me délester de ce trop-plein d'énergie, si seulement je n'avais pas peur de rater ce rendez-vous.
Cinquante-huit. Plus que deux minutes avant la consécration. Je dévale l'escalier à toute allure et sort de la maison, veste et sac en main. Je ne me préoccupe pas de savoir si quelqu'un remarque mon départ et je continue d'avancer, en courant, jusqu'à la silhouette imposante d'Arthur.
Debout, les mains dans les poches, il arbore un sourire satisfait. Derrière lui, un très vieux camping-car est garé dans la rue. Je remarque que la peinture craquelle à plusieurs endroits, les fenêtres sont jaunies, et je suis sûre d'une chose, je n'ai jamais vu ce véhicule de ma vie.
— Arthur ? Qu'est-ce que c'est ? dis-je en fronçant les sourcils.
— C'est ma surprise.
— Il appartient à qui ?
— La mère de Mehdi l'a acheté il y a quelques années pour faire un tour d'Europe qui est toujours au stade de projet. Alors je lui emprunte, avec son accord.
— On va dormir dedans ?
— Effectivement, c'est le but. Il est plus confortable que ma Clio. Tu es prête ?
Mon gros sac de voyage sur l'épaule, j'acquiesce, impatiente de m'enfuir avec lui. Je n'ai pas réussi à me décider sur une seule tenue et j'ai pris plusieurs options pour être sûre que tout soit parfait. En voyant mon paquetage, Arthur hausse un sourcil et l'attrape pour le placer à l'avant du véhicule. Je le suis en essayant de faire fuir ce sentiment d'appréhension et d'excitation qui monte en moi. Il ouvre la porte passager et fait une révérence en m'invitant à entrer.
J'attrape fermement la poignée et fait une grande enjambée pour grimper les deux marches de l'imposante maison sur roue. Mon chauffeur fait le tour et s'assit face au volant.
— C'est parti, dit-il en allumant le moteur.
Nous quittons la rue, je me contente de sourire en silence. Arthur glisse doucement sa main sur ma cuisse et je tourne le visage vers lui. J'ai l'impression de rêver, que tout ceci n'existe pas. Nous sommes ensemble, assis l'un à côté de l'autre sans crier, sans pleurer, sans se détester et ça fait du bien...
Nous roulons silencieusement jusqu'à la sortie de la ville, et nous nous insérons sur une route que j'ai du mal à reconnaître. Du coin de l'œil, je regarde Arthur qui pince les lèvres en réprimant un sourire.
— Bon, tu comptes me dire où nous allons ?
— Non.
— Et ce qu'on va faire ?
— Non plus et tu vas devoir être patiente car je ne dirais rien, rigole-t-il en appuyant sur la radio se met à jouer une chanson de The Lumineers.
Pack yourself a toothbrush dear
Pack yourself a favorite blouse
Take a withdrawal slip, take all of your savings out
Cause if we don't leave this town
We might never make it out
I was not born to drown, baby come on
[Emporte une brosse à dents, chérie / Emporte ton chemisier préféré / Prends ton ticket de retrait, retire toutes tes économies / Car si on ne quitte pas cette ville / On ne pourra peut-être jamais s'en sortir]
Bercée par la douce mélodie qui résonne dans l'habitacle, je ferme les yeux et m'enfonce au fond de mon siège en poussant un soupir d'aise. Je ne sais toujours pas ce qui m'attends mais j'ai la sensation que quoi qu'il arrive, ce week-end marquera un tournant dans notre vie.
Quand je reprends petit à petit mes esprits, je remarque que le camping-car est immobile. Je papillonne plusieurs fois des yeux avant de me rendre compte que nous sommes garés sur un parking pratiquement vide. Je ne me suis même pas sentie m'endormir. Je tourne la tête, je remarque qu'Arthur n'est plus là. En me relevant, mon corps est tout endolori par mon sommeil improvisé en position mi-assise mi-couchée. J'ouvre la porte passagère et l'air iodé vient immédiatement me chatouiller les narines, accompagné par un bruit sourd de vagues. Nous sommes près d'une dune de sable. Elle est parsemée de petits buissons de plantes grasses et une mouette vient me survoler en faisant son cri caractéristique.
La mer. Il m'a emmené en bord de mer et je crois qu'il n'aurait pas pu choisir meilleur endroit.
— J'allais justement venir te réveiller.
Je pivote vers la voix qui sort d'entre les dunes et l'observe s'approcher en époussetant ses mains. Il est vraiment beau et je réalise la chance que j'ai de me trouver ici, avec celui qui m'a hanté pendant des années, pour qui j'ai versé un nombre incommensurable de larmes et qui, sept ans plus tard, est toujours là.
Arrivé à ma hauteur, il me presse contre lui en déposant un baiser sur ma tempe.
— Tu es pile à l'heure pour ma première surprise.
— Être ici est déjà une surprise.
— Suis moi, annonce-t-il en prenant mon poignet pour me guider sur le petit chemin en bois qui traverse les montagnes sableuses.
Plus nous progressons, plus j'entends les rouleaux qui s'échouent sur le bord dans un murmure apaisant. Quelques personnes se baladent encore pieds nus. Une famille est toujours installée sur leur serviette en essayant de grappiller les derniers rayons du soleil. J'aperçois une nappe bordeaux où sont disposées quelques boîtes ainsi qu'un sac à dos et mon guide me tire jusqu'à ce qui semble être notre point de rendez-vous.
— Tu es sérieux ? rigolé-je en le voyant sortir une bouteille de son sac.
— Quoi ?
— Du champagne ?
— Oui, dit-il fièrement. Je veux que cette soirée soit inoubliable.
— Tu n'aurais pas dû.
— Bien sûr que si, murmure-t-il en m'embrassant tendrement. Ce n'est pas tous les jours que je renoue avec toi. Viens t'asseoir.
Je m'agenouille à ses côtés et Arthur attrape la première boîte en aluminium en me tendant un rouleau de printemps très appétissant. Je le remercie et croque dedans après l'avoir trempé dans la sauce. Mon complice me fait la présentation des différents mets qu'il a proposé. Les nems, le porc au caramel, la soupe miso, tout est parfait. J'ai imaginé tellement souvent comment se passeraient nos retrouvailles, pourtant la réalité est encore meilleure. Nos échanges sont fluides, nos gestes d'affections doux et légers, et j'ai l'impression de ne jamais l'avoir quitté.
Les derniers rayons du soleil terminent bientôt leur descente derrière les dunes, laissant place à l'obscurité et la fraîcheur des soirs d'été. Arthur se penche alors vers moi et pose délicatement sa veste sur mes épaules.
— Ça aurait été tellement plus simple si on s'était dit les choses plus tôt, murmuré-je avant de blottir ma tête au creux de son cou.
Il hoche doucement la tête avant de me serrer fort contre lui. Je glisse ma main par-dessus la sienne pour entrelacer nos doigts. Nous restons un long moment immobile, bercé par le doux bruit des vagues avant qu'il ne se décide à prendre la parole.
— Du sérieux ? demande-t-il.
— Si c'est ce que tu veux aussi.
— Je veux nous donner la chance qu'on aurait dû avoir il y a longtemps.
— Moi aussi, dis-je en essayant de contrôler ma voix teintée d'émotions. J'ai peur d'à peu près tout ce qui pourrait mal se passer, mais si on n'essaye pas, on va le regretter.
— On va y aller étape par étape.
Quand nous partons nous coucher, je me sens plus sereine. Pour la première fois depuis longtemps, je me sens apaisée et j'ai l'impression d'avoir retrouvé une partie de moi. Je ne pense plus à toutes les raisons qui ont rendu nos rapports si compliqués. Aujourd'hui il n'y a personne pour nous dire si ce que nous ressentons est légitime ou sain, mais seulement notre amour meurtri qui reprend enfin son droit.
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