Chapitre 38 - Arthur
Arthur.
Je pose une à une les assiettes sales dans le lave-vaisselle de la cuisine. Ce repas est éprouvant, dans tous les sens du terme, et je me suis porté volontaire pour m'éclipser de cette ambiance un peu étouffante. Je transpire, mes mains tremblent, et la lumière et les bruits de couverts sont une vraie torture. Mon corps entier me fait souffrir, il essaie comme il peut de faire disparaître les restes de ce que je lui ai fait endurer la veille, mais s'il y a bien une chose qu'il n'arrive pas à atténuer, c'est mon sentiment de culpabilité.
Hier, j'ai été le roi des abrutis. La soirée commençait pourtant normalement, j'ai bu quelques bières avec Léo et Mehdi, mais ils m'ont abandonné aux alentours de vingt-et-une heures. Mon frère devait rejoindre Daphné et notre ami avait un rendez-vous Tinder « sans attaches » qu'il attendait avec impatience, alors je me suis retrouvé tout seul pendant qu'ils passaient un bon moment avec des filles géniales. Moi, la seule avec qui je voulais vraiment être, venait de me raccrocher au nez. J'étais sûr que je l'avais perdue pour de bon, alors j'ai bu un autre verre, puis les suivants.
Pour la énième fois depuis le début du dîner, je me serre un grand verre d'eau en croyant dur comme fer à ses pouvoirs de guérison. Je ne me suis jamais senti aussi minable qu'aujourd'hui et à chaque fois que je regarde Mia de l'autre côté de la table, ça me rappelle à quel point elle mérite mieux.
Je soupire en reposant le récipient près du robinet et entends un bruit de pas derrière moi. Quand je me retourne, ma mère avance vers moi avec une moue contrariée. Elle semble deviner que quelque chose me tracasse.
— Ça va mon grand ? demande-t-elle en posant sa main sur mon épaule.
Je lui lance un léger sourire en guise de réponse et mon regard se dirige vers la fenêtre qui donne sur la terrasse. Mia est en train de jouer avec Raphaël sur la balançoire au fond du jardin. Son sourire illumine son doux visage et ses cheveux ondulés volent dans tous les sens au même rythme que sa robe bleu ciel qui dévoilent ses cuisses à chaque nouveau mouvement.
Tout ça commence à me peser, Je dois lui parler et essayer d'arranger les choses. Seulement, je me sens totalement démuni. J'ai l'impression que notre relation est trop abîmée pour pouvoir être réparée.
— Qu'est qui se passe avec Mia ? continue-t-elle.
— J'ai peur de tout gâcher, comme d'habitude. A moins que ce soit déjà trop tard...
Je me contente de soupirer en fixant l'endroit où celle qui monopolise toutes mes pensées vient à peine de disparaître. Quand elle n'est pas là, je ressens un manque dans tout mon être et même après des années je ne m'habitue pas à cette désagréable sensation qui me broie de l'intérieur.
— Je sais que tu ne veux pas avoir cette discussion mais... Mia est une fille géniale et je sais que tu l'aimes beaucoup. Il suffit que tu arrêtes d'avoir peur.
— Maman, grogné-je en me tournant vers elle. Ce n'est pas si facile. Je ne suis pas sûr qu'elle veuille encore de moi...
— Tu dois lui montrer qu'elle peut avoir confiance en toi. Prouve-lui que tu as changé et à quel point elle compte pour toi.
— Comment tu sais tout ça ?
— Je suis ta mère, me sourit-elle en me serrant contre elle. Je vous ai mis au monde, ton frère et toi, alors je sais reconnaître quand vous êtes épris d'une fille.
— Alors tu sais aussi pour Léo ?
— Oui, ce n'était pas difficile à deviner, dit-elle en haussant les épaules.
— Il va être déçu, lui qui prépare un discours depuis deux jours, ricané-je.
— Arthur, continue-t-elle, prenant un air grave. Ne gâchez pas ce que vous avez. Un amour comme celui-ci, il faut en prendre soin.
— Merci maman, dis-je en lui faisant un baiser sur la joue.
C'est bien connu, les mamans sont toujours de bons conseils, et la mienne ne fait pas exception. Elle a toujours été une personne sur qui j'ai pu compter, et qui est toujours là pour écouter mes doutes et mes angoisses. Je veux commencer un nouveau chapitre de notre histoire, sur une page encore vierge et pour ça il est sûrement préférable de ne pas le faire ici.
Je dois lui montrer ce que je peux lui offrir.
Ma mère me fait un petit signe de la tête et nous rejoignons la terrasse. Il est vingt-et-une heures trente et le soleil a commencé sa descente à travers les arbres. Marie a allumé des bougies à la citronnelle et tout le monde boit un café en discutant.
— Ma mère arrive dans quelques jours, explique Xavier. Elle va rester avec nous pendant deux semaines pour profiter de ses petites filles.
Je tente de m'asseoir sans attirer l'attention et croise inévitablement les yeux émeraudes dont je rêve depuis des jours. Je me sens incapable de détourner la tête. J'attends de pouvoir lui parler depuis le début de cette soirée et cela devient interminable.
— La cousine des jumeaux sera aussi dans le coin, explique ma mère. On vous invitera, elle sera ravie de vous revoir.
Au loin j'entends encore la discussion des parents mais, dans mon esprit, il n'y a plus une seule chose qui compte. Mia me fait un petit signe de la tête avant de sortir son téléphone et pianoter sur l'écran. Le mien sonne et je le sors à toute vitesse.
[Dans ma chambre
dans vingt minutes ?]
Je relève la tête et la secoue vigoureusement ce qui lui tire un petit sourire qu'elle essaie de contenir.
— Bon, il est l'heure que je vous laisse, annonce Raphaël, en tapant dans ses mains.
— Tu es sûr de ne pas vouloir rester dormir ? s'inquiète Marie. Ton lit n'est toujours pas défait.
— J'en suis sûr. Merci pour tout.
— C'est toujours un plaisir de t'avoir.
Mia et Raphaël se relèvent et ils s'éclipsent après un dernier mouvement de main. Je regarde l'heure sur ma montre et calcule rapidement le moment où je dois rejoindre Mia.
Quand les vingt plus longues minutes de ma vie se sont enfin écoulés, je prétexte une grande fatigue et quitte l'assemblée en essayant de ne pas me précipiter à l'étage. Arrivé en haut de l'escalier, je toque à la porte en prenant une grande inspiration. Lorsque j'entends un léger « entre », je m'insère dans la pièce et ferme le battant pour me retrouver face à Mia, debout au milieu de la pièce. Le matelas gonflable de Raph est toujours sur le sol, et plusieurs coussins sont empilés sur son lit en bois.
Elle a troqué sa jolie robe contre un débardeur en coton et un short de pyjama gris. Elle a noué ses cheveux de son célèbre chignon désordonné au sommet du crâne et quelques mèches rebelles virevoltent tout autour de son visage. Ses mains jointes devant elle, elle s'acharne sur le rebord de son tee-shirt et je sais qu'elle a tendance à faire ce geste quand elle est nerveuse.
— Ça va ? demandé-je, mal à l'aise.
— Oui, mais c'est plutôt à toi qu'il faut poser la question.
— Je suis vraiment désolé, Mia... Pour tout.
— Arrête de t'excuser, ronchonne-t-elle, en s'approchant de moi.
— Dans ce cas, je ne sais plus quoi faire d'autre, soufflé-je en m'appuyant contre son armoire.
J'ai redouté ce moment tout le repas mais je n'ai pas le choix, je dois me confronter à elle.
— J'en avais marre de te mentir. Si je t'ai tout raconté, c'est pour qu'on puisse justement partir sur de nouvelles bases. Parce que je veux vraiment être avec toi mais j'ai l'impression d'avoir tout gâché.
— Arthur... tout ce que je t'ai dit hier est vrai. J'ai peur et je t'en veux d'avoir tout gâché entre nous.
— Je sais, murmuré-je dans ma barbe, les yeux rivés sur mes pieds. J'ai déconné.
— Mais le vrai problème, c'est que toi et moi, on ne se dit pas les choses. Tu crois être responsable et je sais que j'ai joué un rôle important dans notre rupture.
— Non. Tu n'y es absolument pour rien, la contré-je, en faisant un pas vers elle.
Elle place sa main devant elle plongeant son regard dans le mien. Son air déterminé me dissuade d'avancer plus et je m'immobilise alors qu'elle cherche à me dire quelque chose. J'examine chaque mimique de son visage en restant prudent sur la suite que va prendre cette discussion.
— J'étais une adolescente mal dans ma peau, je manquais d'assurance et tu n'y étais pour rien. C'était là bien avant que je te rencontre, mais tu en as fais les frais et tu n'imagines pas le nombre de fois où j'ai voulu te dire que j'étais désolée d'avoir été aussi invivable... Même pour moi c'était compliqué. Je faisais des crises d'angoisses terribles et je ne contrôlais plus rien. Je ne comprenais toujours pas pourquoi tu m'avais choisie et je craignais que tu décides de me laisser. Ça n'excuse pas tout, mais je veux que tu saches que tu n'es pas le seul à avoir des remords sur notre passé.
Lorsque Mia termine son explication, le souffle court, des larmes se mettent à couler le long de ses joues rosées alors qu'elle se trouve à peine à quelques centimètres de moi. Quand nous étions plus jeunes, je m'étais rendu compte qu'elle manquait de confiance en elle, mais j'étais loin d'imaginer qu'elle se sentait aussi malheureuse. J'ai la désagréable impression de ne pas avoir été capable de la protéger. Elle avait besoin qu'on la rassure et qu'on lui dise qu'elle est loin d'être insignifiante. Parce que c'est le cas, sinon j'aurai réussi à l'oublier il y a plusieurs années, comme toutes les autres. Au lieu de ça, elle a toujours été dans un coin de ma tête, comme une chanson entêtante qui jouait en boucle et que je n'avais pas envie de faire partir.
— Tu n'as vraiment aucune raison de te dévaloriser, ni d'être jalouse, murmuré-je.
Mon pouce vient caresser sa joue humide, ses yeux rouges ne quittant plus les miens.
— Je fais de mon mieux, sourit-elle tristement. J'étais vraiment mal quand tu m'as quittée mais maintenant je sais que c'était la bonne chose à faire. Grâce à ça, j'ai appris à m'accepter et à être un peu plus sûre de moi. J'ai beaucoup changé et...
— Je t'arrête tout de suite. Tu es et tu as toujours été belle, pétillante, intelligente et je n'ai jamais rencontré quelqu'un comme toi. Tu es bien plus intéressante que toutes les personnes que j'ai connues. J'ai été un vrai enfoiré quand on était jeunes, mais je n'ai jamais retrouvé ce que nous avions.
Sa respiration est irrégulière et je remarque qu'elle tremble légèrement. Mon bras vient glisser le long du sien et ma main vient prendre la sienne en diffusant une chaleur agréable dans tout mon corps. Elle resserre ses doigts de toutes ses forces et nous restons un long moment à nous observer sans un mot.
— Et maintenant ? demande-t-elle, tout bas.
— Est-ce que je peux t'embrasser ? chuchoté-je en me penchant vers elle.
— Tu ne t'embarrassais pas à poser la question hier soir, s'amuse-t-elle alors que je ne suis qu'à quelques millimètres de ses lèvres.
— Oh putain... soufflé-je en fermant les paupières. Qu'est-ce que j'ai fait ?
Je crois que je pourrais mourir de honte. La vérité c'est que je ne me souviens de rien de ma fin de soirée d'hier et si j'ai essayé de l'embrasser alors j'ai été beaucoup trop loin. J'ai sûrement dit des choses vraiment stupides et je crois que je préfère rester dans l'ignorance. C'est seulement en relisant mes messages ce matin que j'ai su, grâce à un texto de Raphaël, que c'était Mia qui était venu me chercher.
— Tu ne te rappelle pas ?
— Non, de pas grand-chose... Mais ça ne change rien à ce que je ressens.
— Tu aurais dû me le dire.
— Oui, je sais. Mais j'accumule déjà assez de blâmes comme ça. J'ai envie que tu me pardonnes, pas le contraire.
Elle secoue doucement la tête et je lorgne sur sa bouche maquillée de rose qui me titille depuis le début de cette conversation. Ses paumes viennent caresser mes épaules, un fin rictus au coin des lèvres et je me demande comment j'ai fait pour vivre sans elle pendant si longtemps.
— J'ai envie qu'on essaie, murmure-t-elle, en enroulant ses bras autour de ma nuque. De se pardonner, d'oublier et de reprendre à zéro.
— Je te promets d'être à la hauteur.
Un sourire sublime étire ses lèvres et mon cœur défaille quand elle se redresse et comble la distance qui nous sépare en m'embrassant. Je fais un pas pour la rapprocher encore plus, mais Mia perd l'équilibre et tombe sur le matelas gonflable en m'emportant dans sa chute. Je tente de me raccrocher à n'importe quoi mais finit par m'écraser de tout mon long sur elle pendant qu'elle couine un petit 'Aïe'.
— Tu vas bien ? demandé-je, en roulant sur le côté.
Et, sans même me répondre, Mia explose de rire. Un rire franc qui sort du fond du cœur et qui regonfle le mien. Sur le dos et la main sur le visage, elle se tord, hilare, et je n'ai jamais vu un spectacle aussi délicieux. Sa gaieté devient contagieuse et je ne tarde pas à pouffer à mon tour en me laissant tomber à ses côtés.
Je crois que c'est ce dont nous avions besoin, un moment léger, frivole, qui nous rappelle que notre histoire ne se définit pas seulement par la tension et les crises de larmes. Au-delà de ça un lien puissant et indestructible nous unis et il est temps d'en prendre soin.
— Je voulais que nos retrouvailles soient parfaites, mais là c'est raté, plaisante-elle.
Une petite larme joyeuse coule sur sa joue et je me contente de lui sourire en reprenant ma respiration. Je glisse ma main dans la sienne et nos doigts s'entremêlent dans un mouvement presque familier.
— Tant que tu es là, moi ça me va, chuchoté-je sans quitter le plafond des yeux.
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