Chapitre 36 - Mia
Mia.
Quand j'ai ouvert la porte, j'ai tout de suite compris que quelque chose n'allait pas. Il avait les yeux rouges, ses épaules étaient complètement abattues et il n'a pas dit un mot. Je l'ai fait entrer et je l'ai installé sur mon lit. On aurait dit un zombie sans âme.
Je ne l'avais jamais vu pleurer avant aujourd'hui, à part une fois, peut-être, et c'était de joie. Il a toujours fait en sorte de me montrer sa force d'âme et son courage. Je sais qu'il est humain, et comme tout le monde, il lui arrive de craquer mais le savoir invincible et dur comme un roc était rassurant. A chaque fois que j'étais triste, il avait les bons mots, il m'apportait sa joie de vivre et ses leçons de vie ennuyantes et tellement réconfortantes.
Je suis assise à côté de Raphaël depuis plus de vingt minutes et je ne sais plus quoi faire. Inutile de le bassiner avec des « ça va aller » ou « tu vas t'en remettre », car je sais pertinemment qu'il n'a pas envie qu'on le lui dise. Il va souffrir, il va penser que sa vie n'aura plus jamais de sens et les pseudos encouragements ne l'aideront pas. Alors je me contente de lui prendre la main et j'attends le bon moment pour que l'on puisse discuter.
Raph s'est pointé devant chez moi, il y a une heure, et j'ai tout de suite compris qu'il y avait un problème. Son visage était livide et il n'arrivait même plus à parler. J'ai tout lâché et je me suis empressée de le faire entrer pour l'installer dans ma chambre.
Depuis, il n'a pas bougé. Recroquevillé, les genoux contre la poitrine et la tête dans les bras, il semble vraiment fragile. Ça me fait mal au cœur. La seule chose qu'il m'ait dit c'est «elle m'a quitté».
Cette fille n'est qu'une morue.
Celui qui fait mal à mon meilleur ami aura affaire à moi. Elle ne s'en sortira pas indemne. Je vais trouver où elle habite, la découper en rondelles avant de la donner en pâture aux cochons. Ou mieux, je vais la jeter au fond d'un lac, mais pour ça j'aurais besoin d'aide, et il est hors de question que je le mêle à ça. On soupçonne toujours les crimes passionnels en premier.
Alors que j'élabore un potentiel meurtre avec préméditation, Raphaël relève lentement la tête et je me penche, suspendue à ses lèvres.
— Je n'arrive pas à m'y faire.
— Je suis désolée... couiné-je, consciente que ma phrase ne l'aidera pas.
— Pas moi. C'était trop beau pour durer.
— Tu ne peux pas dire ça. Elle ne te mérite pas.
Raphaël se fait tomber sur le côté et pose sa tête molle contre mon épaule. Quand je le vois comme ça, j'ai l'impression que c'est moi qui ai le cœur brisé et ce n'est pas totalement faux. J'ai la gorge serrée, la poitrine contractée et j'ai la terrible sensation que quelqu'un me manque.
Arthur m'a appelé tout à l'heure. Je ne l'ai pas vu depuis l'anniversaire de Daphné il y a trois jours et il voulait qu'on ait une discussion. Pendant la soirée, nous avons fait en sorte de ne pas plomber l'ambiance et même si au début il y a eu quelques regards gênants, personne ne l'a vraiment remarqué. Ils étaient tous bien trop occupés avec la star de la soirée.
C'est sûrement mieux comme ça.
Quand nous nous sommes embrassés, le week-end dernier, j'ai compris que je n'étais pas du tout guérie. Je l'ai dans la peau et je n'arriverai jamais à l'oublier si je continue de le voir. Ces dernières semaines, je me suis mis en tête que notre amitié était viable, pourtant ce baiser était inévitable et il change tout.
Je sais qu'il est venu me parler vendredi pour me dire des choses importantes et je crois qu'il était sincère mais je me suis sentie humiliée. Tout ce temps, il s'est forcé à me détester en écoutant aveuglément les jugements de certains au lieu de venir me parler.
A vrai dire, j'avais également envie de mettre les choses au clair, mais Raph est arrivé et ce n'était pas le moment. J'ai attendu cinq ans pour avoir une explication alors je peux bien attendre jusqu'à demain. Pour le moment, mon meilleur ami compte plus que tout le reste. Je ferme les yeux un instant en essayant de faire fuir le visage d'Arthur de ma rétine.
Raphaël reprend peu à peu une respiration normale, il n'a pas pleuré depuis vingt bonnes minutes et le chocolat a fait du bon travail. Nous parlons seulement par intermittence, quand il n'est pas plongé dans ses pensées, mais je le laisse faire. Il n'a pas besoin qu'on lui dise de penser à autre chose. En tout cas, pas ce soir. Dans les prochains jours, j'essaierai de lui changer les idées, mais à cet instant il doit juste survivre à ce moment.
La sonnerie de son téléphone nous sort du silence pesant qui s'est installé. Il le cherche dans son sac sans grande conviction.
— Si c'est elle, tu ne réponds pas ! ordonné-je en le menaçant de mon index.
Il regarde l'écran un instant avant de répondre. J'espère pour Stella qu'elle n'a pas le culot de venir enfoncer le couteau dans la plaie.
— Allo... Qu'est-ce qui t'arrive ? ... Où es-tu ?
Je ne sais pas qui est au bout du fil mais je fixe Raphaël pour essayer d'avoir un indice. Elle veut vraiment lui piétiner le cœur deux fois dans la même soirée ? Il n'a pas intérêt à y aller. Je sais qu'il doit penser qu'elle veut arranger les choses mais je n'ai aucune confiance en elle. Je l'enfermerai ici s'il le faut.
— Écoute, ne bouge pas. Je vais venir te chercher, ok ?
— Raph non !
— A tout de suite, dit-il en raccrochant.
— Tu n'es pas sérieux ? Cette fille te manipule !
Il pose le téléphone en soupirant alors que la colère de voir mon meilleur ami si vulnérable monte en flèche.
— Je t'interdis de sortir d'ici. Elle vient de te jeter de la pire des manières, alors tu n'as pas intérêt à aller la réconforter !
— Ce n'était pas elle, me rassure-t-il.
— Alors c'était qui ?
— Arthur.
— Quoi ? Mais pourquoi ?
— Il semblerait que tu l'ai envoyé sur les roses tout à l'heure ?
— J'avais plus urgent à faire que de m'énerver contre lui, grogné-je en croisant les bras comme une enfant.
— Il est au bar du centre, complètement ivre.
— Ivre comment ? demandé-je, tout de même inquiète.
— Assez pour ne pas être en capacité de conduire. Il n'a pas arrêté de dire qu'il t'avait perdue pour de bon et qu'il s'en voulait.
— Je lui ai juste dit qu'on se rappellerait plus tard. Tu avais besoin de moi.
— Ma vie sentimentale est un calvaire, commence-t-il en prenant ma main. Mais ça ne veut pas dire que la tienne doit l'être aussi.
— Il m'a menti et je ne sais pas où j'en suis, reniflé-je alors que des larmes se mettent à ruisseler sur mes joues.
— Va le voir et arrange les choses.
— Non. Quand il est bourré c'est impossible de parler avec lui.
~ ~ ~
Sur le parking du centre-ville, je reste enfoncée dans mon siège plusieurs minutes. Un soupçon d'appréhension m'envahit. Raph a réussi à me convaincre d'aller chercher Arthur. Il m'a dit qu'il ne se sentait pas de conduire vu son état et je me suis fait avoir comme une bleue. Mais peut-être que j'en avais envie au fond ? Je sais qu'il souffre autant que moi et de ne pas le voir m'est très difficile.
Je prends une grande inspiration et sort de la voiture en claquant la porte. Il est deux heures du matin et le serveur du bar est en train de balayer la terrasse vide alors que je m'approche. Il lève les yeux vers moi et son regard se tourne vers une chaise ou se trouve une grosse masse molle.
— Vous venez le chercher ?
— Oui, soupiré-je.
Je m'avance jusqu'au cadavre d'Arthur alors que l'homme continue tranquillement sa fermeture.
— Tu t'es vraiment mis dans un état minable.
— Mia ? s'étonne-t-il en relevant difficilement la tête, les yeux dans le vide.
— Pourquoi tu as fait ça ?
— C'est à cause de toi... dit-il en essayant d'articuler.
— A cause de moi ?
— Non, je... Je veux dire que c'est ma faute. J'ai merdé...
— Je ne te le fais pas dire. Debout.
Je l'attrape par le bras et il s'appuie sur ses deux jambes tremblantes. Il tangue encore plus qu'un bateau en mer et penche dangereusement sur le côté gauche. Je l'encercle avec mes bras pour le retenir. Il penche sa tête pour me regarder, son haleine chargée de Whisky vient envahir mes narines, et j'ai l'impression que ma poitrine se fissure.
On m'a répété des centaines de fois que le temps allait atténuer la douleur. Qu'un jour je me réveillerai et qu'il ne sera plus qu'un lointain souvenir. Pourtant, j'ai toujours l'impression que mon cœur est en miettes. C'est comme un boomerang que je ne cesse de me prendre en plein visage dès qu'il me regarde comme maintenant.
— Comment tu as su que j'étais là ?
— C'est Raph. Viens, je te ramène.
Je fais un premier pas en direction de la voiture et tente de déterminer s'il est en capacité de me suivre. Il s'amarre autour de mes épaules et nous avançons en zigzaguant jusqu'au parking.
Je n'aurai jamais cru qu'il puisse être aussi lourd.
Une fois au niveau de ma voiture, je m'arrête pour prendre les clés dans mon sac quand le corps musclé d'Arthur me plaque contre la carrosserie. Je me tends, prête à le repousser, agacée, lorsqu'il enfouit sa tête dans mon cou dans un soupir.
— Mia, je...
— Non Arthur, murmuré-je. Ne dis rien. Tu vas le regretter.
Ma gorge se noue et je retiens une larme douloureuse. Je sais qu'il est comme ça à cause de notre histoire.
— Je suis désolé. Je sais que tu es blessée mais j'avais peur de te rendre malheureuse, comme quand on était ensemble...
— Si on était malheureux, c'était ma faute... avoué-je. Mais ça, tu l'aurais su si j'avais été assez courageuse pour t'en parler.
Il redresse son torse et un voile de tristesse et de regrets passe dans ses iris océans. Je me sens toute petite entre ses bras. Il me presse contre lui et s'empare de mes lèvres. Ses mains descendent le long de mes côtes, puis sur mes hanches. Dans un élan de lucidité, je l'écarte doucement et il colle son front contre le mien. J'ai très envie de le retrouver mais pas dans ces circonstances.
— Tu me manques, Mia. Je n'ai jamais pensé que tu me rendais triste, au contraire.
— Arrête de parler. S'il te plaît...
— J'ai besoin de te le dire. Je ne contrôle pas ce que je ressens pour toi et c'est très fort.
Non, stop. Il ne peut pas me dire des choses comme ça. Il ne peut pas me regarder comme ça. Il n'imagine pas tout ce que cela provoque dans ma poitrine. Les larmes commencent à me brouiller la vue. J'essaie difficilement de les retenir sous son regard.
— Et demain tu auras tout oublié. Si on doit mettre les choses à plat, ça ne sera sûrement pas ce soir. Je t'en veux d'avoir gâché notre histoire et... J'ai peur que tu décides une nouvelle fois qu'elle n'en vaut pas la peine.
— Non, jamais je ne ferais ça.
— Pourtant tu l'as déjà fait ! crié-je en retenant un sanglot. Comment je peux être sûr que cette fois ça sera différent ? Ce n'est pas la première fois qu'on se retrouve au pied du mur toi et moi.
Les larmes coulent maintenant sur mes joues et j'enfouis mon visage dans son tee-shirt. Je ne veux pas qu'il me voit dans cet état.
— Si je t'ai dit tout ça, l'autre jour, c'est justement pour que tu comprennes que, cette fois, tout est différent.
Il pose délicatement un baiser sur mon crâne et je renifle en relevant les yeux sur lui.
~ ~ ~
Notre ascension jusqu'à la chambre d'Arthur fût laborieuse, et très bruyante. Quasiment incapable de tenir sur ses deux jambes, il n'a pas arrêté de se cogner dans tout ce qui se trouvait plus ou moins dans son chemin. Il a essayé deux fois de m'embrasser dans l'escalier en murmurant des mots qu'il regrettera demain matin, et je l'ai retenu de tomber à chaque fois. D'ailleurs, je suis étonnée que ses parents ne soient toujours pas venus vérifier si un cambrioleur ne se trouve pas dans leur salon.
Quand j'ouvre enfin la porte de notre destination, Arthur tombe dans son lit comme une masse. Je m'applique à lui enlever les chaussures et il se retourne sur le dos. Je n'ai pas allumé les lumières, pour éviter d'attirer encore plus l'attention mais je sens qu'il me regarde.
— De toute façon c'est trop tard... Tu es avec John maintenant.
— Qui t'as dit ça ? demandé-je en soupirant.
— Personne, je le sais c'est tout.
— Je ne suis pas en couple.
— Je vous ai vu vous enlacer à l'anniversaire...
Je m'arrête un instant en le regardant. J'ai, en effet, eu une discussion avec John pendant la soirée. Cela faisait déjà plusieurs jours que je pensais discuter avec lui de notre rendez-vous. Je ne sais pas si Arthur et moi c'est encore envisageable mais continuer à le faire espérer aurait été malhonnête. J'avais fait le choix de ne pas aller plus loin avec lui avant qu'il ne se passe quoi que ce soit de nouveau avec mon ex, mais cette semaine, forte en émotion, a fini de me convaincre. Je savais que je risquais de le blesser et c'était entièrement ma faute mais je ne pouvais pas continuer comme ça.
A mon grand étonnement, il m'a dit qu'il s'attendait à avoir cette discussion avec moi. Je me sentais vraiment nulle de l'avoir fait espérer mais il m'a dit qu'Arthur avait fait une grosse erreur en me laissant partir. Il m'a pris dans ses bras et c'est seulement quand je me suis retournée vers la baie vitrée, que j'ai remarqué mon ex petit-ami qui nous observait depuis la terrasse.
John a continué en disant qu'il serait l'homme le plus chanceux du monde si je le regardais comme je le fais avec lui et qu'il pensait que c'était du passé entre nous deux, sinon il n'aurait pas tenté sa chance. Et tant qu'Arthur serait là, aucun autre homme ne l'aurait.
Je crois que, dans un sens, il a raison. En arrivant cet été, je pensais que tout ça était derrière moi, mais à l'évidence, ce n'est pas le cas. Si je suis complètement transparente, j'ai très envie d'être près de lui et je n'arrête pas de me dire qu'on aurait pu être heureux tous les deux, que s'il n'avait pas mis toute son énergie à me fuir on aurait construit quelque chose de beau, puissant, que notre amour aurait dû être plus fort que tout le reste. Mais il m'a fait souffrir plusieurs fois, soi-disant pour me protéger et ma colère prend inévitablement le dessus sur tout le reste. S'il avait vraiment voulu mon bonheur alors il ne m'aurait pas approchée pendant toutes ces années et je l'aurai sûrement oublié. Pourtant, il a pris ce qu'il avait envie de prendre à chaque fois qu'il le voulait pour ensuite s'échapper sans se soucier de l'état dans lequel j'étais.
— Eh bien tu as mal compris, conclué-je en m'asseyant sur le lit, fatiguée de me battre contre mes sentiments depuis des semaines. Je lui ai dit que je ne pouvais pas continuer à le voir.
— Pourquoi t'as fait ça ? demande-t-il en se relevant près de moi.
— Parce que tu es là et que je n'arrive pas à imaginer être avec quelqu'un d'autre.
Je triture nerveusement mon tee-shirt et un long silence s'installe. Je suis en train de lui avouer ce que j'ai tenté de réprimer pendant plusieurs années parce que ça me fait trop mal. Des centaines de questions me bouffent les entrailles et je ne sais plus si j'ai toujours voulu être avec lui ou si ce n'est plus qu'un vieux fantasme que nous entretenons pour éviter de comprendre que nous ne sommes pas faits pour être ensemble. Et s'il fuyait à nouveau ? Et si quelqu'un se permettait encore de le faire douter ? Et s'il n'était plus celui que je pensais aimer ? Et si je n'étais plus celle qu'il pensait vouloir ?
Je m'apprête à partir quand Arthur attrape ma main et resserre ses doigts autour des miens.
— Dors avec moi.
— Je ne peux pas. Raph est chez moi, il m'attend. Bonne nuit, Arthur.
Je me lève pour de bon et sort discrètement de sa chambre en fermant la porte, sans me retourner. Mon cœur bat à dix milles et je tremble de tristesse. J'ai l'impression d'avoir couru un marathon, de m'être fait écraser par un train et de sortir d'un long et douloureux coma.
Tout ça en même temps.
Je prends une grande inspiration avant d'entamer la traversée du couloir sur la pointe des pieds jusqu'à l'escalier quand j'entends une porte s'ouvrir. Je me retourne brusquement, prête à dire à Arthur de retourner dans son lit mais c'est sa mère qui me fait face.
— Tout va bien ? chuchote Margot.
— Oui. Je ramenais juste Arthur.
— Il a bu ?
— Un peu... Mais je n'étais pas avec lui.
L'obscurité ne me permet pas de voir son visage mais je sens qu'elle est inquiète. Il est quasiment trois heures du matin et je suis tellement fatiguée que je n'arrive plus à sortir la moindre parole réconfortante. Je me contente de rester là, immobile, en attendant la fin de cette discussion.
— Tu sais... dit-elle en faisant un dernier pas dans ma direction. Il tient à toi et...
— Non s'il te plaît, la coupé-je un peu trop froidement. C'est déjà assez compliqué comme ça.
Elle n'y est absolument pour rien dans cette histoire et elle ne fait que défendre son fils mais je ne suis pas en état de parler de ça. J'ai froid, je suis exténuée et surtout complètement bouleversée par les évènements de ce soir.
— ... il s'en veut.
— Moi aussi. Il est tard, je vais rentrer.
Sans attendre sa réponse, je dévale l'escalier, et sort de la maison en laissant couler les dernières larmes, preuve irréfutable que je tiens trop à Arthur pour le laisser partir une nouvelle fois.
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