Chapitre 34 - Arthur
Arthur.
Cette semaine, me rendre au travail chez les Gomel était insoutenable. Et mes insomnies ne m'ont pas aidé à supporter ces cinq jours de torture. Heureusement je ne l'ai pas croisée une seule fois. J'ai tout fait pour l'éviter et je la soupçonne d'avoir fait de même. Je suis systématiquement parti du travail à dix-sept heures pétantes, je suis sagement resté dans nos bureaux, sans jamais pénétrer le reste de la maison.
Je dois oublier ce moment, elle m'a fait comprendre que je ne devais pas insister alors je respecte son choix.
Je me suis rendu à la piscine tous les soirs de la semaine et aujourd'hui, vendredi, j'ai donné rendez-vous à Mehdi à la salle de sport en lui expliquant que j'avais besoin d'une séance pour me défouler.
Après une heure de crossfit intense, je sors du vestiaire, exténué, mais toujours aussi tendu. Je croyais naïvement que tout ce sport m'aiderait, mais je n'ai pas cessé de penser à elle. Encore une fois, j'ai été trop con en acquiesçant lorsqu'elle a dit que c'était mieux de ne plus en parler. Mais comment je suis censé l'oublier quand mon inconscient me ramène toujours à elle ?
Je passe la porte de la salle de sport en lançant un dernier geste au dirigeant et, une fois dehors, Mehdi me rejoint.
— Alors, est-ce que j'ai réussi à te faire oublier tes soucis ?
— Pas vraiment, grogné-je. Mais ce n'est pas ta faute.
Je déverrouille ma voiture et jette mon sac dans le coffre avant de me retourner vers mon ami.
— Tu veux en parler ?
— Je crois que j'en ai besoin oui, soupiré-je en me pinçant l'arête du nez.
J'ai toujours été très secret en ce qui concerne Mia. J'ai pris l'habitude de tout garder pour moi et ne pas laisser les gens savoir à quel point je me sens mal mais c'est en train de me bouffer de l'intérieur. Et, quand j'y réfléchis, je me dis que j'ai sûrement tort depuis longtemps.
— Tu me fais peur, qu'est qui se passe ?
— J'ai embrassé Mia, avoué-je en m'asseyant sur le rebord de mon coffre.
— Mia ?
— Mia.
— Ton ex ? s'étonne-t-il.
— Oui, mon ex. Ça va, ne fait pas cette tête.
— Et qu'est-ce que tu veux que je dise ? Ça sort un peu de nulle part cette histoire, dit-il en se posant près de moi.
— Non pas vraiment... Ce n'est pas la première fois...
Et à chaque fois j'ai envie de crever tellement c'est douloureux.
— Oh... Et on parle de combien de fois ?
— Ce n'est pas ça qui est important. C'est juste que... Dimanche, elle m'a demandé de faire comme si rien de tout ça n'était arrivé.
— Et toi tu le veux ?
— J'ai toujours eu envie que ça existe...
— Alors pourquoi vous êtes plus ensemble ?
— Parce que je suis un con qui a préféré écouter les autres plutôt que d'assumer que je ne suis pas grand-chose sans elle.
— Qui ? demande-t-il en fronçant les sourcils.
— Un jour, Xavier est venu me parler, commencé-je en occultant la crampe à l'estomac que l'évocation de ces souvenirs fait réapparaître. Il m'a sorti tout un baratin sur le fait qu'il m'a toujours estimé et que si j'avais vraiment aimé sa fille alors je devais la laisser tranquille. Il m'a dit qu'il ne pouvait pas m'empêcher de la voir mais que j'étais assez intelligent pour comprendre que c'était la meilleure décision, parce que Mia était trop fragile et que notre histoire ne lui avait apporté que de la souffrance. Sur le coup, je ne me suis pas rebellé car, pour moi, notre histoire s'était définitivement terminée et je ne comptais pas me plier à sa demande mais il y a eu ces fameuses vacances en Espagne... Tu te souviens ?
— Oui, surtout des filles et des soirées, ironise-t-il. Mais maintenant que tu le dis, c'est vrai que vous étiez proche.
— On a failli se remettre ensemble, ou du moins c'était bien parti pour, mais Léo et Daphné me sont tombés dessus en me rabâchant que j'idéalisais notre relation passée et que même si c'était compliqué à entendre on n'était pas fait pour être ensemble, on se faisait trop de mal et il fallait que l'un de nous mettent un terme à tout ça. Je leur ai dit qu'ils n'avaient pas leur mot à dire et qu'ils ne savaient pas de quoi ils parlaient car j'aimais Mia, un point c'est tout. Et un soir on est allé manger un dessert, que tous les deux et en rentrant je l'ai invitée à venir dans ma chambre. On a couché ensemble, et j'ai passé la nuit à faire des cauchemars. J'entendais les paroles de Xavier, Daphné, et Léo en boucle dans ma tête, entremêlées à nos disputes, tout ce qui n'allait pas quand on était ensemble...
Les yeux baissés sur mes chaussures, je n'ose plus regarder mon pote qui m'écoute silencieusement. Le dire à voix haute rend toute cette histoire vraiment ridicule.
— J'ai fini par croire qu'ils avaient tous raison. Que c'était mieux pour elle et pour moi si on ne réessayait pas. J'ai été lâche... Le matin, j'ai joué à l'abruti en espérant que ça la dégoûte de moi et qu'elle ne veuille plus jamais entendre parler de moi, mais c'était il y a cinq ans et ce n'est toujours pas clair. On passe notre temps à nous disputer et il y a eu plusieurs petits dérapages. Quand je suis avec elle c'est plus fort que moi, je ne peux pas m'empêcher d'imaginer qu'on serait heureux ensemble. J'ai laissé ma peur prendre le dessus... Et j'ai sûrement tout gâché.
Je ne laisserai plus personne décider pour moi. Je sais que Mia est la seule qu'il me faut. Pendant des années j'ai essayé de me persuader que je pouvais vivre sans elle, mais soyons réaliste je n'y arrive pas.
Je vois en permanence son regard blessé et à chaque fois je ressens le même coup de poignard douloureux dans la poitrine. Six jours que je retourne la scène dans ma tête et que je me torture pour comprendre comment j'aurais dû réagir mais maintenant je sais ce que je dois faire.
— Je ne suis pas forcément la personne la plus qualifiée pour te donner des conseils en matière de couple mais... Il faut que tu lui dises tout ça. La communication, c'est primordial.
— Comment tu sais ça, toi ? tenté-je dans un demi sourire.
— Ma mère adore les feuilletons à l'eau de rose alors, quand j'étais petit, je les regardais avec elle et j'ai encore des séquelles tu vois. Par contre, attention ! menace-t-il. C'est une info top secrète. Je t'interdis de le dire aux filles.
Je ricane en imaginant Mehdi devant une série romantique. Je crois que sa réputation de coach sportif viril en prendrait un coup. Mais quand on apprend vraiment à le connaître, on se rend compte qu'il est bien plus sensible, sérieux et loyal qu'il veut bien le montrer.
Il pose une main réconfortante sur mon épaule et je prends une grande inspiration avant de me relever.
— Je sais que tu penses avoir fait beaucoup de mal à Mia et c'est sûrement vrai mais, vous êtes adultes et bien plus mature qu'à l'époque alors votre relation sera complètement différente cette fois.
— C'est gentil mais pour ça il faudrait déjà qu'elle me laisse m'expliquer.
— Je suis sûr qu'elle le fera.
— Non, elle était vraiment décidée à ne plus m'approcher.
— Elle devait sûrement digérer tout ça, mais si vous vous êtes embrassés malgré toutes ces années, ce n'est pas rien.
— Tu es vraiment de bon conseil en fait, me moqué-je pour essayer de cacher mon trouble. J'aurais dû venir te voir plus tôt.
— Tu sais ce qu'on dit. On est toujours meilleur pour régler les problèmes des autres.
J'acquiesce en regardant inlassablement mes pieds. Je ne pensais pas que le dire à voix haute serait si libérateur. Ce n'était pas le plus dur parce que je dois encore l'affronter, elle, mais ça me conforte dans mon choix. Il faut qu'elle sache tout, ensuite c'est elle qui décidera si je mérite une chance.
— Tu fais quoi, là, tout de suite ? demande-t-il. On pourrait aller boire une bière.
— J'ai promis à Daphné de l'aider pour les préparatifs de son anniversaire.
— D'accord. En tout cas, j'espère que notre discussion t'a aidé.
— Merci, mec.
Mehdi se relève et après avoir tapé son poing contre le mien, il prend la direction de sa voiture. Je reste un instant sur le parking pratiquement vide, pour prendre une grande inspiration avant d'affronter ma meilleure amie qui doit être en panique à l'heure actuelle.
Quand j'arrive à la demeure des Gomel, Daphné m'attend devant la porte d'entrée, le regard sombre et une attitude agacée. Je m'approche d'elle alors qu'elle secoue son poignet sous mes yeux.
— T'as vu l'heure ?! On avait dit qu'on commençait à dix-sept heures trente.
— Je m'excuse. J'étais à la salle avec Mehdi.
— Il est dix-huit heures quarante-cinq, gronde-t-elle. Tu as plus d'une heure de retard ! Et ta seule excuse, c'est ça ?
Je soupire en lui faisant un baiser sur le front avant de pénétrer dans la maison, en ignorant ses remontrances. J'ai tout fait pour qu'elle ne remarque pas mon état ces derniers jours. Heureusement, elle passe tout son temps libre à fleurter mon frère et nous ne nous sommes presque pas vus. Je n'avais pas envie de devoir me justifier sur mon état actuel alors que sa remarque de dimanche me prouve qu'elle n'a pas changé d'avis sur Mia et moi.
Pourtant, ce soir je dois mettre mes sentiments de côté pour l'aider à organiser la fête de ses vingt-cinq ans. Je sais que c'est un jour qui lui tient à cœur et j'ai promis de l'aider.
Je m'aventure dans le salon et, ma meilleure amie sur les talons, je m'approche de la table à manger, où elle semble avoir accumulé toutes sortes de décorations pailletées.
— J'étais censé t'aider pour la bouffe et les boissons. Pas pour les guirlandes et les autres trucs.
— On va tout faire d'un coup, si on est concentrés dans une heure ou deux, tout est bouclé. Tu manges à la maison ?
— Euh, non. Je ne peux pas.
Je me racle la gorge, alors que mon regard cherche un indice sur la présence, quasi certaine, de celle qui hante mes pensées. Même si je l'évite depuis plusieurs jours, je sais que nous allons inévitablement nous croiser et j'appréhende ce moment.
— Rappelle-moi pourquoi tu ne demandes pas à tes copines de faire ça ? soupiré-je, pressé de sortir de cette maison qui m'étouffe.
— Parce que je suis sûre que toi tu me diras la vérité sur ce que tu en penses. Bon, tu n'as qu'à commencer par accrocher les guirlandes dans le jardin, continue Daphné en me tendant un sac de courses.
— Bien, chef.
J'attrape les fameuses décorations et m'attèle à rendre le jardin aussi beau que ma meilleure amie l'imagine. Pendant près d'une heure, j'accroche, je tire, et je suspends des bouts de crépons.
Assoiffé, j'entre dans la cuisine pour me servir un verre d'eau, mais au moment où je mets un pied à l'intérieur, Mia fait irruption dans la pièce. Je me raidis. Mon cœur se met à pulser dans mes oreilles et lorsque son regard rencontre le mien, je ne suis plus que l'ombre de moi-même. Ses cernes et ses épaules voûtées me prouvent que je ne suis pas le seul à être bouleversé.
Nous restons un long moment à nous lorgner. J'ai envie de parler le premier mais j'en suis incapable. Aucune parole sensée ne me vient et je me contente de la fixer, la peur au ventre.
— Salut, murmure-t-elle sans me quitter des yeux.
Je suis toujours immobile, la gorge nouée, en la détaillant. Je devrais m'exprimer, réagir, lui sourire ou même lui faire un petit signe de la main, mais non. Je reste planté là, comme un con.
Lorsqu'elle me tourne le dos et s'apprête à s'éclipser, je reprends enfin possession de mon corps et mon esprit pour balbutier quelques mots.
— Mia, attends. Je... J'aimerais bien qu'on parle.
Elle soupire sans se retourner et je fais un pas dans sa direction.
— J'ai des choses à te dire et je te demande juste de m'écouter quelques minutes.
Timidement, elle pivote vers moi et étudie mon expression. La sienne est morose, peinée. Je prends une grande bouffée d'air pour ne pas me dégonfler une nouvelle fois.
— Peut-être que ce baiser avait plus d'importance que ce que je t'ai dit, avoué-je alors qu'elle m'observe sans bouger. Je n'arrête pas d'y penser depuis dimanche et j'ai besoin de t'expliquer ma version des choses.
— Ce n'est ni le moment, ni l'endroit pour parler de ça... réplique-t-elle.
— Si, justement.
J'insiste, le regard dur pour lui transmettre ma détermination. Cette fois, je vais être courageux et aller jusqu'au bout. Je ne pensais pas dire ça un jour, mais Mehdi a raison et je vais suivre son conseil. J'ai besoin de lui parler et de lui dire toute la vérité. Un retour en arrière n'est pas possible, et je ne mérite pas une nouvelle chance mais il faut qu'elle comprenne qu'elle n'a rien fait de mal et que, si j'ai été nul, c'est juste parce que je suis le plus gros froussard de l'univers.
— Viens.
Elle m'attrape brusquement par le bras et me tire vers l'escalier de la maison. Nous montons rapidement les dernières marches avant qu'elle n'ouvre sa porte de chambre.
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