Chapitre 33 - Mia
Mia.
La maison est plongée dans le noir, tout le monde dort déjà lorsque j'ouvre silencieusement la porte d'entrée. Il est presque minuit, et je devrais aussi être dans mon lit depuis plusieurs heures. Accepter de suivre Arthur pour cette promenade près du lac était une mauvaise idée, et je ne sais pas pourquoi j'ai accepté. Je referme délicatement le battant avant de traverser l'escalier et le couloir sur la pointe des pieds. J'entre rapidement dans ma chambre et je jette mon manteau sur le sol.
Une énorme boule a pris place dans ma gorge et j'ai la tête qui tourne. Je m'allonge sur le lit, fixant le plafond et repensant inévitablement à ce baiser, et plusieurs minutes s'égrènent dans le néant.
Je sens encore ses mains et ses lèvres sur moi. C'était mieux que dans mon souvenir... Son odeur ne me quitte plus et les paroles que je me suis entendu dire non plus. Nous en avions tous les deux envie, et pendant une demi-seconde, j'ai vraiment cru qu'il pourrait y avoir de l'avenir dans tout ça.
C'était ridicule...
Je lui ai demandé de faire un trait sur ce que l'on vient de vivre alors que moi-même je ne suis pas sûre d'en être capable. Je n'ai pas pu inventer son regard ni ses gestes. Il avait l'air sincère, mais... Purée, je n'en sais rien. Je suis complètement paumée. Je devrais laisser des kilomètres de distance entre nous, mais je n'aspire qu'à me rapprocher de lui. Il m'a fallu un seul baiser pour que je rechute. Je vais tomber et je vais me faire mal. C'est une certitude.
J'entends quelqu'un frapper doucement contre ma porte. Je serre les poings en restant immobile. J'espère que personne n'a remarqué mon absence. Je n'ai pas la force de m'expliquer à ce sujet. J'ai besoin de me cacher dans mon lit pour l'éternité en ingurgitant du chocolat. Beaucoup de chocolat.
J'espère qu'il reste mon préféré, celui à la noix et au caramel...
Un second coup se fait entendre et je me relève vers le bruit.
Sophie passe la tête dans l'embrasure, avec son air soucieux. Elle a sûrement déjà tout deviné. En même temps ce n'est pas très compliqué. Elle connaît notre passé et notre incapacité à faire les choses correctement.
Je m'assois sur le lit et je sens les larmes monter. Elle ferme doucement la porte et s'approche de moi.
— Ça ne va pas ?
Je hausse les épaules comme seule réponse. Elle se pose sur mon lit et, sans me retenir plus longtemps, je me laisse aller dans ses bras. La soirée a été surréaliste et un peu trop chaotique à mon goût. Les sentiments, que je tente d'étouffer, sortent dans le désordre et je ne sais plus si je suis triste, en colère, découragée ou juste fatiguée de vivre ce scénario qui se répète sans cesse.
— Tu as rejoint Arthur, c'est ça ?
Je hoche la tête et tente de parler, en vain. Mes reniflements et ma respiration saccadés m'empêchent de communiquer.
— Ok, calme-toi. On va se coucher et essayer de respirer, dit-elle d'une voix calme et apaisante.
Toujours dans ses bras, elle nous penche sur le côté alors que nous tombons sur mon matelas. Elle me caresse doucement les cheveux et je ferme les yeux en essayant de fuir les souvenirs de ma soirée.
En sept ans, il y a eu dix baisers, quatre nuits, et presque autant de crises de larmes. Je sais que ce n'est pas normal de les avoir comptés, mais à chaque fois j'ai cru que ça pouvait marcher, et j'ai fini brisée. Nous avons enchaîné les disputes, les prises de bec en public et les baisers douloureusement secrets jusqu'à cette ultime engueulade de l'an dernier où j'ai promis que je ne le laisserai plus m'atteindre.
C'était lors de la fête d'inauguration de l'entreprise XAB. J'étais descendue spécialement pour cet évènement dont mon père et Bernard parlaient depuis presque six mois.
Après le burn-out du père des jumeaux, les deux amis avaient décidé de se lancer dans la création de leur propre entreprise et ils ont mis tout en œuvre pour le réaliser. Mon père a démissionné de son poste de responsable de service et ils se sont installés dans le garage de notre maison.
Au départ, ils n'avaient pas grand-chose d'autre qu'une table, deux chaises, une box wifi et des idées plein la tête, mais grâce à leur sens des affaires et leur carnet d'adresses professionnelles, ils ont rapidement réussi à trouver leurs premiers clients. Margot les a ensuite aidés à aménager leurs bureaux et une fois que tous les détails étaient bouclés, ils ont décidé d'organiser cette petite fête pour leur nouveau départ avec leurs familles, amis et potentiels clients.
Pour l'occasion, ma mère avait installé deux grandes tables sur notre terrasse avec des nappes blanches en coton, et elle avait fait appel à une amie à elle pour créer une fabuleuse décoration bleu et vert, les couleurs de l'entreprise. Mes sœurs et moi avions préparé une multitude de petits fours, en essayant de respecter le thème avec des blinis en forme d'écrou, des biscuits salés en forme de pince, et des pailles en acier.
Lorsque Arthur est arrivé avec son polo bleu clair et un short en jean, il était accompagné d'une grande brune avec des jambes vertigineuses et un magnifique sourire.
Je l'ai détestée tout de suite.
Tout le monde avait l'air de l'adorer et en même temps il y avait de quoi. Elle était sincèrement gentille mais je n'avais pas le courage d'assister à cette réalité où Arthur avait définitivement tourné la page alors que j'en étais restée à notre dernier baiser où je lui avais demandé de m'attendre. Il n'avait pas répondu, et au fond je savais qu'il ne le ferait pas, mais le voir avec cette fille était au-dessus de mes forces. Alors quand il s'est approché de moi, en lui tenant la main, pour me la présenter, j'ai cru mourir. Mon verre de vin à la main, je tentais de faire bonne figure alors que la tempête faisait rage dans mon estomac.
— Salut, je te présente Tiffany.
— Enchantée, a-t-elle souri. Arthur m'a beaucoup parlé de toi et ta famille. Je trouve ça vraiment super que vous soyez tous aussi proches.
Lui et moi avons échangé un long regard. Proches ? Il avait le culot de venir me la présenter comme si j'étais une simple amie ? À l'intérieur, j'étais une Cocotte Minute prête à exploser. J'avais très envie de lui balancer toutes mes rancunes à la figure, mais c'était une journée importante pour mon père et il ne méritait pas que je gâche tout ça.
— Ravi de te rencontrer Tiffany. Je dois y aller, ai-je répondu avant de m'éclipser le plus rapidement possible.
Le regarder dans les yeux me déchirait le cœur. Je ressentais encore tout l'amour que j'avais pour lui, mais également tout le mal qu'il m'avait fait en se comportant de la sorte. Il a toujours été ma kryptonite, je me sentais irrémédiablement attirée par lui, à tel point que c'en devenait douloureux.
Je suis retournée au bar, j'ai vidé mon verre d'une traite et après m'être servi du punch trop corsé je me suis réfugiée à l'intérieur. Arthur m'a alors suivie et m'a attrapée par le bras dans le couloir de l'entrée.
— Mia...
— Laisse-moi. J'ai besoin d'air.
— Qu'est qui ce passe ?
— Tu l'as amenée dans ma maison !
— Je... Je suis désolé... Je ne pensais pas que tu le prendrais si mal... Elle a insisté pour venir avec moi pour les vacances et...
Et alors que j'aurais dû me taire et faire semblant que tout allait bien, je n'ai pas pu m'empêcher de tout lui balancer. La douleur avait pris possession de mon corps et elle me suppliait de mettre un terme à tout ça.
— J'aurais dû le prendre comment ?! De toute façon, j'aurais dû m'en douter. C'est toujours la même chose avec toi, ai-je continué en faisant les allers-retours.
— J'ai changé.
J'ai pouffé de rire sans pouvoir me retenir.
— Non, tu ne changeras jamais. Tu n'es qu'une sombre merde ! ai-je crié, les larmes menaçant de sortir. Je t'ai cru beaucoup trop souvent. Qu'est ce qui t'a pris de lui dire une chose pareille ? On ne sera jamais amis.
— Tu as compté pour moi et je me voyais mal dire que tu es une inconnue.
— Sérieusement ? Et est-ce que je comptais pour toi quand tu m'as rejetée comme une merde l'an dernier ? Et les autres fois ? Tu es simplement incapable de savoir ce que tu veux et tu te sers des filles sans aucun scrupule.
— J'ai été nul, mais j'essaie de ne pas reproduire les mêmes erreurs...
Dos à lui, j'ai pris une grande inspiration en intégrant ce qu'il était en train de me dire. Je n'avais été qu'un simple brouillon, un test, une relation ratée qui lui permettait d'évoluer et de devenir une meilleure personne avec quelqu'un d'autre que moi.
— Je suis contente que tu sois passé à autre chose, et je devrais surement faire pareil, mais te voir avec elle, ce n'est pas facile...
— Bon, je vais y aller alors...
— Ne dis pas n'importe quoi. C'est aussi l'entreprise de ton père...
— Je n'aime pas te voir comme ça, a-t-il soufflé alors que je me retournais vers lui. Ce n'est pas bon Mia... Ni pour toi ni pour moi.
— Peut-être que tu ne partages pas mes sentiments, mais ça ne te donne pas le droit de me dire que ce que je ressens est une illusion.
— Mais, sois réaliste ! Si l'on se remet ensemble, on va se détruire !
— C'est déjà ce qu'on est en train de faire ! ai-je argumenté en levant la tête vers lui. Je n'en peux plus d'avoir le ventre noué à chaque fois que je te vois et de pleurer, à chaque fois qu'on s'embrasse !
Nous nous sommes jaugés un long moment, mon corps si proche du sien, son odeur si particulière qui me berçait d'illusions, et ses lèvres s'approchant dangereusement. Pendant un quart de seconde, j'ai lu une tristesse infinie dans son regard. Et j'ai voulu croire qu'il était sincère jusqu'à ce qu'il prononce sa dernière phrase.
— Toi et moi... On ne peut pas revenir en arrière...
Je me suis éloignée de lui comme s'il m'avait brûlée. Il osait encore une fois se foutre de moi ? Il avait si peu de considération pour notre histoire ?
— Il faut qu'on arrête, a-t-il murmuré, avant que je vrille complètement.
— Je te rassure, je ne compte pas recommencer, ai-je continué en lui vidant mon verre de vin sur le sommet du crâne.
Puis j'ai disparu à l'étage et je ne suis redescendue que lorsque j'ai eu la confirmation qu'il n'était plus là.
Évidemment, peu de personnes sont au courant et nous avons toujours démenti ces épisodes. C'est en partie pour ça que tout le monde est persuadé que je ressasse une histoire vieille d'il y a sept ans.
Parfois, je me trouve stupide de ressentir encore quelque chose pour quelqu'un qui m'a fait autant de mal. La relation que nous entretenons est toxique et revenir ici n'est jamais anodin, même si je me suis persuadée que cette fois tout serait différent.
~ ~ ~
Deux jours se sont écoulés, et je ne suis plus que l'ombre de moi-même. Je me sens molle et je n'arrive plus à réfléchir. Je sais que je ne devrais pas me mettre dans un état pareil pour un garçon, mais ce n'est pas n'importe qui.
Ces quelques minutes contre ses lèvres m'ont complètement retournée, mais j'ai repris le contrôle et ça, ça n'a pas de prix. D'habitude, je finis par lui courir après et il me repousse en disant que c'est une mauvaise idée. Pour la première fois depuis longtemps, j'ai l'impression de maîtriser la situation. C'est moi qui ai mis fin à cette mascarade.
Pourtant, il me manque à en crever et ça ne rend pas la douleur plus supportable. J'ai envie de pleurer dès que je vois des gens amoureux, et la pub de purée avec le petit garçon qui perd son doudou m'a fait renifler pendant cinq minutes.
— Bon Mia, qu'est ce qui se passe ? souffle Raphaël en s'asseyant près de moi.
Cet après-midi, il m'a proposé de le retrouver sur notre aire de pique-nique préférée et alors qu'il déblatère sur tout et n'importe quoi, je l'écoute distraitement depuis une petite heure.
— Rien, dis-je en essuyant discrètement le coin de mon œil.
— Ne me dis pas "rien", quelque chose te tracasse. Ça se voit.
— C'est rien, je te dis.
Je le fixe un instant, mais il maintient mon regard. Et merde, il ne lâchera pas l'affaire.
Je n'avais pas prévu de lui en parler. J'ai peur qu'il me ne comprenne pas, car j'ai encore craqué. Comme à chaque fois, je me suis terrée dans le mutisme le plus complet et je n'ai raconté à personne ce qu'il s'est passé. Je deviens une vraie boule d'émotions prête à exploser.
Je m'en veux moi-même d'avoir été aussi faible. Je savais très bien que m'inviter au lac était plus que ça, pourtant j'y suis allée parce qu'au fond de moi j'en avais envie et que je préférais souffrir après coup plutôt que de louper l'occasion de l'embrasser une dernière fois. C'est pathétique.
Je suis pathétique.
— J'ai vécu un week-end surréaliste, avoué-je à mon meilleur ami, qui me scrute toujours.
— Au camping ?
— Non, là c'était encore plus ou moins normal... dis-je, sans vraiment y croire. Mais après ça s'est un peu corsé, quand Arthur et moi sommes allés au lac.
— Soit encore plus vague, ricane-t-il.
— On s'est embrassés.
— Oh bah merde ! s'étonne-t-il en me regardant les yeux ronds, avec une pointe d'ironie. Je ne m'y attendais pas à celle-là.
— Mais ça n'a plus d'importance. C'est arrivé trop de fois pour de mauvaises raisons, et sans rien avoir par la suite. Alors je veux juste oublier et ça ne sert à rien d'en parler.
— Tu es sûre de toi ?
— Certaine.
Je ne sais pas si j'essaie de le rassurer ou de me convaincre. Dans ma tête, tout est très compliqué. Je n'arriverai jamais à effacer tout ça de mon esprit, mais je sais que c'est le mieux à faire. Il faut que j'avance, une bonne fois pour toutes.
C'est pour ça que je ne rentre presque plus ici. C'est toujours pareil et je n'arrive pas à me reconstruire près de lui.
— Alors pourquoi tu réagis comme ça ?
— Parce que c'est surréaliste ! crié-je. L'an dernier, il m'a fait comprendre qu'il ne changerait pas d'avis ! Sauf que cette fois c'est lui qui m'a embrassé ! Je ne sais plus quoi penser...
Raphaël me prend la main alors que mes yeux reprennent la couleur rouge qu'ils ont depuis dimanche soir. Je veux arrêter le carnage qu'il provoque dans ma poitrine. J'étouffe, et j'ai besoin de respirer.
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