Chapitre 31 - Mia

Mia.

Ce matin, je me sens bien, comme enveloppée par une douce chaleur cotonneuse et réveillée par les piaillements animés des oiseaux et les premiers rayons du soleil qui transpercent la toile de tente en réchauffant l'habitacle.

J'ouvre délicatement les yeux et découvre que je ne suis pas encerclée par un nuage, mais par des bras que je ne connais que trop bien. Je me raidis en sentant sa main gauche sur mon ventre et la droite plaquée sur mes hanches contre son bassin.

Je peux dire sans l'ombre d'un doute que nous sommes en cuillères et que je sens distinctement une raideur contre ma fesse.

Je tente de me défaire délicatement de son emprise, mais mes gesticulations ne servent qu'à resserrer sa prise sur moi. Ce n'est pas que ce soit désagréable, mais j'ai peur de sa réaction au réveil. Et s'il regrettait et qu'il m'ignorait comme il l'a déjà fait cent fois ? Il m'a bien fait comprendre qu'il ne voulait pas de ça entre nous, mais qu'est-ce que j'y peux s'il me câline en dormant ? Je n'ai rien demandé ! Et si, au contraire, il m'embrassait et que nous finissions par nous détester à nouveau ? Et si ça nous empêchait de rester amis et seulement amis ?

Il faut que je respire sinon je vais me mettre à paniquer. J'inspire en fermant les yeux et expire en serrant mes poings.

Je gigote le plus discrètement possible jusqu'à me retrouver face à lui. Je sens son souffle chaud sur ma joue. Il est paisiblement endormi, son visage détendu, je le trouve particulièrement beau.

Je repense alors à la soirée d'hier. Nous avons discuté ensemble, tard dans la nuit, et c'était très plaisant. Pendant longtemps, ma colère m'a fait oublier à quel point notre relation était belle. Arthur est quelqu'un de drôle et gentil. Je ne veux pas perdre tout ça encore une fois.

Je le regarde depuis plusieurs secondes, lorsque je le sens bouger contre moi et qu'il ouvre un œil.

Pitié, faites qu'il ne s'enfuie pas.

Il referme sa paupière, se couche sur le dos et me délivre en soupirant. Tout à coup, je me sens seule et j'ai froid. J'aimerais secrètement me réfugier à nouveau dans ses bras.

— Bien dormi ?

Sa voix est grave, un peu groggy. Il se frotte les yeux sans se tourner vers moi. Je ne lui réponds pas immédiatement et me contente de le dévisager.

— Oui... et toi ?

— Le matelas n'est pas ouf.

— C'est vrai. Il se dégonfle à chaque fois, Daphné et moi avons oublié d'en racheter un.

Il ne m'a toujours pas regardé. Il se contente de fixer le plafond de la tente et j'ai l'impression qu'il a honte. Mais il n'y a pas de raison. Nous avons seulement dormi ensemble et il ne s'est rien passé, à part peut-être un câlin qui ne voulait rien dire.

Enfin, je crois.

Il regarde sa montre, qui affiche neuf heures. Nous entendons quelques bruits de pas dehors, indiquant que quelqu'un est déjà réveillé. Pourtant, je n'ai aucune envie de sortir de cette tente. C'est un peu bizarre, mais j'ai l'impression que cette toile forme une bulle où il n'y a que lui et moi, et lorsque nous sortirons, quelque chose aura changé.

Les pas s'éloignent en direction de la Cacahouète mobile, et Arthur finit par se relever et sortir sans me dire un mot. Je m'assois à mon tour en le regardant s'éloigner, encore un peu endormi. Il est vêtu d'un tee-shirt blanc froissé et de son boxer noir qui moule son postérieur à la perfection.

Et dire qu'il a à peine quelques secondes, j'étais dans ses bras...

Ça ne sert à rien de penser à ça, puisqu'il a opté pour l'option fuite et déni total de ce rapprochement fortuit. C'est sûrement mieux comme ça, je vais faire pareil et tout ira bien.

J'essaie de vite changer de sujet en me concentrant sur le planning de cette journée nature. Aujourd'hui, mon père a prévu de tous nous initier à l'art de la pêche à la mouche. Je ne suis pas sûre d'avoir assez de patience et comme je sais déjà que je risque de vite m'y désintéresser, j'ai prévu deux livres dans mon sac à dos. Mais d'abord, je dois prendre un petit-déjeuner, sinon je ne décolle pas.

Arthur réapparaît dans l'ouverture de la tente, une casserole à la main.

— Tu veux que je te fasse un thé sur le réchaud ?

— Oui, avec grand plaisir, souris-je.

— Je vais chercher de l'eau. Tu peux aller chercher la brioche dans votre voiture ?

— Tu as peur d'entrer dans la Cacahouète mobile ? demandé-je en m'étirant.

— Je n'ai pas envie de réveiller tes sœurs. Claire me fait peur le matin.

— C'est seulement si tu la réveilles en sursaut, ajouté-je, alors qu'il s'éloigne en direction de la rivière.

Je me décide enfin à sortir de ma cachette et me dirige discrètement vers la voiture pour en sortir un sac en toile. Lorsque je me retourne, je tombe nez à nez avec ma plus jeune sœur, les bras croisés, qui me regarde, suspicieuse.

— Purée, Léna, tu m'as foutu une de ses trouilles, soufflé-je en mettant ma main sur la poitrine.

— Tu as dormi avec Arthur ?

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ? soupiré-je, me dirigeant vers le tronc d'arbre pour y poser les aliments.

— Je l'ai vu sortir de ta tente, continue-t-elle en me suivant.

Je voudrais lui dire que ce ne sont pas ses affaires, que de fouiner, c'est immature, mais la connaissant, elle se vengerait en allant directement le répéter à tout le campement alors je tente l'incompréhension.

— C'était juste pour me demander si je voulais du thé.

Si je me fais prendre en flagrant délit, je voudrais au moins que ce soit pour quelque chose dont j'ai pu profiter. Comme une nuit torride avec un inconnu, mais pas un simple dodo plus frustrant qu'agréable avec mon ex.

— En slip ?

— Tu parles un peu beaucoup le matin, nous interrompt Arthur en s'approchant.

— Tu t'es remis en couple avec ma sœur ? lui demande-t-elle, en le pointant du doigt.

— Non. Mais si c'était le cas, je ne te dirai rien.

Il me lance un regard discret qui ne manque pas de me faire rougir.

— Et si...

— ... Léna, stop. Je suis désolé, mais ce ne sont pas tes affaires, continue-t-il, conservant une voix douce et posée. Il ne s'est rien passé, et toi, tu ne vas rien dire à personne. On t'expliquera en temps voulu. Je peux te faire confiance ?

— Oui, si tu veux, souffle-t-elle en prenant le paquet de pain au lait.

Comment a-t-il réussi à faire une chose pareille ? Si j'avais tenté la même approche, elle m'aurait seulement rigolé au nez, mais il l'a amadouée. Il aurait pu balancer Daphné et Léo pour faire disparaître tout soupçon, mais il n'a même pas nié avoir dormi avec moi et je crois que ça me plaît.

Il se tourne vers moi avec un sourire sincère. Ses yeux azur me transpercent et j'y lis une palette complexe d'émotions. Un peu d'amusement, de tendresse, de sincérité. Et un soupçon de mélancolie. La recette parfaite pour me faire tourner la tête. On ne peut pas retourner dans cette tente ?

Ressaisis-toi, Mia !

— Bon, je te prépare ce thé sinon tu vas rester plantée là pendant des heures, se moque-t-il alors que je grogne, juste pour la forme.

~ ~ ~

Comme je l'avais prédit, l'initiation pêche s'est terminée en catastrophe. Le manque évident de patience de mes sœurs et moi s'est soldé par une vive engueulade et un hameçon planté dans le doigt de Sophie, qui était pourtant la plus calme d'entre nous.

C'était un regrettable accident, causé par un mouvement un peu trop brusque de la part de Claire, qui s'est tout de suite excusée, mais mon père a préféré nous confisquer les cannes pour éviter un nouvel esclandre.

Les garçons, eux, ont eu l'autorisation de continuer l'activité et ils semblent se plaire à lancer insatiablement ces petits pompons colorés dans les airs.

Chacun son truc.

Le soleil de l'après-midi tape, et nous nous sommes réfugiés sous l'ombre majestueuse d'un chêne, au bord de l'eau.

Je m'allonge sur une serviette de plage, installée entre Sophie, qui feuillette un magazine, et Daphné qui surfe sur les réseaux sociaux. Je porte mon nouveau monokini vert dos nu, et je suis armée d'une romance d'été feel-good que je compte dévorer pendant ce week-end au vert.

C'est toujours plus intéressant que ma propre vie amoureuse.

— Alors, cette nuit d'amour ? demande Sophie.

— C'était vraiment super, sourit notre grande sœur. Je crois que je n'ai jamais été aussi heureuse.

— Tu n'exagères pas un peu ? me moqué-je.

— Tu es jalouse, soupire-t-elle.

Je la bouscule gentiment et lève la tête en direction des pêcheurs du dimanche, ou du samedi en l'occurrence.

Au milieu, Arthur se concentre, moulé dans son tee-shirt kaki et son short de bain noir. Ses biceps se contractent à chaque fois qu'il jette son fil et roulent sous sa peau avec une sensualité hypnotisante. Son petit rire et sa façon de retrousser son nez quand son frère fait l'âne me font sourire.

Stop.

Je soupire en fermant les yeux. C'est la troisième fois aujourd'hui que je me surprends à le regarder et c'est une très mauvaise idée. C'est toujours comme ça que ça commence. Il se comporte comme celui que j'ai toujours admiré, et après, je me mets à pleurer quand il me dit le contraire de ce que j'ai envie d'entendre. Il serait temps de grandir et d'évoluer, non ?

— Tu... Tu dors avec Léo cette nuit ? demandé-je en me tournant vers Daphné.

— Non, je dors avec toi. Je ne vais pas t'infliger ça deux fois de suite.

— Cool... C'est cool...

Je lui souris et acquiesce de la tête, en essayant de cacher ma déception. C'est une bonne chose, sinon ça pourrait devenir très gênant et ce n'est pas ce que je veux. Je dois me protéger.

Mais alors pourquoi je me sens triste ?

— Et toi, Mia, ça n'était pas trop bizarre de dormir avec Arthur ? me questionne Sophie.

— Non, c'était normal, dis-je en plongeant la tête dans mon livre.

— Je me suis dit que peut-être ça aurait pu te bouleverser, continue-t-elle en me fixant, un petit sourire au coin des lèvres.

— Bon, ok vous avez raison, finis-je par avouer en fermant mon bouquin. Il s'est passé un truc, mais ce n'est pas ce que vous croyez.

Mes deux sœurs se relèvent sur leur serviette et me scrutent à l'affût d'un potin plus ou moins croustillant. Le réveil de ce matin me déstabilise et même si j'imagine qu'elles vont me dire que ce n'est rien, ou que j'en fais tout un flan, je suis au bord de l'explosion et je crois que j'ai besoin d'en parler. Je prends une grande inspiration et alors que je m'apprête à ouvrir la bouche nous sommes interrompus par une voix que je reconnaitrais entre mille.

— La pêche s'est finie, ça vous dit une petite baignade ?

— Rooh Arthur, tu ne vois pas qu'on est en pleine discussion, râle Daphné en le fusillant du regard.

— Oups, pardon.

Le principal intéressé repart en ricanant et mes deux sœurs reportent immédiatement leur attention sur moi. Mais son interruption a créé un petit pincement dans ma poitrine et je le regarde partir, avec sa démarche décontractée, les mains dans les poches. J'ai l'impression d'être la seule que cela perturbe et c'est sûrement le cas.

— J'espère qu'il n'a rien fait de mal, continue notre grande sœur.

— C'est ton meilleur ami, je te rappelle. Pourquoi tu vois toujours le mal partout ? souffle Sophie. Peut-être qu'il a bien fait les choses, cette fois.

— Comment ça "cette fois" ? s'étonne Daphné. Ils n'ont été ensemble qu'une seule fois.

— C'est ce que dit Arthur ? rigole la plus jeune de nous trois.

— Ok, dis-je en me levant. On finira cette discussion plus tard. Ce n'est pas si important, et j'ai bien envie de faire un plouf.

Je marche en direction des garçons qui trempent leurs pieds dans l'eau, laissant mes sœurs en train de se disputer sur ma relation avec mon ex.

Je ne suis pas vraiment étonnée qu'Arthur ne lui ait pas tout raconté, et après tout, il n'y a pas grand-chose à dire. On ne s'est jamais remis ensemble et il n'y a eu qu'un rapprochement, qui s'est terminé en fiasco et on s'est détesté à chaque fois. J'ai eu besoin de me confier auprès de Sophie et Raphaël, mais il n'en a pas ressenti le besoin, et ce n'est pas grave.

Maintenant, je préfère que toute cette histoire reste là où elle est, c'est-à-dire, dans un coffre à double tour au fin fond d'un grenier oublié de tous.

Léo se tourne vers moi et je tente d'arborer mon sourire le plus convaincant. Je n'aime pas repenser à tout ça et ce n'est vraiment pas le moment d'avoir un coup de mou.

~ ~ ~

Il est dix-huit heures quand le soleil disparaît sous l'épais feuillage des chênes qui nous entourent, emportant avec lui la chaleur de ses rayons. Après deux bonnes heures à jouer dans la rivière, j'attends mon tour pour faire ma toilette dans la douche solaire qu'a installé mon père derrière un buisson et je prie pour qu'il me reste de l'eau chaude. Même si tout le monde a eu la consigne de ne pas traîner, je connais trop bien mes sœurs pour savoir que passer en dernière est sûrement une mauvaise idée.

Assise en tailleur dans l'herbe, en short et maillot de bain, je regarde dans le vide en direction du cours d'eau, fatiguée, mais heureuse d'être ici.

Je crois que c'est exactement un week-end comme celui-ci qu'il me fallait pour recharger mes batteries et faire un point sur mes envies. Je me sens bien plus sereine et équilibrée qu'au début de ces vacances d'été.

Revoir Arthur n'est jamais anodin. Et même si je ne l'aime plus, il remue un maelström d'émotions positives et négatives au fond de mes entrailles. Je l'ai détesté pendant des années pour tout ce qu'il me fait ressentir et c'est plus simple quand je le sais loin.

Tout est plus compliqué quand je suis ici, dans cette ville qui m'a vue devenir cette adolescente mal dans sa peau. Si je ne reviens que très peu, c'est aussi pour fuir ce sentiment désagréable de faiblesse qui caractérisait la fille de seize ans angoissée et timide que je ne suis plus. J'ai grandi et je pense être plus confiante sur la personne que je suis et celle que je veux devenir, mais mon inconscient s'amuse à me rappeler que j'ai peut-être gâché ma plus belle histoire d'amour avec l'abruti au sourire ravageur qui vit à quelques pas de chez mes parents.

Et c'est sûrement vrai, mais y penser n'arrangera pas les choses.

Je décide de me lever et de partir en direction du campement où tout le monde s'active déjà pour préparer le repas du soir. Léo et Bernard rigolent en plaçant les branches dans le futur feu et je m'assois sur l'une des chaises de camping, à côté d'Arthur qui farfouille dans un cabas.

Il relève la tête en souriant. Il porte un gros sweat noir, un jogging gris et ses cheveux encore mouillés se collent sur son front rougi par le soleil.

— Tu as froid ?

— Un petit peu, dis-je en resserrant mes deux bras autour de moi.

— Attends.

Arthur tire sur son haut et le retire avant de me le tendre.

— Non, merci. C'est bientôt mon tour d'aller à la douche.

— Prends-le, insiste-t-il.

— Et toi ?

— Moi je n'ai pas les lèvres violettes, se moque-t-il.

Je lui tire la langue en grimaçant, et il passe le col de son haut au-dessus de ma tête. Je m'engouffre rapidement à l'intérieur. Son parfum boisé se dégage de chaque parcelle de tissu et vient envahir mes narines.

— Merci, murmuré-je, alors qu'il s'accroupit près de moi sans me quitter des yeux.

Il a toujours cette lueur presque triste dans le regard et je donnerais tout pour comprendre enfin ce qui le tracasse.

Je ne suis peut-être pas la seule à avoir du mal avec cette nouvelle facette de notre relation. Peut-être serait-il temps que nous ayons une discussion ouverte et sincère sur notre passé pour nous libérer de tous ces non-dits et passer définitivement à autre chose, ou, au contraire, repartir sur de nouvelles bases. Mais pour ça, il faudrait déjà que j'en aie envie.

Est-ce que j'en ai envie ?

Non. Je ne vois pas pourquoi ce serait différent cette fois.

— Mia, c'est ton tour ! crie Sophie.

— Euh, oui... J'arrive, dis-je en rompant ce moment.

Arthur se relève et recule d'un pas en baissant la tête. Je me mets, à mon tour, sur mes deux pieds et je le regarde une dernière fois avant de disparaître. Bien sûr que non. Je n'ai pas envie que ça change. Ce serait ridicule de penser que les choses seraient différentes.

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