Chapitre 28 - Arthur


Arthur.

Mes yeux l'ont repéré tout de suite. Assise près du bar, elle hochait la tête en écoutant attentivement Raphaël, ce qui avait pour effet de faire bouger ses longs cheveux qui tombaient en cascade dans son dos. Dos sur lequel John a posé sa main, comme si elle lui appartenait.

J'ai du mal à ne pas réagir. Mais j'ai encore plus de mal à accepter le sentiment que cela me procure. J'en veux à cet homme, qui est censé être mon ami, d'avoir ce que je veux depuis des années.

Quand elle s'est retournée et qu'elle m'a vu, je n'ai pas pu me résoudre à détourner le regard. Mes pupilles ancrées dans les siennes, j'ai l'impression qu'elle me plante une grande épée dans le ventre qui se tord à en devenir douloureux. Notre échange dure depuis plusieurs minutes et je ne suis pas sûr de le comprendre lorsqu'elle m'offre un sourire craquant qui finit par me faire fondre.

Eh merde... Elle me fait un effet de dingue.

Notre contact est rompu par Raph qui lui tire la manche en rigolant. Elle sursaute et je la regarde s'éloigner, rayonnante, avec son rencard qui ne se prive pas de placer son bras autour de ses épaules. Je ravale difficilement ma déception et serre la mâchoire pour ne pas dire ou faire une connerie. Ça fait bien plus mal que je le pensais.

Léo vient se placer à côté de moi et je prie pour qu'il n'ait pas remarqué ce qu'il vient de se passer.

— Bon, tu parles de moi et de mon incapacité à avouer mes sentiments à Daphné, mais tu comptes te lancer un jour ?

— Je ne sais pas de quoi tu parles, grogné-je.

Je n'ai parlé à personne de tous les vieux sentiments qui m'ont envahi et j'étais convaincu d'être discret. J'aurais dû me douter qu'il s'en rendrait compte qu'elle monopolise toutes mes pensées. Il est mon frère jumeau, et il me connaît mieux que quiconque.

— Ne me prends pas pour un con. Je suis ton frère et ça crève les yeux. Ça m'étonne qu'elle n'ait rien vu.

— Elle préfère John.

— Si tu ne réagis pas, ils vont finir ensemble.

— C'est peut-être mieux comme ça.

Je me renfrogne complètement en croisant les bras comme un gosse. Je sais, c'est immature, mais je n'ai pas envie de me justifier. Si je ne fais rien et que je m'efface, c'est pour lui laisser une chance d'être heureuse. Je n'ai pas le droit de lui avouer ce que je ressens et de foutre le bordel dans sa tête une fois de plus.

— Tu sais très bien ce que je pense de tout ça. Vous étiez jeunes et un peu cons, pourquoi ça ne pourrait pas être différent maintenant ?

— Tu sais exactement pourquoi, grondé-je en le fusillant du regard. Je ne veux pas parler de ça ici.

Mia ayant disparu des radars, je me tourne vers les voix de nos amis, revenants vers nous, des barbes à papa rose, verte, et bleue à la main. Daphné, Jona, Camille et Medhi n'ont pas remarqué mon écart et rigolent d'une blague douteuse faite par le coach sportif.

Ma meilleure amie s'approche et me tend un gros morceau de nuage vert dégoûtant, que je décline en faisant la grimace.

— C'est à quoi ton truc ?

— Pomme. Je t'assure que c'est bon.

— Je te le laisse.

Elle hausse les épaules et s'avance vers Léo qui lui vole un bout de barbe à papa alors qu'elle le gronde en riant. Je souris en les voyant et fais, instinctivement, un tour d'horizon à la recherche d'une autre tête brune.

— Allez les garçons ! Venez danser ! s'exclame Camille en sautillant sur place en attrapant mon bras.

— Ça sera sans moi, réponds-je.

— Tu n'es pas drôle.

— Je sais.

— Et c'est pire sur une piste de danse, ironise mon frère.

Je hausse les épaules, en souriant. Il n'a pas tort. Je suis rigide comme un bâton, à peu près aussi serein sur une piste de danse que chez le médecin et j'ai compris très tôt que mon malaise me rendait d'autant plus ridicule. Je suis lucide sur mes capacités de nageur, tout comme celles de danseur et j'ai choisi mon camp.

— Léo ! Mehdi ! s'écrit Jona en les tirant par la manche.

— Non, désolé les filles, commence Mehdi pour entendre les filles le supplier. Vous n'êtes pas assez vieilles pour moi, s'amuse le clown avant de faire un petit pas de danse et d'escorter les deux amies jusqu'à la piste.

Léo suit le mouvement et je m'adosse contre l'un des arbres du parc pour les regarder gesticuler sur la piste. Daphné est à côté de moi et elle les observe silencieusement. Elle ne semble pas décidée à les rejoindre et si je ne la connaissais pas, je dirais que quelque chose la tracasse et que ce quelque chose commence par la lettre "L".

— C'est quoi cette histoire avec un certain Jules ? demandé-je en me tournant vers elle.

— Qui t'a parlé de lui ? répond-elle sans sourciller.

— À ton avis.

Elle reste immobile et soupire en mangeant un morceau de barbe à papa. J'aimerais qu'elle se confie à moi, après tout, c'est ce que nous faisions avant que la situation ne devienne si compliquée. Je veux qu'elle sache que rien n'a changé et que je ne veux que son bonheur.

— Ça le rend complètement fou de ne pas savoir. Il essaie vraiment de découvrir de qui il s'agit, et...

— ... Il peut toujours chercher. Jules n'existe pas, m'interrompt-elle.

— Pardon ? rigolé-je.

— Tu as bien compris. Ton frère faisait le malin avec ses phrases de mec détaché et j'en ai eu marre. Je l'ai inventé pour qu'il comprenne que pour moi aussi ce n'était pas du sérieux.

— Tu sais que son numéro de blaireau insensible c'est une carapace, rassure-moi ?

— Comment ça ? dit-elle timidement.

— Vous êtes deux gros handicapés des relations, sérieusement. S'il fait ça, c'est justement pour te faire comprendre qu'il tient à toi plus que prévu et toi, tu inventes un mec pour qu'il soit jaloux ?

— Je n'ai pas de conseil à recevoir de toi. Tu as raté toutes tes relations amoureuses parce que tu es incapable de t'investir entièrement.

Aïe. Ça fait mal.

Mais elle a raison, j'ai toujours été un trouillard et je n'ai jamais voulu faire d'effort, pourtant, j'ai toujours été meilleur pour donner des conseils plutôt que de les suivre.

— Ça n'a rien à voir. Si j'avais senti que c'était la bonne, j'aurais peut-être fait des efforts, mais là, tu éloignes mon frère de toi, car tu as peur.

— Évidemment que j'ai peur ! finit-elle par avouer, les yeux brillants. C'est une situation merdique. Je n'ai pas envie de perdre ton frère, ni toi...

— Tu ne me perdras pas, lui sourié-je en la prenant dans mes bras. Et concernant Léo, votre relation a indéniablement changé alors pourquoi ne pas prendre le risque ?

Daphné se contente de poser sa tête sur mon épaule sans un mot. Nous regardons à nouveau la piste de danse où Mehdi fait son numéro de break dance favori pour impressionner les filles.

Ce mec est vraiment incroyable. Sa joie de vivre est contagieuse et ce ne sont pas les personnes autour qui diront le contraire. Il gigote avec une classe innée et arrive à ambiancer tous ceux qui l'entourent. Une jeune blonde semble, d'ailleurs, particulièrement intéressée et lui fait ses plus beaux mouvements de bassin.

À côté, Jona et Camille dansent ensemble sans se préoccuper du monde extérieur et Léo se tourne vers nous en faisant un signe de tête à Daphné, pour l'inviter à la rejoindre. Cette dernière soupire un instant avant de se tourner vers moi.

— Je vais le rejoindre.

— Fonce, réponds-je en la poussant doucement vers son Roméo alors que je reste contre mon arbre.

Je n'en ai peut-être pas l'air, mais je m'amuse plutôt bien. Enfin, j'essaie, en observant les danseurs. Certains ont vraiment un flow très particulier.

Il est un peu plus de vingt-trois heures et je n'ai pas repensé à Mia de la soirée. Enfin, presque.

Mais j'essaie de me concentrer sur autre chose, comme par exemple Léo et Daphné qui se sont mis à danser un slow devant tout le monde sans se soucier des regards choqués de Mehdi et Jona, juste à côté.

Une petite heure plus tard, nous nous apprêtons à prendre le chemin du bar. La tête remplie de doutes, je ne remarque pas tout de suite le petit groupe que nous croisons pour la première fois de la soirée.

— Eh salut ! s'exclame Daphné en prenant sa sœur dans les bras, toujours accompagnée de John, Raph et Stella.

— Ça va ?

Tout le monde s'embrasse et, lorsque la seule fille qui hante toutes mes pensées ces derniers jours s'approche de moi, je fais en sorte que le moment soit aussi court que possible.

Ce soir, c'est un peu trop.

— Alors, qu'est-ce que vous faites ? demande ma meilleure amie.

— Je m'apprêtais à partir, annonce Mia. Demain, je travaille.

— Tu rentres seule ? s'étonne Daphné.

— Non, je l'accompagne, annonce John en faisant un pas vers les deux sœurs.

Et merde, il est vraiment fort. Le coup du chemin retour, tous les deux, c'est un grand classique. Il aura tout le loisir de l'embrasser sur le pas de la porte. Tout du moins, c'est que ce j'aurai fait, si j'étais à sa place.

— On se rejoint à la maison, continue l'aînée Gomel alors qu'ils partent tous les deux en direction de la sortie.

Je ne peux pas m'empêcher de la suivre du regard une dernière fois. Je suis vraiment pathétique, et ma réaction me ramène à l'adolescence, quand j'étais encore un gamin incapable de porter ses couilles et de dire à la fille de ses rêves qu'il veut l'inviter à prendre sa main. Seulement, maintenant, il n'y a pas qu'elle et moi, notre naïveté est morte il y a plusieurs années et je ne peux pas effacer notre passé dans un claquement de doigts.

— Moi aussi, je vais rentrer, finis-je par annoncer.

Je crois qu'il est mieux d'arrêter la soirée ici. Je suis au bord de l'explosion et personne n'a besoin d'être spectateur de ma mauvaise humeur.

— Ah bon ? Mais pourquoi tu ne l'as pas dit plus tôt, vous auriez pu rentrer tous les trois.

— Non. Je crois qu'ils préféraient être seuls.

Je n'ai aucune envie de les voir se sourire et constater à quel point ils sont proches. C'est déjà bien assez horrible dans mon imagination.

Je m'applique à dire au revoir à tout le monde en prétextant une grande fatigue et pars vers la maison où j'aurai enfin de plaisir de me retrouver seul, pour ruminer mon mal-être.

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