Chapitre 27 - Mia


Mia.

Cela fait un peu plus d'une heure que je suis avachie sur mon lit, les yeux rivés sur mon écran de téléphone. Les réseaux sociaux ne montrent rien d'intéressant. Raphaël était censé venir me chercher à quatorze heures pour une journée ensemble, mais je commence à me dire qu'il m'a oubliée.

Je ne le vois pas beaucoup en ce moment. Il est en période lune de miel avec Stella, il aide son père dans les travaux de leur ferme et il n'a plus le temps pour autre chose. Je dois avouer que je suis un peu déçue. Je pensais que le fait d'être au même endroit pendant tout l'été nous permettrait de rattraper le temps perdu, mais finalement, nos vies respectives n'ont pas permis de nous voir autant que nous l'aurions voulu.

— Toc-toc-toc.

— Qui est là ?

— La personne que tu aimes le plus au monde, s'exclame le traître en entrant dans la chambre.

— Impossible, rétorqué-je en me tournant vers lui. Chris Hemsworth ne connaît pas encore mon existence.

— Wow ça fait mal... gémit-il en imitant une balle lui transperçant la poitrine et en s'écroulant à côté de moi sur le matelas.

— Désolée, Raph. Tu ne feras jamais le poids contre lui.

— Mais moi, je suis réel.

— Chris aussi, dis-je en me tournant vers lui. Et quand j'irai vivre aux USA, on se mariera.

— À moins que tu ne te maries avant.

— Avec qui ?

— Fais un petit effort, me taquine-t-il. J'ai plusieurs noms qui me viennent en tête. John, mon super cousin musclé et particulièrement intelligent, ou bien l'indétrônable Arthur Pietron qui vit dans la rue d'à côté et qui passe littéralement ses journées ici.

Je détourne le regard et m'applique à lisser méticuleusement le morceau de couette qui est devant moi.

— Ne dis pas n'importe quoi.

— J'essaie juste de comprendre ce que tu veux, me sourit-il.

— Arthur et moi, c'est de l'histoire ancienne, tranché-je. Et concernant John, il est gentil. Je ne sais pas où ça va mener, mais je ne suis pas sûr que cela mène quelque part.

— Si tu le dis, se contente-t-il de répondre, coucher sur le dos en regardant le plafond.

Je n'ai toujours pas envie de penser à ça, mais je peux compter sur Raph pour me mettre face à mes questionnements.

Il le fait pour mon bien, mais ces derniers jours sont un peu perturbants. Un tas de questions tournent en boucle dans mon esprit et je ne sais plus quoi faire. Je devrais être sur un petit nuage après mon rendez-vous paradisiaque avec John. Il a vraiment sorti le grand jeu, le lieu était magnifique, la nourriture excellente et lui un parfait gentleman, mais quelque chose me chiffonne. C'est comme si nous n'étions pas sur le même fuseau horaire, ou carrément, pas sur la même planète. J'avais envie de croire que c'était possible, mais il n'y a eu aucune étincelle. Et je crois que j'ai besoin de ressentir plus qu'un simple attachement amical pour me lancer dans une nouvelle histoire.

Une petite partie de moi se sent coupable, depuis ma discussion avec Arthur après mon rendez-vous. Je ne me suis jamais montrée en couple devant lui et je sais que j'ai détesté le voir avec Tiffany. C'est peut-être pour ça qu'il est si bizarre en ce moment.

Lui et moi sommes très souvent ensemble et c'est peut-être vrai qu'il parasite mes pensées et m'empêche de me projeter dans un avenir avec un autre. Je ne devrais pas culpabiliser, on est amis. Mais peut-être que c'est pour ça que les ex ne restent jamais en contact ? Par peur de se gâcher la vie.

— Qu'est-ce qui te tourmente ? demande Raph en essayant de capter mon attention.

— Rien. Tu comptes vraiment parler de moi, sans m'expliquer pourquoi tu as plus d'une heure de retard ?

— Je suis vraiment désolé, j'ai aidé mon père à déplacer des trucs dans la grange et je n'ai pas vu l'heure. Est-ce que je peux me faire pardonner avec une glace ?

— Tu penses vraiment qu'une glace va suffire ? grogné-je, faussement énervée.

— J'espère. Car je suis un étudiant fauché qui travaille bénévolement pour ses parents et je ne peux pas te proposer mieux.

— Tu lui sors la même excuse à ta copine ?

— Mmmh... Non. Je trouve des excuses plus convaincantes, du genre : "c'est beaucoup plus romantique de faire un repas maison" ou "manger une glace dans mon salon, c'est plus intimiste".

— Et ça marche ?

— Bien sûr. Elle boit mes paroles, ironise-t-il.

Je rigole en me relevant et m'approche de mon placard pour choisir une veste. Raphaël s'assoit et me demande :

— Qu'est-ce que tu veux faire ?

— Comme tu veux. J'ai juste besoin d'aller en centre-ville pour m'acheter un anti-moustique, sinon mon week-end va être un vrai calvaire.

— Super, on commence par ça. J'ai dit à Stella de nous rejoindre vers dix-huit heures. C'est bon pour toi ?

— C'est parfait, dis-je alors que nous sortons de la chambre.

Je suis vraiment contente que nous ayons réussi à trouver un temps pour profiter l'un de l'autre et je compte bien profiter de lui !

Une petite demi-heure plus tard, nous marchons le long de la rue centrale jusqu'à la pharmacie, et Raphaël m'explique les démarches qu'il a entrepris pour trouver un nouvel appartement dans la ville de son Master. Les résultats sont tombés il y a quelques jours et il doit maintenant penser à tout déménager avant septembre, pour sa rentrée scolaire.

— Tu as des pistes ? demandé-je alors que nous poussons la porte en verre.

— Non, les choix sont vraiment limités. Je suis en train de me demander si je ne vais pas me mettre en colocation, pour avoir un meilleur confort de vie.

— Oui, ce n'est pas une mauvaise idée, dis-je en suivant la direction que m'indique un énorme moustique en carton. Mais tu n'as pas peur de te retrouver avec un inconnu ?

— Je vais demander à Arthur s'il n'a pas de contact, puisqu'il a fait le même Master, m'explique-t-il en reniflant un shampoing.

Je m'arrête devant le rayon des répulsifs à insectes et m'applique à chercher le produit miracle qui m'aidera à survivre à mon week-end au bord de l'eau.

— Et toi, ta rentrée ?

— Rien de bien nouveau, je suis toujours dans la même université, rien ne va vraiment changer, réponds-je en attrapant une lotion promettant une protection de douze heures.

— Tu devrais chercher un stage près de mon Master, je t'héberge.

— C'est faisable, continué-je en reposant le flacon. Mais je veux d'abord savoir avec quel genre de dégénéré tu vas vivre.

— Je te dirai dès que j'aurai un appartement.

— À ton avis, j'achète une lotion ou un bracelet aux huiles essentielles ? soufflé-je en prenant un produit dans chaque main.

— Aucune idée, dit-il en s'approchant. Prends tout, au moins tu es sûre d'être protégée.

— Tu mets quoi d'habitude ?

— Rien. Je ne me fais jamais piquer.

Je me relève et le regarde méchamment.

— La vie est vraiment injuste.

— En attendant, dépêche-toi. On ne va pas passer l'après-midi ici.

Je prends un spray au hasard sur l'étagère et me dirige vers la caisse pour payer mon article. Puis, Raphaël et moi décidons de flâner dans les rues de notre ville en attendant le moment de rejoindre Stella au marché des producteurs.

Ce marché a lieu, tous les ans, dans le parc public de la ville, autour du belvédère en fer forgé qui nous a vu grandir, Raphaël et moi. C'est l'une des grandes fêtes de la saison. Les habitants aiment se réunir ici, pour boire un verre et manger les spécialités de notre région. Chaque stand est placé dans un chalet en bois et une multitude de lampions multicolores sont suspendus et diffusent une lumière douce et intimiste. L'odeur caractéristique du méchoui, des accras de truites, et des desserts sucrés planent dans les allées et finissent de convaincre les curieux.

Je ne rate jamais une occasion de m'y rendre, et cette année, John m'a proposé d'y aller avec lui. Raph devait venir accompagné de Stella, et nous avons finalement décidé de nous rejoindre tous ensemble. Je mentirais si je disais que ça ne me rassure pas. Tant que ce n'est pas clair dans ma tête, je préfère ne pas lui donner de faux espoirs.

Mais de toute façon, là, maintenant, j'ai d'autres choses en tête. Je suis comme une enfant devant une devanture pleine à craquer de bonbons multicolores. Je regarde chaque échoppe avec euphorie. Les effluves de nourriture qui viennent chatouiller mes narines et le bruit caractéristique des plats en préparation me mettent l'eau à la bouche.

— Vous voulez manger quoi ? demande John.

— Tout ! m'exclamé-je avec, peut-être, un peu trop d'enthousiasme.

Mon meilleur ami et John se marrent, habitués à mes sauts d'humeur, tandis que Stella me regarde, dubitative.

— On fait comme d'habitude ? finis par me demander Raph.

— Oui, sourié-je exagérément.

— Euh... Comment ça ?

Je sais très bien ce qu'est en train de se dire Stella. D'ailleurs, on me l'a dit toute ma vie. Je suis en surpoids, alors je devrais faire attention à ce que je mange. Je mets ma vie en danger, et que je ne suis pas assez motivée pour suivre correctement un régime.

Mais non. Ce n'est pas aussi simple.

Et oui. J'en ai essayé des millions.

Je finissais toujours en pleurs et les résultats n'étaient jamais ceux attendus. Pendant des années, j'ai vraiment cru que j'étais coupable, mais avec le temps j'ai appris à m'entourer de personnes qui m'aiment pour ce que je suis.

— Faisons un tour d'horizon et voyons ce qui nous fait envie, propose mon meilleur ami en prenant amoureusement la main de sa dulcinée.

Et je suis contente de pouvoir compter Raphaël parmi ces personnes. Il ne m'a jamais jugée pour quoi que ce soit, et je sais que je peux compter sur lui, à cent pour cent.

John s'approche et pose sa grande main sur mon épaule, en m'invitant à marcher près de lui. Sa galanterie me touche, même si je ne suis pas habituée à ce genre de comportement. Je me contente de lui sourire et nous avançons dans les allées en envisageant chaque stand que nous dépassons. Alors que je détaille une échoppe de burger végétarien, une voix familière m'appelle près du mouton à la broche.

— Mia !

Je me tourne vers ma mère qui m'accueille les bras ouverts.

— Maman, qu'est-ce que vous faites là ? demandé-je en me blottissant contre elle.

— Comme vous. On profite de la soirée, me répond mon père, accompagné de Bernard et Margot Pietron.

Je m'approche et les salue tour à tour.

— Tu vas bien ? me demande la mère des jumeaux.

— Oui, merci. Et toi ?

— Tu nous as manqué au dernier repas, dit-elle sur le ton de la confidence.

— Oui, je... tenté-je, un peu gênée, en évitant de regarder John. J'avais déjà un truc de prévu. Mais je serai là ce week-end.

Les adultes me regardent en souriant, et je sais qu'ils ne sont pas dupes. Mes joues sont rouges, mon visage reflète ma culpabilité, et je n'ai jamais su inventer un mensonge qui tienne la route. Je ressens ce que doit endurer ce pauvre animal à la broche, scruté par tous les passants et j'ai très chaud tout à coup.

— D'ailleurs, Raphaël, tu es le bienvenu ! continue mon paternel. Ça fait longtemps qu'on ne t'a pas vu traîner à la maison.

— C'est gentil, mais je suis pas mal occupé cet été. J'aide mes parents à la grange.

— Et ça n'a rien à voir avec la jolie jeune fille qui t'accompagne ? rigole mon géniteur, dont je me désolidarise complètement.

— Papa, soufflé-je.

— C'est Stella, ma petite amie.

— Enchantée, dit-elle timidement.

Raph et moi sommes amis depuis presque vingt ans et il connaît une grande partie de ma famille. Et même si mon père aime ses cinq filles, et qu'il ne nous a jamais fait ressentir un quelconque manque, je sais qu'il apprécie de voir mon meilleur ami à la maison, ainsi qu'Arthur et Léo. Il fait partie de ces hommes qui, pour une raison obscure, ont toujours voulu un fils pour lui transmettre leur héritage.

— Et tu es ? interroge ma mère.

— John, le cousin de Raphaël, se présente-t-il en souriant.

— C'est pas vrai ! Qu'est-ce que tu as grandi !

— Bref, on va vous laisser, dis-je pour couper court à la discussion. Passez une bonne soirée.

Puis, après un geste furtif de la main, je m'éloigne de ce malaise sans me préoccuper de savoir si mes camarades me suivent. Ce n'est absolument pas le moment de présenter John, de quelque façon que ce soit. Pour le moment, il n'est rien d'autre que la famille de mon meilleur ami, et c'est la seule chose que doivent comprendre mes parents. Dans un peu moins de neuf semaines, je repartirais faire mes études à plusieurs heures d'ici, et je ne dois pas l'oublier.

Après avoir déambulé plusieurs fois dans les allées, nous avons fini par nous décider pour une portion de méchoui, une part de tarte à la truffe, une soupe de courgette et des tartinades faites maison. Assis sur des chaises de bar, autour d'un ancien baril en bois, nous dégustons ce festin et je commence à ne plus avoir faim du tout.

Ce petit moment de partage m'a permis de discuter avec Stella qui semble plus souriante et bien moins désagréable que dans mon souvenir. Pour ma défense, elle avait brisé le cœur de Raph, et je lui ai -peut-être- fait payer ça en exacerbant ses défauts, en la rendant immonde aux yeux de tous.

— Bon, après tout ça, je me ferais bien un petit dessert, annonce mon meilleur ami en s'étirant de tout son long.

— Ça sera sans moi, nous prévient Stella.

— Pourquoi pas, dis-je sans vraiment y croire.

Je ne suis pas sûre qu'un dessert soit un choix raisonnable, mais j'ai vu un marchand de sorbets maison qui ont l'air vraiment exquis.

— Je vais les chercher, se propose John, en posant sa main dans mon dos. Tu veux une barbe à papa ou une pomme d'amour ?

Je me retourne, attirée par l'odeur alléchante du vendeur de sucreries et croise deux grands yeux bleus qui m'examinent au loin dans la file d'attente.

Arthur est là, près du stand et il me fixe.

— ... Mia ? ...

Mon cœur bat si fort que je n'entends plus la conversation. Il a ce regard triste qui le poursuit depuis plusieurs jours, et je ne peux pas m'empêcher de me demander si j'en suis responsable. Les voix me semblent de plus en plus lointaines et je ne vois plus que lui, avec sa veste en jean brut et sa casquette de l'équipe de natation.

J'ai passé un bon moment jusqu'à maintenant, mais sa présence me tord l'estomac. Toute ma culpabilité remonte à la surface et un malaise m'envahit. Je ne peux plus le nier, quand il est là, j'ai beaucoup de mal à être proche d'un autre.

Je n'ai pas d'explication à donner sur ce que je ressens. Je le ressens, voilà tout. Et ça n'a aucun sens.

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