Chapitre 26 - Arthur
Arthur.
Aujourd'hui, je reçois les résultats de mon Master en génie-mécanique, et même si je pense avoir plutôt bien réussi les examens, tant que je n'ai pas vu le mail indiquant que je suis diplômé, rien n'est sûr.
Je me suis rendu très tôt chez les Gomel, pour profiter de leur connexion internet et après m'être préparé un café corsé, je me suis installé autour de l'îlot central de leur cuisine, la boule au ventre.
Il est sept heures cinquante-quatre et les minutes s'étirent toujours plus loin...
— Salut, s'exclame Mia en entrant dans la pièce.
— Mmh, grogné-je comme seule réponse.
J'ai rafraîchi la page vingt fois en dix minutes et pour le moment rien n'a changé. Du coin de l'œil, je la vois se préparer un thé en chantonnant. Depuis qu'elle fréquente John, tout devient confus dans ma tête. Je me doutais bien que j'allais la croiser dans sa propre cuisine, mais aujourd'hui mon diplôme est plus important que mes sentiments déraisonnables la concernant.
— Je te propose une petite camomille ? Tu as l'air tendu.
— Mia... râle-je en relevant les yeux vers elle.
Elle explose de rire et j'ai envie de l'étriper.
— Tu as un sens de la répartie très aiguisé ce matin.
— Merci, dit-elle en versant de l'eau chaude dans sa tasse Hulk en 3D ridicule.
— Ce n'était pas un compliment.
— Je le prends comme tel, sourit-elle en haussant les épaules. Qu'est-ce qui te rend si nerveux ?
Je l'ignore un instant. Je n'ai pas envie de lui partager mes angoisses.
Elle s'approche et se penche pour regarder mon écran d'ordi. Son tee-shirt gris m'offre une vue plongeante sur son décolleté. Elle ne me rend vraiment pas la tâche facile. Je sais qu'elle ne fait rien pour, mais quand elle est dans les parages tous mes sens sont en alerte. Je ne réfléchis plus correctement et j'ai des idées obscènes qui me viennent à l'esprit. Sa peau chaude et duveteuse est un appel au crime.
— J'attends la confirmation de mon diplôme, réponds-je en fermant les yeux pour me concentrer.
J'ai besoin de passer à autre chose et, pour ça, nous devons rester dans la case "amis". Mon plan est simple, être physiquement loin d'elle pour éviter tout faux espoir à mon cerveau, mon cœur et aussi, mon entre-jambe.
— Ils ne te l'envoient pas par texto ?
— Si, mais j'ai fait tomber mon téléphone dans les toilettes un jour où je n'étais pas dans mon assiette, alors je suis obligé de rafraîchir cette page.
— Tu es souvent de mauvaise humeur en ce moment, dit-elle en me caressant l'épaule.
— Surtout quand tu es là. La coïncidence est frappante, rétorqué-je, un demi-sourire aux lèvres.
Je préfère lui avouer tout ça sur le ton de la rigolade, car elle n'a pas besoin de connaître les pensées qui m'habitent actuellement. Elle a tourné la page et je n'ai pas le droit de lui enlever ça.
— Mmh, je vois, c'est logique. Je suis l'ex-diabolique donc j'ai le mauvais rôle.
— Ce n'est pas moi qui le dis.
— Qu'est-ce que je t'ai fait cette fois ?
— Est-ce que je suis obligé d'avoir une raison pour détester mon ex-petite copine ?
Ou pour l'apprécier un peu plus que prévu ?
— Non, c'est vrai que la méchanceté gratuite, c'est cool.
Elle me bouscule en souriant et je me détourne à nouveau pour ne pas la regarder trop longtemps.
— Plus sérieusement, ça va mieux depuis samedi ?
Et voilà qu'elle se met elle-même à me rappeler que je l'ai enlacée et que j'ai reniflé ses cheveux. C'est terriblement honteux, mais je n'ai pas pu m'en empêcher. Son odeur sucrée et exotique m'avait tellement manqué...
— Oui, marmonné-je, un peu mal à l'aise.
— Bon, tant mieux.
J'appuie une énième fois sur le petit rond de la page internet alors qu'elle retourne de l'autre côté de l'îlot central. Lassé, je regarde l'écran et j'ai l'impression que quelque chose a changé. Je vois une liste de noms suivis de numéros étudiants, en tout petit, soulignés en orange.
— Oh bordel, dis-je en reculant le plus loin possible de mon ordinateur.
Je n'ai plus qu'à cliquer et je serais enfin libéré de mes inquiétudes, les études seront derrière, pour toujours et je rentrerais officiellement dans la vie adulte. Ça me fout un peu la trouille.
— Quoi ? Qu'est-ce qui se passe ? C'est mauvais ? me demande-t-elle, paniquée par ma réaction. Réponds-moi !
Je secoue la tête de droite à gauche, incapable de regarder par moi-même. Elle s'approche de l'écran et y voit la même chose que moi. Elle se retourne avec un regard réconfortant.
— Tu veux que je l'ouvre ?
— Oui ! Non. Je ne suis pas sûr...
— Arthur, rigole-t-elle doucement. On sait tous les deux que tu vas l'avoir, c'est juste une formalité.
Je n'arrive pas à croire que je viens de lui avouer mes doutes à voix haute. D'habitude, je suis plutôt doué pour les garder pour moi. Ses yeux émeraude toujours posés sur moi, elle me sourit et je sens un petit picotement dans la poitrine. Il ne faut pas que ça devienne une habitude.
— JE SUIS LÀ ! crie Léo en faisant irruption dans la cuisine. Il n'est que huit heures une. Je suis à l'heure.
Il s'arrête en nous regardant chacun notre tour. Le voir me soulage. La semaine dernière, je lui ai demandé d'être là parce que je ne voulais pas faire ça seul et je suis content qu'il n'ait pas oublié.
— Tout va bien ? J'ai raté le résultat, c'est ça ?
— Ton frère stresse, s'amuse la petite brune, en reprenant la direction du placard à gâteaux.
Mon jumeau fait alors un pas vers l'ordinateur et s'attarde devant. Son dos le cache en totalité, je n'ose pas demander ce qui se passe et essaie de contrôler ma respiration. Mia continue de nous observer, la scène qui se déroule sous ses yeux semble énormément lui plaire. Je préfère me concentrer sur elle et son geste un peu trop sensuel tandis qu'elle ramène ses cheveux longs en chignon.
Je me racle la gorge et tourne la tête vers mon frère et cette réponse qui se fait attendre.
— Tu l'as.
— Pardon ?
— Tu es diplômé, répète-t-il en se tournant vers moi.
— Oh merde !
Je me mets à rigoler alors que Léo me prend dans les bras. Il me tape dans le dos puis sort son téléphone pour envoyer une vidéo à nos amis. Derrière nous, j'aperçois Mia qui s'approche timidement. Elle m'ouvre grand les bras, ses petits yeux en amande me regardent en pétillant et pendant un instant, j'ai très envie de la serrer contre moi.
— Félicitations.
— Merci...
Mon esprit se met à tourner à toute allure, pesant le pour et le contre, se rappelant la sensation de sa poitrine chaude contre mon torse dans les vestiaires et du pincement de mon cœur lorsque j'ai dû la lâcher.
Je lève la main et tape dans la sienne en souriant alors qu'elle me regarde, perplexe. Ce moment est un peu gênant, voire complètement malaisant, et même si j'imagine qu'elle ne comprend pas, c'est beaucoup mieux comme ça.
Je dois rester loin d'elle, et m'y tenir.
Léo continue de parler à travers la petite caméra de son téléphone et me tire par la nuque pour me faire apparaître sur l'écran. Medhi, qui est à l'autre bout, est en train de crier.
— Putain mec ! Tu es vraiment une machine ! Un dix-huit sur vingt à ton mémoire, c'est trop de la bombe. En plus d'être beau, tu es une tête. Oh et on fêtera ça ce week-end au marché des producteurs ! Je sais que ça ne semble pas ouf, mais il y a des dégustations de vins et des tapas ! Et surtout des filles que tu pourras impressionner avec ta bouille d'intello. Raah, je suis tellement fier d'être ton pote...
— Oui, on fera ça, dis-je en regardant Mia quitter la cuisine par la baie vitrée, le sourire aux lèvres, en écoutant les bêtises de mon ami.
Je lui fais un signe de tête alors qu'elle referme la paroi transparente et elle me lance un clin d'œil.
— Ouais, en attendant, on doit te laisser. Il faut qu'on prévienne le paternel, explique mon frère en me rendant mon cellulaire.
— Vous m'avez appelé avant lui ?! Je suis tellement touché, dit-il en mimant une voix tremblante. Je me sens un peu comme votre triplet, en plus musclé et avec une côte incroyable auprès des milfs.
— Bon, à samedi Mehdi, rigolé-je alors que Léo raccroche.
~ ~ ~
Pour fêter mon entrée officielle dans la vie adulte, mon père nous a amenés, Léo et moi, pour ce qu'il adore nommer : « une journée entre hommes ». Il nous a rejoints aux alentours de onze heures et nous avons pris la route jusqu'au lac qui se trouve à la sortie de la ville.
Il y a une dizaine de minutes, notre père est parti à la recherche de trois pizzas dans le restaurant Pizz'ô installé en bordure. Mon jumeau et moi avons profité de ce moment pour installer la couverture sur la plage de galets, sur laquelle nous nous sommes installés côte à côte.
Ce plan d'eau artificiel est à seulement une vingtaine de minutes en voiture, et c'est un lieu très prisé par les locaux. Quand nous étions adolescents, nos parents avaient pris l'habitude de nous emmener ici à chaque fois que nous avions quelque chose à célébrer. Un nouveau travail, une bonne note ou même juste le retour du soleil au printemps. Alors ce lieu déborde de bons souvenirs.
— Est-ce que tu te rappelles que papa voulait toujours qu'on vienne ici ? me demande Léo, aussi nostalgique que moi.
— Bien sûr. Et maman faisait toujours un énorme pique-nique avec nos plats préférés.
— Des lasagnes, rigole mon frère.
Je souris à cette allusion. Du plus loin que je me souvienne, elle a toujours fait en sorte de nous faire plaisir, même si cela voulait dire manger des lasagnes dans des assiettes en carton, assis par terre. Nous finissions toujours par avoir le visage, les mains et le maillot de bain couverts de sauce.
Mais qu'est-ce que c'était bon.
— On aurait dû en rapporter, continué-je.
— Non. Papa est bien moins patient, répond Léo en regardant sa montre. Au fait, vers quinze heures, je devrais partir. J'ai un rendez-vous.
— Ah oui, et avec qui ?
— À ton avis...
— Et ça se passe comment entre vous deux ? demandé-je.
— Je n'ai pas grand-chose à dire, soupire-t-il en haussant les épaules, le regard perdu vers l'horizon. Elle et moi, ce n'est pas viable.
— Tu m'as dit que tu l'appréciais alors comporte-toi comme un adulte, et parle-lui.
— Non. Elle m'a dit qu'elle parlait avec un certain Jules. Ça prouve bien que je suis juste un ami pour elle.
— Oh...
— Tu n'en savais rien ?
— On évite de parler de mecs maintenant que vous deux vous... dis-je en laissant ma phrase en suspens.
— Je vais trouver qui est ce type et le dégommer.
— Non, Léo, c'est hyper immature comme réaction.
— Ça m'est égal. Je n'ai rien à perdre, de toute façon...
Assis en face de l'étendue d'eau calme, nous restons un instant silencieux, chacun vaquant à nos propres pensées. Les miennes se dirigent vers mon avenir. Celui à XAB, dans cette ville qui n'est peut-être pas l'endroit où je veux rester, à mon envie de bouger loin, pour un temps ou pour toujours. Après tout, je n'ai que vingt-quatre ans et je ne suis pas sûr de savoir ce que je ferai de ma vie, ni avec qui je la passerai, même si un visage familier me vient en tête.
Quelques bruits de pas s'enfonçant dans les galets nous font pivoter et découvrir notre père, les mains prises par trois énormes cartons dont l'odeur arrive déjà vers nous.
— Elles sont arrivées ! s'exclame-t-il avant de s'asseoir près de nous dans un soupir d'aise.
Chacun d'entre nous récupère une part de pizza, Léo sort trois bières de son sac à dos et je distribue les éco-cups. Une fois servi, je regarde mon père et mon frère s'installer près de moi. Être ici est une vraie bénédiction.
— Je suis fier de vous les garçons, exprime mon père en brandissant sa boisson. Vous avez bien grandi, et même si parfois, vous avez l'impression que votre mère et moi avons tendance à vous parler comme des enfants, on sait que vous êtes devenus des adultes.
— Bof... grimace Léo, toujours très mal à l'aise pendant les démonstrations en public.
Je le bouscule sur le côté alors que mon père reprend.
— Arthur, félicitations. Tu avais un rêve et tu as tout fait pour qu'il devienne un jour une réalité. C'est très courageux. Je voudrais aussi te dire bravo à toi aussi, Léo, car même si tu n'étais pas aussi sûr que ton frère, tu n'as pas cessé de chercher et j'ai l'impression que tu as trouvé un boulot qui te plait. J'ai beaucoup de chance de vous avoir comme fils, tous les deux.
— Merci papa.
Nous levons à notre tour la bière et trinquons ensemble à ce repas partagé.
— Mais quoi qu'il arrive, vous resterez mes petits poussins.
— Tant que tu ne nous appelles pas comme ça en public, ricané-je.
— Oh, je vois. Vous avez peur que je mette la honte auprès des filles.
— Exactement, confirme mon jumeau, la bouche pleine.
— Elle s'appelle comment ?
— Je ne dirais rien, même sous la torture, s'amuse Léo.
Je n'avais pas remarqué à quel point ce genre de moment m'avait manqué avant aujourd'hui. Notre famille n'est pas parfaite, et même peut-être défaillante pour certains, mais c'est grâce à eux si j'en suis là et pour rien au monde, je les échangerais.
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