Chapitre 25 - Mia
Mia.
Daphné et moi essayons de nous frayer un chemin dans les gradins bleus et blancs de la piscine couverte, remplis de supporters bruyants et encombrants. Ma sœur joue des coudes et finit par nous trouver deux places au troisième rang, sur des sièges en plastique à l'effigie du club de natation de la ville.
C'est elle qui a insisté pour que je l'accompagne à cet événement. Je ne suis pas une grande fan de sport, surtout quand c'est seulement pour le regarder, mais ce matin j'errais, en pyjama, dans la maison en réfléchissant à mon rencard d'hier soir. John m'a proposé de nous revoir lors du marché des producteurs et tout ça me prend la tête, alors son invitation tombait à pic. C'est un bon moyen de me changer les idées et de ne pas cogiter à la suite de ce dîner, ni à s'il y en aura une.
— Alors comme ça, tu as une nouvelle passion pour la natation ? ironisé-je.
Je ne sais pas exactement pourquoi ma sœur s'est trouvé un soudain intérêt pour ce sport, mais les jumeaux y participent et j'imagine que ce détail n'est pas anodin.
— Non, je viens juste encourager les garçons.
— Ça n'a aucun rapport avec Léo ? continué-je.
— Mia ! Tu es au courant que c'est censé être un secret ? Tu n'es pas obligée d'en parler à tout bout de champ.
— C'est la première fois que j'en parle !
— Et c'est aussi la dernière, me menace-t-elle.
Elle se braque. Encore.
— Tu te rappelles quand on a parlé du lâcher-prise ? Tout ça, tout ça...
— Oui, et je vais faire des efforts, mais ça n'a aucun lien avec Léo !
— Tu as le droit d'avoir des sentiments pour un homme, même si c'est lui... Parfois, ça ne se contrôle pas.
— C'est surtout un gamin qui aime s'amuser et qui change de filles plus souvent que de caleçons. Alors, non, je ne me ferais pas avoir.
— Mais là, ça fait un moment qu'il n'a vu personne d'autre.
— Comment tu le sais ?
— Bah, j'imagine vu que je vous êtes quasiment tout le temps ensemble.
— On ne change pas la nature profonde de quelqu'un, Mia. Il va se lasser à un moment, c'est inévitable. Je me tiens juste prête à ce que ça arrive.
— Ah donc, c'est ça. Tu...
— ... Ce n'est rien du tout ! grogne-t-elle. Le sujet est clos.
Je souris discrètement en l'observant se renfrogner. Ma sœur est une éternelle méfiante, je pense qu'elle a tout simplement peur d'être vulnérable, mais elle s'empêche parfois de vivre quelque chose de formidable. Elle pense sûrement qu'il joue avec ses sentiments alors elle préfère les enfouir profondément pour ne pas souffrir.
Et je la comprends... Léo n'est pas connu pour sa fidélité et son engagement.
Je suis sortie de mes pensées par la voix enjouée de l'animateur, qui commence la présentation détaillée des festivités. Il annonce les différents clubs présents et nous demande de les acclamer. Il y a beaucoup de monde dans les gradins, plus que je n'aurais pu l'imaginer et l'ambiance se fait aussitôt déjantée. Je crois que je comprends un peu mieux l'engouement des grands supporters.
La compétition commence alors par les épreuves de natation synchronisée. Plusieurs groupes de jeunes femmes se succèdent, enchaînant des chorégraphies aquatiques aussi physiques qu'artistiques. Et le tout avec le sourire et la grâce qu'impose la discipline. Leur aisance dans l'eau et cette capacité à sauter, haut et avec légèreté, me fascinent.
C'est vraiment magnifique.
Ma sœur ne m'a pas adressé la parole depuis que j'ai osé parler de ses sentiments naissants et je commence à me demander pourquoi elle m'a fait venir si c'est pour être aussi ronchon. Heureusement, les nageurs font rapidement leur entrée pour la seconde partie de cet évènement.
— Ce sont eux ! dit-elle en me frappant à l'avant-bras, euphorique.
Chaque équipe est différenciée par la couleur de ses vêtements. Certains en rouge, d'autres en vert ou bien en jaune. Je reconnais tout de suite les deux frères et leurs coéquipiers qui avancent d'un pas déterminé, avec leur short bleu, et teeshirt blanc.
Leur coach, qui les précède, est un homme grand, avec un air sévère et une énorme moustache, presque angoissante. Le genre à qui personne n'a envie de se frotter, par peur d'y perdre un bras, ou la vie. D'ailleurs, tous ses poulains semblent lui obéir au doigt et à l'œil.
Lorsque le présentateur reprend la parole afin d'apporter quelques précisions sur les épreuves à venir, le public cesse toute discussion et laisse place à un silence total. Chaque nageur se place devant un plot de départ. Je me concentre sur les allées quatre et cinq où nos deux blonds préférés sont positionnés et je ne les quitte plus des yeux.
Au coup de sifflet, Arthur plonge avec une précision millimétrée et glisse sur l'eau. Il ressort, quelques secondes plus tard, en nageant le papillon. Ses bras puissants surgissent en harmonie, et frappent les flots dans un rythme soutenu. Je suis complètement hypnotisée par ses épaules tendues, sa peau mouillée, ses trapèzes en plein effort. Il est impressionnant. Tout le monde crie et je me surprends à l'encourager également.
Il opère un demi-tour avec aisance et se retrouve rapidement dans le peloton de tête. Il est à seulement quelques secondes de l'arrivée, je retiens mon souffle et hurle quand il touche enfin le mur face à lui. Ma sœur et moi sautons en nous serrant dans les bras. Je ne suis pas sûre de son classement, car l'écart entre le premier et le second était presque infime, mais il est sur le podium.
~ ~ ~
Après la remise des prix, Daphné a voulu se rendre dans les vestiaires pour voir Léo, en ajoutant que ça n'avait rien de bizarre. Je lui ai dit que si c'était le cas, elle ne se sentirait pas obligée de me le dire, mais ma remarque ne lui a pas plu et elle m'a alors plantée là, en plein milieu de ce couloir qui mène je ne sais où.
Si ça ce n'est pas une preuve de sa mauvaise foi, je ne m'y connais pas.
Je suis donc en train de déambuler entre ces murs qui puent le chlore à plein nez pour essayer de trouver la sortie - ou du moins quelqu'un qui pourrait m'y aider -. Je n'ai vraiment pas le sens de l'orientation.
J'emprunte une intersection et me heurte à un torse, dur et froid. Quand je relève la tête, je remarque Antoine, un des coéquipiers des jumeaux, qui m'a rattrapée par les épaules.
— Mia ! Tu viens mater les torses musclés dans les vestiaires ? me taquine-t-il.
— Prise sur le fait, je suis là pour vous observer sous la douche.
— Tu arrives un peu tard, rigole-t-il. Il n'y a plus grand monde.
— Zut alors.
— Tu cherches Arthur ?
— Euh... Non, pas du tout, dis-je, sans comprendre. J'étais avec ma sœur et là, je cherche la sortie.
— Daphné est sortie avec Léo, il y a à peine cinq minutes. Arthur est le dernier dans les vestiaires, dit-il en pointant la fameuse porte.
— Ah, d'accord.
— Si tu veux aller le voir, fais attention. Il est sur les nerfs.
— Tu penses que c'est à cause du classement ?
— Peut-être, mais il y a aussi autre chose. Bon, je dois y aller. En tout cas, la sortie c'est au bout de ce couloir sur la droite, tu auras un panneau. Je suis content de t'avoir vue, dit-il avant de partir.
— Merci.
Je me tourne à nouveau vers la pièce d'où vient Antoine et me retiens un instant. Si Arthur est vraiment énervé, je risque de me faire envoyer bouler. Je devrais sortir et attendre. Ce serait plus sage. Pourtant, je fais un pas dans la mauvaise direction. Puis un second.
Je prends une grande inspiration et toque à la porte. Il me répond un "Non" agressif, suivi d'un bruit sourd. Bon, la réponse est claire. Je devrais le laisser.
Je frappe à nouveau contre le battant. J'ai sûrement été martyre ou sadomaso dans une autre vie...
J'ouvre délicatement la porte et je tombe nez à nez avec Arthur, torse nu, en train d'approcher. Je me fige devant le spectacle qu'il m'offre. Ses pectoraux saillants, son short bas sur ses hanches, ses abdominaux parfaitement dessinés, ses cheveux blonds en bataille... Il est très impressionnant. Et, moi, je ne sais plus pourquoi je suis là.
Il me faut une volonté de fer pour ne pas loucher trop longtemps sur son corps dénudé et relever le visage. Mes yeux captent les siens, d'un bleu glacial, et nous restons un instant à nous regarder sans rompre le silence ambiant.
— Qu'est-ce que tu fais là ? finit-il par dire.
— Je cherchais la sortie et...
Là, tout de suite, j'aimerais être aussi petite qu'une souris pour me cacher dans un trou. Son visage est complètement déformé par la colère et je ne suis pas sûre de savoir comment y faire face.
— Tu vas bien...? demandé-je, hésitante, pour désamorcer la situation.
— Non Mia, ça ne va pas ! crie-t-il. J'ai fini second à cause d'une erreur de merde au dernier tour ! J'aurais pu être premier ! Tu comprends ?!
— Pourquoi tu t'énerves ?
— Parce que j'aurais pu faire beaucoup mieux ! s'emporte-t-il en faisant les cent pas dans les vestiaires. J'aurais dû réagir avant que ce type ne rentre dans l'équation !
Il tourne comme un lion en cage le long des vestiaires et je sens la pression monter en lui. Je sais qu'il est très déçu, être second ne lui suffit pas, il a toujours été compétiteur. Mais au-delà de ça, il déteste décevoir les autres, et en particulier son père. Je voudrais qu'il se calme et réalise que son classement est bon, que tout le monde est fier de lui.
— On ne peut pas gagner à tous les coups, la prochaine fois tu t'entraîneras plus et tu le battras.
— Je ne peux pas faire plus. J'ai déjà fait tout ce que j'ai pu ! s'agace-t-il en se tournant vers moi.
Ses yeux lancent des éclairs, et ils me sont directement destinés. J'ai peut-être un peu exagéré avec ma tirade sur la nullité, mais je dois assumer : je voulais le faire réagir. C'est un éternel perfectionniste et je veux lui faire comprendre que son record est impressionnant, malgré sa déception.
— À priori si, sinon tu serais premier.
Bon, je suis en train de signer mon arrêt de mort. Je m'arrête de respirer un instant, espérant ne pas être allée trop loin.
— Si tu es venue ici pour te moquer, tu peux partir ! Je suis second, Mia !
— Oui, tu es deuxième du classement et c'est une très bonne place, affirmé-je un petit sourire au coin des lèvres.
Ma ruse fonctionne. Son corps se détend au fur et à mesure que les secondes s'écoulent jusqu'à ce qu'il s'arrête définitivement de marcher. Il me regarde un instant, les sourcils froncés et la bouche pincée.
— Tu... Pourquoi tu me dis ça alors ?
— Pour que tu comprennes que tu exagères. Tu es sur le podium avec un écart de seulement quelques secondes avec le premier.
Je m'approche d'un pas dans sa direction.
— C'est vrai... Ce n'est pas si mal...
— C'est exactement ce que je voulais entendre Arthur, complété-je. Tu n'es pas nul.
Sans que je ne m'y attende, il me prend brusquement dans ses bras. La peau de ma joue entre en contact avec son torse encore humide. J'entends son cœur battre à toute allure. Ses bras m'encerclent et je ne bouge plus. J'ai l'impression que ma présence le calme et je resserre mon étreinte.
— Je suis juste un peu à cran en ce moment, mais ça va passer, m'avoue-t-il.
— J'en suis sûre, oui, murmuré-je pour ne pas détruire ce doux moment.
Cette étreinte, qui est censée l'apaiser, me procure également un certain réconfort. Son pouce vient caresser mon dos avec tendresse. Ni lui, ni moi, n'avons envie de nous lâcher. Il dépose un léger baiser sur le dessus de ma tête, qui déclenche une vague de frisson le long de ma colonne vertébrale.
— Merci, dit-il simplement.
Et je n'ai pas besoin d'en n'entendre plus.
— Attends, je rêve ou tu me snif les cheveux ? demandé-je en levant la tête.
Il se détache rapidement de moi, et me fusille du regard.
— En même temps, je ne peux pas faire autrement, on ne sent que ça. Il pue vraiment ce shampoing.
— Il ne pue pas ! m'insurgé-je.
— Bien sûr que si ! C'est une infection.
Vexé d'avoir été pris sur le fait, Arthur enfile son tee shirt de natation et s'enfuit vers la sortie, sans un dernier regard pour moi. Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer de ce rapprochement complètement aberrant. C'était à la fois très étonnant, déroutant, agréable, réconfortant, étourdissant et un peu comme avant...
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