Chapitre 16 - Mia
Mia.
Ce n'était clairement pas la soirée de l'année. La musique était sympa, mais l'ambiance pas du tout. Les amis des jumeaux sont... bizarres. Leurs blagues de cul m'ont mise mal à l'aise. En particulier Gaël, qui m'a regardé toute la soirée comme si j'étais un bout de viande.
Il me dégoûte.
Je suis vraiment reconnaissante qu'Arthur ait pris ma défense dans l'écurie. Je n'imagine pas ce que ce type aurait tenté s'il n'avait pas été là. Je suis sûre que c'est le genre de gars à penser qu'aucune fille ne lui résiste, qui se permet des gestes déplacés et qui ne comprend pas la signification du mot "non". Même la petite mise en garde d'hier soir n'a pas semblé l'effrayer, ce qui fait de lui un mec dangereux.
Quand Arthur est sorti de l'écurie, je me suis appliquée à retirer chaque bout de foin de ma coiffure avant de retourner sur la piste de danse avec mes sœurs. Ensuite, il m'a évité toute la soirée. Cette altercation semblait l'avoir énervé et il n'arrivait pas à se calmer. Pourtant, tout va bien. Ce qu'a dit Gaël n'a aucune valeur pour moi.
Ce matin, après une nuit affreuse sur un matelas partiellement dégonflé, partagé avec ma sœur aînée, nous sommes sur le trajet du retour. Daphné a insisté pour que je monte avec Arthur, car elle voulait voyager avec Léo. Je ne suis pas sûre d'avoir compris pourquoi, mais mon conducteur privé m'a expliqué qu'ils se sont disputés et qu'ils ne veulent pas dire pourquoi. Apparemment ils ont des comptes à régler et le trajet leur permettra de faire la paix. En même temps, c'est bien le style de ma sœur. Elle contrôle son image en toutes circonstances et une grosse dispute pour une raison futile ne ferait pas bon effet.
— Tu vas bien ? demande-t-il en me jetant un coup d'œil.
— Oui, je n'ai juste pas très envie de rentrer, avoué-je en le regardant. Il fait tellement beau. C'est dommage.
— Tu as raison.
Sans que je m'y attende, Arthur freine de toutes ses forces et bifurque sur une route de campagne, encore bien trop vite à mon goût. Je ferme alors les yeux, le fossé me semble dangereusement proche, et suis projetée contre la portière malgré la ceinture de sécurité. Une fois notre stabilité retrouvée en dépit des nids-de-poule, je le regarde, complètement sidérée par son manque de douceur.
— Putain, Arthur ! Mais c'est quoi ton problème ?
— Il y a un lac à cinq kilomètres d'ici.
— Et c'est une raison pour essayer de me tuer ? m'indigné-je.
— Je n'ai pas envie de rentrer non plus. On va aller se baigner.
Il arbore son sourire de sale gosse, ravi de son petit effet et ça me donne encore plus envie de l'étouffer.
— Je n'ai pas de maillot de bain.
— Tu as des sous-vêtements ? se renseigne-t-il, en penchant des yeux bleus dans ma direction.
Je le regarde, furieuse, pour qu'il comprenne bien ce que je pense de sa réflexion. Il a été missionné pour me ramener saine et sauve à la maison, pas pour obéir à ses envies de baignade soudaine.
— Bon et bien, il n'y a pas de souci alors, ajoute-t-il.
— Tu m'agaces, grogné-je.
Il continue de rouler, ignorant ma remarque. Son éternel petit rictus narquois aux coins des lèvres.
Il me rend complètement chèvre.
Je me terre dans un mutisme complet, enfoncée au fond de mon siège, les bras croisés sur la poitrine pour bien souligner que son idée ne me plait pas.
— Arrête de faire la gueule. On va passer un super après-midi, s'amuse-t-il. Je sais que tu en as envie.
— Passer l'après-midi avec toi ? Je peux savoir ce qui te fait penser ça ?
— J'ai une personnalité hors du commun, et ça fait une éternité qu'on n'a rien fait ensemble, dit-il, se voulant sûrement ironique.
— Je dois prévenir mes parents.
— Non. Laisse-les tranquilles, et profite du moment. Tu as besoin de te détendre, ne me dis pas le contraire.
Bon... il a peut-être raison. L'idée d'être tranquillement installée au bord d'un lac ne me déplait pas tant que ça. Au pire, je m'ennuie un peu, au mieux je passe un bon après-midi en sa compagnie.
— Tu as gagné, marmonné-je sans desserrer les dents.
— Tu m'as déjà vu avoir tort ? rigole-t-il en me regardant.
— Tais-toi et regarde la route. Je ne veux pas devenir désagréable.
Il me gratifie d'un clin d'œil avant de reporter son attention sur sa conduite.
Mon esprit se met alors à penser à la lingerie que j'ai enfilée à la hâte ce matin. Il est hors de question qu'il me voit à nouveau avec une culotte de grand-mère, et encore moins avec un string. Mon soutien-gorge est noir, opaque à dentelle, et j'ai eu l'intelligence de prendre un tanga en coton noir échancré, mais couvrant. Au moins, je n'aurai pas l'air trop ridicule.
Enfin, j'espère.
Nous arrivons rapidement au bord d'un champ en pente entouré de petits buissons. Arthur se gare sur un chemin en terre. L'endroit ne ressemble pas à une plage touristique, mais plutôt à un poste de camping sauvage. Près du bord se trouvent les vestiges d'un feu de bois, ainsi que la trace d'une tente rectangulaire ayant fait jaunir le sol.
Je regarde le lac un moment alors qu'Arthur sort une grande serviette bleue de son coffre, qu'il semble toujours laisser là, au cas où il aurait une envie soudaine de faire un plouf. Je souris en pensant que ça ne doit pas être son premier coup de folie.
Il n'y a personne à l'horizon, et le plan d'eau est particulièrement lisse. Nous avançons côte à côte dans l'herbe, puis il pose la serviette et enlève son tee-shirt et son jean à la hâte. Je le rejoins plus doucement près de l'eau et enlève ma robe bleue. Surexcité, il plonge avec une grâce incroyable. C'est bien quelque chose que je ne ferais jamais. J'ai des gènes plus proches de ceux du béluga que du dauphin.
Je m'approche doucement et mets un orteil dans l'eau. C'est un peu froid.
Être en sous-vêtements en plein milieu d'un champ ne m'aide pas à me sentir à mon aise. Je ferme les yeux et souffle un grand coup pour essayer de faire fuir la petite voix négative qui vient s'installer sur mon épaule. Lorsque je porte mes habits, j'ai moins de mal à la faire taire. Mes tee-shirts ou pantalons font office d'armures imaginaires pour la peau distendue de mon ventre et les vergetures qui se dessinent sur mes cuisses. Et si j'ai appris à les accepter, ce n'est pas le cas de tout le monde. Le jugement des autres reste ce qu'il y a de plus difficile à gérer.
Je me répète qu'ici, je ne crains rien et tente de faire le vide dans mon esprit.
— Viens, quand on est dedans elle est bonne.
Lorsque je relève la tête vers Arthur, je ne vois qu'un sourire sincère et entier. En tant qu'homme, il ne m'a jamais fait ressentir que mon corps était un problème, un argument ou même un sujet de discussion.
J'engage mon pied droit pour vérifier qu'il ne ment pas en me promettant de profiter de ce moment sans me faire polluer par mes vieilles angoisses parasites. Je m'enfonce petit à petit, jusqu'aux hanches, et m'applique à mouiller ma nuque pour ne pas risquer l'hydrocution, sous les moqueries de mon camarade de baignade.
— Tu n'es pas croyable, rigole-t-il. Tu n'es pas en sucre.
— Laisse-moi tranquille. Si tu veux mourir, ce n'est pas mon cas.
J'avance encore dans sa direction jusqu'à avoir de l'eau jusqu'aux épaules. Il avait raison, cette petite escapade est une très bonne idée.
Arthur se détourne de moi et commence à faire quelques mouvements de brasse, tandis que je barbote gaiment. Mais quelque chose passe sur mon pied et je me fige immédiatement. Ça ne me plait pas du tout. C'est visqueux, gluant et surtout ... vivant ! Je hurle de toutes mes forces et je saute haut en faisant battre énergiquement mes pieds pour ne toucher qu'un minimum le sol.
Je suis sûre que c'était énorme !
Arthur, alerté par mes cris aigus, s'approche en me demandant à plusieurs reprises ce qui m'arrive.
Je lutte pour ne pas me servir de lui comme bouée de sauvetage. Il fait encore deux enjambées et m'attrape le bras. Non. Je ne lui ferais pas le plaisir d'avoir besoin de lui. Je préfère encore me faire manger par le monstre du Loch Ness plutôt que de voir son petit sourire agaçant.
— Mia ! Qu'est-ce qui t'arrive ?
Après plusieurs sauts disgracieux, je finis par abdiquer et m'accroche à son cou dans un bruit strident.
— Mia ! Réponds-moi, panique-t-il en me rattrapant.
— J'ai senti un truc contre mon pied, couiné-je.
— Ce n'est rien. C'est sûrement un poisson, dit-il en souriant.
Il attrape délicatement mes hanches et me recule de quelques centimètres pour me regarder.
— Arthur, ne me lâche pas, le menacé-je. C'est hors de question que je remette les pieds sur ce sol plein de vase.
— Je ne te lâcherai pas, dit-il tout bas en resserrant sa prise.
J'ai eu la peur de ma vie. Mon petit cœur a du mal à s'en remettre. Les mains plaquées sur mon dos, il nous berce dans l'eau et je ne suis qu'un vulgaire pantin désarticulé entre ses bras. L'odeur de sa peau mouillée me transporte et je tente de contrôler ma respiration.
— Tu as peur des poissons ? reprend-il faiblement.
— Bien sûr que non.
— Alors c'est juste pour le plaisir que tu t'accroches à moi ? ironise-t-il.
— C'était bien plus gros qu'un simple poisson. Je suis sûre que c'était un piranha.
— Il n'y en a pas ici, rigole-t-il. Mais par contre, il y a des silures. Certains font plus de deux mètres.
— Ça ne me rassure pas, grondé-je.
— Tu ne crains rien.
Ses yeux s'ancrent dans le mien pour appuyer ses propos, et sa langue passe sur ses lèvres avant de me sourire. De ce sourire charmeur et arrogant qui me fait fondre comme un glaçon au soleil. Je suis hypnotisée par son regard bleu ciel intense et j'oublie tout le reste.
Ce moment semble suspendu dans le temps. Nos bouches ne sont plus qu'à un petit centimètre l'une de l'autre et je ferme les yeux, ne sachant pas si j'espère ou redoute ce moment. Je sens ses mains glisser depuis mes omoplates jusqu'à mes reins, pour finir leur trajectoire sur mes fesses. Son cœur bat très vite, et cogne fort contre ma poitrine. Il s'arrête et j'ai l'impression que le monde extérieur disparaît un peu plus à chaque instant.
Bordel, je suis en train de faire n'importe quoi.
J'ouvre prudemment les paupières, de peur de ne pas aimer ce que je lis dans le regard de mon ex-petit ami. Il ne sourit plus et regarde mes lèvres, puis mes iris. Son souffle est plus profond et vient chatouiller ma peau.
C'est une très -très- mauvaise idée. Il faut que j'arrive à me détacher de lui.
On ne se quitte pas des yeux. J'aimerais dire quelque chose, mais je n'y arrive pas, aucun son ne sort de ma bouche. Mon corps réagit indéniablement à sa présence et je ne contrôle plus rien.
Un bruit de jet ski rugit, se rapprochant de plus en plus, jusqu'à faire exploser notre bulle. Je profite du fait qu'Arthur détourne le regard un instant, pour me détacher de lui. Je me dirige rapidement vers le bord en immergeant ma tête sous l'eau fraîche. J'espère qu'elle arrivera à me remettre les idées en place. Je ne me préoccupe plus vraiment du fond, je dois m'éloigner d'Arthur au plus vite. Je reste un instant sous l'eau, son image gravée au fond de mes paupières. Je n'ai pas envie de revenir à la réalité. Sa main vient alors me ramener à la surface. Il a l'air inquiet ou désarmé, je ne suis pas très sûr.
— Ça va ?
— Tout va bien, affirmé-je pour essayer de me rassurer moi-même. Je vais sortir.
Je nage rapidement jusqu'à la rive. J'ai besoin d'air et surtout d'espace. Ce qui vient de se passer me bouleverse, mais je ne veux pas le montrer. Je sors sans me retourner et me dirige vers la pelouse pour attraper la serviette et m'enrouler à l'intérieur. Je m'assois dans l'herbe et prends une grande inspiration pour me persuader qu'il n'y a aucun problème.
Je n'arrive pas à comprendre ce qui m'est passé par la tête. Nous sommes censés faire la paix pour pouvoir avancer et devenir amis. J'ai un peu de mal à intégrer cette idée, c'est encore tout nouveau, je ne sais pas comment nous allons faire. Mais ce qui est sûr c'est que lui sauter au cou n'était pas au programme.
Je ne peux décemment pas penser à lui de cette manière.
Je fais tout, absolument tout, pour essayer que ça se passe bien, mais je suis faible. Quand il se montre gentil et agréable, je fais des trucs stupides qui vont finir par détruire notre fragile équilibre. Et, même si je sais pertinemment que notre relation était un échec, j'ai peur de ce qui pourrait se passer si je lui pardonne complètement.
Le tintement de mon téléphone m'indique un nouveau message. Il doit s'agir de mes parents, ou de l'une de mes sœurs qui se demandent où je suis. Si je ne leur réponds pas, ils vont finir par appeler les flics pour enlèvement ou disparition inquiétante.
Quand je découvre le prénom écrit sur mon écran de verrouillage, je reste un instant interdite.
[Je pense avoir trouvé l'endroit
parfait pour notre rendez-vous.
Il me tarde de te voir.]
Et merde. Le timing est vraiment mauvais. Je me sens immédiatement coupable d'avoir pu imaginer un rapprochement avec Arthur alors que John pourrait être mon futur. Il me plait beaucoup. Depuis dimanche, nous avons échangé plusieurs fois par texto, et je le trouve drôle. J'avais peur que nous n'ayons rien à nous dire, mais il s'intéresse à une multitude de sujets et discuter avec lui est agréable. Je prends une grande inspiration en lui écrivant une réponse :
[C'est parfait.
À vendredi.]
Il devait être en train d'attendre devant son écran puisque je reçois immédiatement un nouveau texto, ce qui me fait sourire.
[Je viendrais te chercher 😉
Bonne semaine !]
Il veut sûrement bien faire, en organisant un vrai rendez-vous galant dans les règles de l'art et ça me fait plaisir. Contrairement à ce que son physique peut renvoyer, il est un peu timide et maladroit avec les filles, mais ça le rend encore plus charmant. Je sais déjà que je vais passer une excellente soirée en sa compagnie.
Je pose mon téléphone et relève la tête vers les voix lointaines que j'entends. Dans l'eau, Arthur discute avec le conducteur du jet ski. Je n'entends pas ce qu'ils se disent, mais le connaissant ça doit avoir un lien avec les sports nautiques. Je sais qu'en plus de la natation, Léo et lui aiment faire du surf et du bateau.
L'homme redémarre son moteur et fait un signe de la main avant de s'éloigner. Arthur sort de l'eau puis s'approche sans un regard pour moi. De mon côté, je fais mine de regarder l'horizon, sans savoir quoi dire. Du coin de l'œil, je vois qu'il s'allonge dans l'herbe à plusieurs mètres de distance. Il s'appuie sur son bras droit et regarde les bateaux qui passent.
L'ambiance est pesante, voire étouffante.
— Tu veux la serviette ? dis-je timidement.
— Non, c'est bon. Sèche-toi.
— D'accord...
Je regarde mes pieds, captivés par tous ses petits orteils dodus qui chatouillent les brindilles. Je ne sais pas comment nous allons faire pour désamorcer la situation. Tout ça me met mal à l'aise.
— Je... Je suis désolé pour ce qui s'est passé dans l'eau, s'excuse-t-il. Je te jure que je n'avais pas prévu de...
— Ce n'est rien, dis-je précipitamment pour ne pas laisser planer le doute.
— Tu es sûre ?
— Oui...
Il soupire et baisse la tête. Je resserre la serviette autour de ma poitrine en essayant de rester digne.
La fin de l'après-midi s'est passée en silence et nous ne parlons pas de ce qui n'aurait jamais dû arriver. Il fait chaud et beau dehors. Je me suis allongée dans l'herbe après avoir donné la serviette à Arthur qui a mis de la musique sur son téléphone. J'ai envoyé une photo du lac à Raph pour le faire rager. Il m'a répondu par des insultes et m'a rayé de son testament pour ne pas l'avoir invité.
À part lui, personne ne s'est inquiété de mon absence à la maison et c'est mieux comme ça.
— On va y aller, dit Arthur en regardant l'heure. Ce soir, on mange chez vous et j'ai besoin de me changer.
Je lui fais un signe de tête et me lève pour chercher ma robe et mes sandales. Je suis vraiment contente d'être venue ici. J'ai l'impression d'avoir rechargé mes batteries pour la semaine à venir.
~ ~ ~
Dans la tête de Mia :
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