Chapitre 12 - Arthur


Arthur.

Il commence à faire une chaleur écrasante dans les bureaux de l'entreprise, surtout quand nous y sommes tous les trois. L'ancien garage ne bénéficie pas d'isolation et nous souffrons tous de la situation.

Ce matin, Sophie et Mia sont venues nous apporter des brumisateurs que leur mère a achetés à notre intention. Et même si la brume fait du bien sur le coup, la seconde suivante, l'air semble toujours aussi pesant. Je ne rêve que d'une chose, plonger dans leur piscine que je vois par la fenêtre. C'est une vraie torture. Mon cerveau tourne au ralenti et apparemment, je ne suis pas le seul. Le silence règne dans tout l'office, parfois interrompu par un bruit de clavier ou un soupir d'agonie.

Il est quinze heures et j'ai l'impression d'être assis ici depuis des jours entiers. J'ai besoin de bouger, de me dégourdir les jambes. Sans un mot pour mes collègues, je sors du bureau pour me rendre à la cuisine. Aucun d'eux ne fait la moindre remarque, bien trop occupés à survivre dans ce sauna géant. Je défais les deux premiers boutons de ma chemise et allume l'eau du robinet avant d'y plonger la tête sans aucune retenue.

Tant pis pour ma conscience professionnelle. Je n'ai pas de rendez-vous aujourd'hui et personne ne verra l'état de ma chemise. L'eau, pas vraiment froide, me permet de reprendre un peu forme humaine. Je me relève et secoue la tête dans tous les sens. Le vent me permet de me refroidir à chaque mouvement. Ça fera l'affaire en attendant la fin de journée.

Je retourne à l'intérieur, non sans regret. Je me promets d'acheter un ventilateur en rentrant pour nous aider à supporter la période. Nous ne sommes qu'au mois de juin et je me demande comment nous allons tenir ici pendant les trois mois d'été.

Je m'assois sur ma chaise de bureau et mon regard vague déjà par la fenêtre. La piscine est toujours là, mais ce n'est pas ce qui attire mes yeux en premier. Mia est dans le jardin, à l'ombre. On ne voit qu'elle avec son tee-shirt bleu ciel et son chapeau de paille XXL.

Les fesses en l'air dans son legging de sport, la tête en bas et les écouteurs sur les oreilles, elle se tortille dans tous les sens juste devant la vitre. Elle est persuadée que personne ne la voit, et a l'air complètement ridicule. Elle ondule ses belles courbes de manière très désordonnée et ce n'est pas ce que je qualifierais de sexy. Je l'observe un moment et comprends qu'elle est en train de jardiner, et de chanter en utilisant le manche de sa pelle. Elle remue la terre et place des pousses à intervalles réguliers.

Le spectacle qu'elle m'offre est un régal, bien plus intéressant que mon travail. J'ai de la compote à la place des neurones, et elle a l'air de tellement s'amuser. Je n'y connais rien en plantes, mais je payerai cher pour la rejoindre. Il doit faire cinq degrés de moins et peut-être même qu'il y a une légère brise. Ici, la pièce est un four et nous ne sommes plus que des petites pommes dauphines bientôt cuites. Arf, rien que l'idée me rend malade. Je rêve d'une citronnade, ou d'une boisson gazeuse extra-fraîche.

Alors que je suis perdu dans ma contemplation, elle se retourne pour attraper une nouvelle plante et me remarque penché sur la fenêtre, les yeux rivés sur elle.

Pour la discrétion, on repassera.

Elle rougit et fronce les sourcils, mécontente de me voir. En réponse, je lui sers mon sourire le plus sarcastique. Elle agite les bras et me fait signe de la laisser tranquille. Je décide donc de ne pas la contrarier davantage et de me remettre au boulot. Réfléchir à l'élaboration d'une machine à crème solaire ne m'a jamais paru si bien choisi.

Il me faut quelques minutes pour me replonger complètement dans le travail, mais mon passage sous l'eau m'a été bénéfique. Je me sens mieux et j'arrive enfin à avancer comme je le veux. À côté, Mia est toujours en train de jardiner. Je ne peux pas m'empêcher de la regarder plusieurs fois à la dérobée. Elle me fait rire. Elle a beau savoir que je l'ai vu, elle continue à se comporter comme si elle était seule au monde. Et alors que je transpire à grosses gouttes, elle transpire la joie de vivre.

Je reste concentré pendant les deux heures suivantes et mon plan est presque terminé. Xavier et Bernard m'incitent à mettre fin à ce calvaire à dix-sept heures pétantes, pour ne pas trop souffrir de la chaleur. Ils m'annoncent qu'ils vont se mettre en maillot de bain et m'invitent à les rejoindre.

C'est vraiment une excellente idée.

Pendant que les deux amis montent à l'étage, je me dirige vers le jardin pour rejoindre Mia. La musique dans les oreilles, elle ne m'entend pas arriver. Je m'adosse une seconde contre le muret et la regarde. Puis je prends un petit caillou et lui lance sur le dos. Elle lève alors les yeux sur moi en grognant.

— Tu veux quoi ?

— Je viens voir ce que tu es en train de faire.

— Mon futur potager, dit-elle en se relevant. J'ai envie de voir mes petits légumes pousser.

— Et tu danses aussi, non ?

Je ne peux pas m'en empêcher. C'est tellement drôle de la voir partir au quart de tour quand je lui lance une vacherie.

— Oui, mais apparemment, il y a des voyeurs dans le coin, rétorque-t-elle sur le ton de l'humour.

— Mon bureau se trouve devant cette fenêtre, ce n'est pas de ma faute si tu as fait ton show juste sous mes yeux.

— J'espère que tu as aimé. Tu as eu l'immense honneur de me voir me déhancher sur du Beyoncé, dit-elle sans se démonter.

— Ah c'était ça ? fais-je, étonné. Je n'aurais pas pu deviner.

— Tu m'emmerdes Arthur, grogne-t-elle en me fusillant du regard.

Je souris comme un benêt. Ma provocation fonctionne à merveille. Elle fait mine de m'ignorer et continue à creuser ses petits trous. Je farfouille dans ma poche de pantalon et en sors mon paquet de cigarettes tout écrasé. Je m'en prends une et l'allume en m'asseyant près d'elle, contre le muret. Je sais que fumer est une tare, surtout pour un sportif, mais je n'arrive pas à arrêter même si j'ai considérablement diminué ma consommation. Maintenant, je ne m'autorise qu'une seule cigarette par jour.

Enfin... La plupart du temps.

— Alors ton après-midi ? finit-elle par demander.

— Une horreur. Je crois que tu n'imagines pas à quel point il fait chaud dans nos bureaux.

— Si, j'imagine très bien, sourit-elle. Et une petite partie de moi jubile à l'idée que tu souffres.

— Une petite partie, ah ouais ? dis-je en haussant un sourcil. Je croyais qu'on repartait sur de bonnes bases.

— Oui. Mais je t'ai détesté pendant si longtemps que c'est plaisant de savoir que ta vie n'est pas si belle.

— Tu es une peste, rigolé-je.

— Merci, dit-elle en me gratifiant d'un clin d'œil.

Xavier et mon père arrivent sur la terrasse en se marrant. Un short de bain et verre de Ricard à la main, ils ont la dégaine de touristes allemands. Leur bronzage agricole et leurs torses aussi blancs l'un que l'autre ne passent pas inaperçus. Ils se dirigent sans attendre vers la piscine et remarquent notre présence.

— Arthur, laisse ma fille tranquille et viens te baigner, soupire Xavier.

— Laisse-les, réprimande mon père en le poussant vers la piscine.

— Je vous rejoins, je finis ma clope, dis-je sans réagir à leurs sous-entendus.

Mia ne répond pas et j'observe la petite ridule qui se forme entre ses deux yeux quand elle fronce les sourcils. Je m'allonge sur la pelouse et ferme les yeux pour profiter de la brise pendant qu'elle continue de gesticuler près de moi. Ma cigarette au bec, je chantonne du Beyoncé pour continuer de l'énerver.

— All the single ladies, all the single ladies...

Ma ruse fonctionne. Elle se retourne vers moi en soupirant. Ses yeux transpirent l'exaspération, et mon sourire en coin n'arrange rien.

— Écoute Arthur, oui on a fait la paix. Ce n'est pas pour ça qu'on doit être ensemble H24, souffle-t-elle en me regardant.

— Je n'ai pas dit ça, ricané-je.

— Pourtant, tu es encore là.

— Et tu ne pourras rien y changer.

C'est trop bon de la pousser à bout. Elle a posé ses outils de jardinage et me fait face alors que je m'appuie sur un de mes coudes. N'importe qui aurait sûrement peur de son expression agressive, mais je la connais trop pour savoir qu'elle ne me fera rien.

— Tu n'as pas un entraînement de natation ou un truc qui t'attend en dehors de chez moi ?

— Non. C'est le mercredi et le vendredi.

— Et tu n'as pas de vie ? s'agace-t-elle.

— À t'entendre, j'ai l'impression d'être pire que le virus Ebola.

— Tu n'en es pas loin, rigole-t-elle alors que je me renfrogne.

Cette blague, qu'elle me lance, cache autre chose. Un malaise qui persiste entre nous, mais qu'elle tente, tant bien que mal, de ne pas me dévoiler. Nous avons toujours joué au chat et à la souris, à tel point que nous oublions bien souvent d'avoir une discussion sérieuse sur notre passé. Je soutiens un instant son regard et j'y lis une multitude d'émotions contradictoires, et je ne suis pas sûr de toutes les comprendre.

Elle finit par détourner ses yeux. Je la mets mal à l'aise, je le vois. Pourtant, je veux vraiment que tout se passe bien.

— Il faudrait peut-être qu'on ait une vraie discussion tous les deux, non ? dis-je doucement. Pour désamorcer tout ça...

— Non. Je... Je n'en ai pas envie, bredouille-t-elle en se relevant.

Elle entre à l'intérieur de la maison à une vitesse folle, laissant tout en plan et m'abandonnant sur la pelouse. Je reste un instant sans bouger.

Qu'est-ce que j'ai dit pour qu'elle se braque comme ça ?

Je suis bouleversé. Par elle. Par son incapacité à communiquer normalement. Par sa méfiance envers moi qui me fait mal. Je voudrais qu'elle baisse la garde, qu'elle comprenne que je ne veux plus la faire souffrir. Mais nous avançons sur un terrain miné et je pense que de continuer à éluder le problème ne sera plus une solution bien longtemps.

Alors que je soupire bruyamment en écrasant ma fin de cigarette, mon père me sort de mes réflexions en criant :

— Arthur ! Rejoins-nous.

Mes deux patrons sont confortablement installés dans les transats et s'esclaffent comme des gamins. Travailler avec eux, c'est un peu comme faire partie d'un club de vacances. Même s'ils savent être sérieux pendant les heures de travail, ils sont de grands comiques et ne manquent jamais une occasion de se fendre la poire.

Je décide alors de me lever pour les rejoindre. En passant près de la terrasse, je tente de regarder à l'intérieur.

Mia s'est volatilisée...

Je prends le maillot de bain que mon père a laissé sur la table de jardin et vais me changer dans le cabanon prévu à cet effet. Enfin délesté de mes vêtements de travail, je me dirige vers eux. Une bière fraîche m'attend près de la piscine. Je l'attrape et m'assois sur la première marche de l'escalier, en soupirant d'aise.

Cette journée a été fastidieuse et je suis bien content qu'elle se termine.

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