J-17
Ne pas avouer que nous étions totalement excitées aurait été un beau mensonge.
Cela faisait maintenant deux ans que nous nous connaissions toutes. Pour certains, je l'avoue, ça ne correspond à trois fois rien sur l'échelle de la vie humaine, pour ne pas dire sur celle de l'Univers. Mais vous savez comment on est à nos âges: un seul regard, un seul sourire suffit à nous lier d'une extraordinaire amitié.
En fait, l'idée de partir toutes les cinq ensembles ne date pas d'hier. A mi-parcours de la seconde, nous nous projetions déjà toutes ensembles en vacances. Et après avoir mûrement réfléchies, nous nous étions toutes mises d'accord sur le lieu: le bassin d'Arcachon, près de Bordeaux, au bord de l'Océan Atlantique. Mais où précisément?
Dans un camping de gendarmerie appelé "Les Grands Flots". L'incontestable avantage était que mes grands-parents paternels y passaient leur mois d'août. Quoi de plus rassurant pour des parents que de savoir leurs filles chéries toutes ensemble, encadrées et bichonnées par un couple de papi et mamie adorables? Eh bien justement. On était très loin du "rassurant".
Négocier n'avait pas été chose simple. Il a d'abord fallu que tous nos parents se rencontrent, pour s'entretenir sur le fait que oui ou non, ils pouvaient confier la vie de leur enfant à des inconnus, peut-être Alzheimer, peut-être séniles, violents, pédophiles, alcooliques et j'en passe.
Heureusement, mon père avait su trouver les mots pour couper court à cette déferlante sur mes grands-parents et pu clarifier certains points (comme le fait que ses parents ne mordaient pas, ne pouvant ainsi pas nous transmettre la rage par exemple).
Une fois passée la rencontre, ainsi que les épisodes de supplications, de chantage, de cirage de pompe, et de coup d'œil à la Chat Potté, nous étions tous entrés dans le vif du sujet: comment payer le voyage?
C'est là que nous sommes toutes les cinq entrées en jeu. Déjà, une partie du Noël y était passée à mon plus grand damne. Ensuite, même si nos parents avaient la gentillesse d'y mettre du leur, nous ne pouvions pas tout leur demander de payer. C'est là qu'est née la "Caisse Commune". L'idée? Faire des petits boulots par-ci par-là, et mettre 75% de ce qu'on gagnait dans un pot commun. Le reste, nous le conservions comme économies personnelles, toujours en vue du voyage, pour permettre de nous payer des petits plaisirs individuels.
Lola et Elisa avaient joué les baby-sitters et étaient devenues les stars des enfants de trois à sept ans dans leur quartier respectif. Il faut dire qu'avec le magnifique sourire et les charmantes boucles brunes de Lola ainsi que le rire communicatif et la pêche d'Elisa, il était assez difficile de ne pas leur résister! Gaëlle, de son côté, avait donné ça et là des cours de chant, en plus d'avoir quelques soirs acceptée contre une coquette rémunération de donner de sa voix dans des bars. Mettons les choses au clair: ceux qui n'ont jamais entendu chanter cette belle métisse aux cheveux complètement délirants, n'ont jamais entendu ce que j'appelle une « vraie voix ». Puissante, qui vous hérisse les poils et vous met de frissons dans le dos tellement c'est beau. Non, le plus beau, c'est cette modestie que Gaëlle nous sert toujours, sincère.
Puis il y avait aussi Rebecca. Elle avait passé son année à nettoyer des voitures à domicile. Personnellement, je la trouve courageuse. Jamais, même pour je ne sais combien de billets, je n'oserai frotter les vitres et le capot à l'aide d'une éponge, l'hiver, dans le froid. Mais quand on a un tempérament de lionne comme elle, on a peur de rien. Même pas de ce qu'on peut trouver enfouit dans les sièges des véhicules en y passant l'aspirateur...
Puis il y avait eu moi, qui avais également contribué. En donnant des cours de soutien en anglais et français, aux collégiens et aux secondes, chez eux. Un job crevant, absolument pas fait pour une non-pédagogue comme moi. Seul mon côté « intello littéraire » était satisfait d'étaler sa science tout un après-midi. Néanmoins, j'avais beaucoup appris (à prendre sur moi-même notamment).
Nous avions réunis une assez belle somme, servant à compléter plusieurs petites choses, comme notre pension alimentaire (car nourrir cinq bouches de plus, deux à trois fois par jour, mine de rien ça entame pas mal le budget), le prix de l'emplacement de notre tente ou encore celui des billets d'avion pour le retour. Quant au matériel, nous avions la chance d'avoir pu emprunter aux uns et aux autres une toile de tente familiale, des sacs de couchage pour certaines, des planches de body-surf pour d'autres, des frites, des lampes de poches et un tas d'autres choses plus ou moins utiles.
Enfin bref, dans dix-sept jours, nous voilà parties là-bas, toutes dans un minibus... Pendant six heures je crois. Bon d'accord, c'est long. Mais, après de longues négociations avec les parents de mon père, j'ai réussi à obtenir une pause pipi toutes les deux heures, en plus de nous permettre d'écouter notre musique à nous durant la moitié du trajet. C'est sympa de leur part de ne pas nous imposer "Nostalgie" pendant près d'un quart de journée!
Et alors que je m'ennuie fermement, une idée des plus géniales me vient à l'esprit: appeler Rebecca. Pour parler de quoi? Rien de bien particulier, si ce n'est de nos vies respectives... et de nos vacances! Je saute sur mon téléphone, cherche son numéro et l'appelle aussitôt. Malheureusement, elle ne décroche pas, ce qui me plonge alors dans une longue période de solitude. Soit deux minutes.
- Paloma, tu peux descendre s'il te plaît? m'appelle ma mère depuis les escaliers.
Trop contente d'avoir quelque chose à faire, je quitte mon lit et rejoins au plus vite ma famille, plus ou moins badigeonnée de peinture. "Ciel, pourquoi je suis venue à eux? Je sens que j'aurais dû rester enfermée dans ma chambre! Quelle idiote...". Et pendant que je me réprimande, ma mère me tend un tas d'éponges, de chiffons... Je sens que je vais passer un bon moment moi! Je soupire et, après avoir écoutée les directives de ma mère je me mets à gratter les tâches de peinture collées au sol.
Néanmoins je ne fais pas part de mes complaintes: après tout, c'est grâce à eux que je pars avec mes amies cet été. Puis, ils ont besoin d'aide avec la vente de l'appartement alors bon, il faut y mettre un peu du sien pour faciliter la vie de tous. Je lâche un soupir d'exaspération devant une tâche blanche qui ne veut pas s'enlever, et jette l'éponge, au sens littéral et figuré du terme.
- Maman, y a Paloma qui travaille pas, braille ma petite sœur.
- Mêle-toi un peu de tes fesses, marmonné-je dans ma barbe en me remettant à frotter le carrelage.
On se croirait dans Cendrillon n'est-ce pas? A l'exception que mes parents sont toujours en vie, que je n'ai pas d'insupportables "sœurs", que je ne possède pas non plus de carrosse-citrouille fourni par une gentille fée et que je ne suis pas blonde. En dehors de ça, je suis comme elle: exploitée, tyrannisée, mais aimée par un formidable Prince Charmant. Je me mets alors à sourire niaisement, et lâche par réflexe un petit soupir de contentement. Ah l'amour... ça nous rend tous un peu bêtes dans le fond.
Tellement benêts même que parfois, je passais sans m'énerver les commentaires narquois de ma sœur. Mais je compose avec, et me répète qu'en même temps, c'est encore une enfant.
Non, la réalité c'est que je rétorque avec le même niveau d'âge mental qu'elle, au grand damne de mes parents. "Quand grandiras-tu enfin?" me questionnent-ils sans arrêt. La seule réponse possible est: jamais. Jamais, jamais, jamais. D'ailleurs, c'est ce petit côté gamine qui fait craquer mon copain donc bon... Pourquoi s'en priver?
N'empêche, ce comportement me joue pas mal de tours: mes paternels ne me jugent pas assez mâture et à moi la vie de pré-pubert jusqu'à mes trente-sept ans! Bon, j'espère pouvoir m'échapper un peu plus vite de chez moi tout de même... Quoiqu'en regardant bien, il y a quand même moult avantages à vivre encore à la maison: lessive, repassage, repas, une chambre à soi dans un joli appartement et le tout gratuit en plus!
- Bon Paloma, si t'es venue faire de la figuration, tu peux repartir! me lance mon père, une pointe d'exaspération dans la voix.
Je me retrousse les manches, enfin, les bretelles, et me remets à frotter le carrelage avec la force de mes deux bras non-musclés. Au boulot! J'astique chaque dalle afin de faire disparaître ces maudites tâches de peinture, très tenaces qui plus est!
Ce travail ardu, complété par d'autres, me prend l'après-midi entier. A la fin, je suis lessivée, fourbue, mais prête à prendre une bonne douche, suivie d'une Granny Smith et d'un magazine, confortablement installée contre mes dizaines de coussins. C'est là une de mes particularités: j'ai décoré ma chambre dans un esprit complètement cocooning, avec tapis, tenture sur le mur au-dessus de mon lit, coussins, et un fauteuil confortable contre la fenêtre encadrée par un lourd rideau, drapé d'une douce couverture en mohair. Le tout dans les tons crème, blanc, gris, rose pâle et parfois, quelques touches de noir ça et là. Et j'oubliais: la montagne de magazines consacrés à la mode, posée contre ma table de nuit. Certains décrient « cette passion » comme futile, d'autres la jugent indissociable à leur bien-être. Dans mon cas, j'y vois plutôt quelque chose d'amusant à analyser, à décortiquer, à comprendre. Puis c'est une explosion de créativité qui jaillit dans mes yeux, après chaque page tournée.
Ce soir, le sommeil vient plus tôt que d'habitude. Et alors que ma tête se met à dodeliner tout doucement, j'entends mon téléphone vibrer brusquement. Je quitte aussitôt mon état végétatif et attrape mon portable à l'écran complètement bousillé. Tiens, c'est Rebecca! Pourquoi ne suis-je pas étonnée qu'elle ne me réponde que maintenant? Je souris discrètement et réponds à son message. Il me faut attendre seulement quelques secondes pour entendre de nouveau le vibreur s'activer. S'en suit un petit dialogue léger, où chacune parle de ses amours. En même temps, mon petit ami m'en envoie un, où il me souhaite de passer une bonne nuit.
Je me calle un peu mieux contre mes coussins. Plus que seize jours à attendre!
Bonjour!
Voilà voilà, une nouvelle histoire qui sera écrite cet été!
Voyez cela comme une fiction pour les vacances!
En espérant que cette recette fruitée et un peu acide vous plaise ;)
Mademoiselle C.
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