Chapitre 9 : Le Début des Emmerdes - Baal
Baal faisait les cent pas dans son bureau depuis ce matin. Pourtant, tout allait pour le mieux dans le pire des mondes. Toutefois, elle ne pouvait pas se défaire de l'impression persistante que la journée ne se finirait pas bien. Et par pour les autres. Pour elle. Ce qui était inacceptable. Peut-être que son état venait de l'irritation qu'elle ressentait à l'encontre de Lilith. Cette dernière avait beau nier les faits, Baal était persuadée que la Princesse des Succubes lui faisait la gueule. Encore du travail supplémentaire pour elle : les gens ne lui facilitaient vraiment pas la tâche. Elle ne s'en plaindrait jamais assez.
Elle se remit à son bureau afin de vérifier ses mails. Baal n'en avait aucun nouveau depuis la dernière fois qu'elle avait regardé, cinq minutes plus tôt. Même Léviathan se tenait tranquille aujourd'hui. Il s'agissait là d'un véritable miracle puisque habituellement, le Grand Amiral avait la fâcheuse tendance à se transformer en Kraken dans le port – lorsqu'il était coincé en Enfer – afin d'amuser et d'effrayer la galerie. Bien sûr, il n'en avait pas le droit à cause des dégâts que cela causait aux bâtiments mais il n'en avait que faire. Encore un égoïste.
Baal était tellement désœuvrée qu'elle alla même jusqu'à investiguer dans ses spams. Elle haussa les sourcils en remarquant un e-mail qu'elle n'avait pas vu avant. Une publicité de la part de STYX, le service d'achats en ligne le plus populaire et développé en Enfer. On y proposait les dernières sorties filmiques des studios infernaux. Baal n'était pas au courant que la nouvelle saison de Secret Me – une série sur les aventures de Démons espions –, avait pointé le bout de son nez. Lilith la lui avait conseillée. Elle avait prétendu ne pas avoir apprécié du tout, mais en réalité, elle attendait chaque nouvel épisode avec une certaine impatience. Elle avait donc été très déçue lorsqu'elle n'avait pas été disponible lors des dernières diffusions.
Alors qu'elle était sur le point de cliquer sur le lien afin d'en apprendre davantage sur l'offre proposée, la porte de son bureau s'ouvrit brusquement. Dans un sursaut qui ne lui ressemblait pas, elle ferma l'e-mail avec précipitation et fit de son mieux pour ne pas montrer sa précipitation. Eurynome le remarqua tout de même et haussa un sourcil. Toutefois, il ne fit pas de remarque alors qu'il entrait à la suite de Nergal dans le bureau de Baal.
En posant les yeux sur le Juge de l'Enfer, le visage de Baal se fit plus mauvais encore. Elle comprenait maintenant pourquoi elle ne sentait pas cette journée. A partir de ce moment, son nouvel objectif serait de les virer de chez elle. Et le plus rapidement possible.
« Qu'est-ce que vous faites ici ?
- Bonjour Baal, répondit Eurynome avec une intonation affable. Je vais bien, merci. Et toi ? »
Bien évidemment, la Générale des Armées ne répondit pas. Eurynome n'en était pas surpris et il laissa donc couler, tout comme Nergal qui entra dans le vif du sujet sans attendre.
« On a quelque chose à te montrer. »
Sur ce, elle lança à plat un dossier sur le bureau de Baal qui l'ouvrit après avoir jeté un coup d'œil circonspect aux deux intrus. Comme ils n'avaient pas l'air de vouloir en dire plus, elle se pencha sur leur document.
Il s'agissait de la fiche d'identification d'une âme arrivée en Enfer quelques mois plus tôt. La 102458-22062016. Né à Rouen, France. Mort à Las Vegas, Etats-Unis d'Amérique. Jacob de Bergeret avait vingt ans lors de son décès. Baal avait déjà entendu ce nom quelque part. En fait, pour être exact, elle le connaissait bien puisqu'elle avait essayé – sans succès pour le coup –, de le faire disparaître de la surface de la planète.
« Un chasseur ? s'exclama-t-elle. Mais qu'est-ce qu'il fait là ? »
Les chasseurs de Démons finissaient toujours au Paradis. Même ceux aux mœurs douteuses. Le tribunal céleste prenait parfois de drôles de décisions mais l'Enfer n'allait pas s'en plaindre. Déjà parce que cela faisait un dossier de moins à traiter et qu'ils avaient un arrivage quotidien énorme, mais surtout parce que quel Démon aurait voulu s'occuper d'un emmerdeur comme un chasseur de Démons ? Personne.
« Regarde le motif de condamnation, c'est là que ça devient intéressant, indiqua Nergal avec une mine fermée. »
Curieuse, Baal s'empressa de le faire. Dans la case cause du décès, il y avait inscrit : « Tué par un Démon ». Jusqu'ici, tout allait bien. Mais dans celle qui correspondait au crime qui lui valait l'Enfer, Baal put lire : « A tué un Ange ». Si la Générale des Armées n'avait pas eu plus de contrôle elle lui aurait ri au nez.
« Comment...
- C'est ce qu'on aimerait bien savoir, intervint Eurynome. Ce document a été trouvé dans mes services. Le bougre devait être jugé aujourd'hui mais on l'a intercepté. Dès que j'ai eu l'information, j'ai demandé à Nergal de le mettre en isolement. Et voilà. »
Baal lui jeta un regard suspicieux. Elle n'était pas habituée à un tel comportement de la part du Juge de l'Enfer. S'il ne la détestait pas autant qu'elle le détestait, on ne pouvait pas dire qu'il l'appréciait beaucoup. Son masque de sérénité ne trompait pas Baal.
« Pourquoi tu me dis ça personnellement ? On n'est pas comme cul et chemise, aux dernières nouvelles. »
La méfiance avant tout. Ils étaient peut-être face à une situation inédite mais il ne fallait pas exagérer.
« Parce que je sais très bien que tu ne trahirais pas l'Impératrice, tout simplement. Donc, je sais qu'on peut te faire confiance. »
Bon, il savait un peu la brosser dans le sens du poil. Cependant, cela ne changeait rien et Baal plissa les yeux.
« Je vois...
- Et ce n'est pas tout, ajouta Eurynome.
- Parce qu'il y a encore plus étrange qu'un chasseur de Démons qui se retrouve chez nous après avoir tué un Ange ? D'ailleurs, vous avez contacté l'Impératrice ?
- Pas encore, lança Nergal.
- Pourquoi donc ?
- Regarde d'où le Bergeret vient.
- Rouen ? prononça Baal avec une certaine difficulté. Je ne vois pas...
- C'est là où est partie Lucifer en vacances. Alors maintenant dis-moi, à ton avis, quel est le pourcentage de chance pour qu'elle y soit allée par hasard alors que : un, Baalberith l'a trahie même pas deux mois plus tôt ; et deux, un chasseur de Démons qui vient précisément de son lieu de villégiature débarque en Enfer parce qu'il a tué un Ange ? demanda Eurynome en haussant un sourcil dubitatif. »
Baal plissa les yeux, peu convaincue. Si Lucifer avait tenté une opération de la sorte, elle l'aurait prévenue, non ? Elle ne lui aurait pas caché... Comme si elle était capable de lire dans son esprit, Nergal s'exclama :
« Tu fais trop confiance à l'Impératrice. »
La Générale des Armées écarquilla les yeux devant une telle trahison. Qui était-elle pour remettre en question les décisions de l'Impératrice ? Elle se devait d'exprimer son indignation.
« Comment peux-tu-
- Ecoute, Baal. Réfléchis deux minutes. Si tu veux nous dénoncer à Lucifer pour x ou y raison, pas de soucis. Fais-le. Mais avant ça, calme-toi et repense à la situation. Si on est venus te voir, ce n'est pas pour rien. Les techniques d'interrogatoire de Nergal ne sont pas efficaces contre lui pour une raison que l'on ignore. En plus, Léonard n'est pas encore arrivé et on n'a pas le temps de l'attendre. Alors, on voudrait que tu lui tires les vers du nez.
- Mais attends... tu sais aussi bien que moi que les interrogatoires, ce n'est pas ma spécialité.
- Oh... tu peux être persuasive quand tu veux.
- Vous avez besoin d'un flic encore plus méchant que vous, c'est ça ? demanda Baal avec une moue perplexe. »
Baal était partagée. Dans un sens, elle avait envie de tout de suite dénoncer Eurynome afin que Lucifer l'éradique de l'Enfer – même si elle se doutait que l'Impératrice ne le ferait pas. Mais elle était également curieuse. Après tout, l'idée de martyriser un chasseur de Démons était très tentante. Elle avait tenté d'exterminer sa famille quelques siècles plus tôt. Ce serait une mise à jour sympathique sur leur situation. Surtout si le meurtre d'Anges faisait maintenant partie de leurs compétences.
Enfin, elle prit sa décision : cela ne lui couterait pas grand-chose, de toute façon.
« Bon. Okay. Allez-y. Emmenez-moi. Ça changera rien à ce que vous avez déjà fait... »
Nergal acquiesça d'un air satisfait et sans un mot de plus, elle fit demi-tour pour la guider jusqu'à son département de haute-sécurité, situé en-dessous du palais. Baal attrapa un de ses téléphones qui trainaient sur son bureau et la suivit sans hésiter. Eurynome fermait la marche. Ils avançaient à vive allure dans les couloirs et les escaliers. Lorsqu'ils arrivèrent à l'étage dédié à la gestion des finances, ils ralentirent le rythme.
Astaroth était en train de discuter avec un de ses subordonnés. Il avait une pile de dossiers dans les bras mais n'avait pas vraiment l'air à ce qu'il faisait. Il répondait par automatisme – même Baal, qui n'était pas une championne en matière d'émotions et de sentiments, n'avait pas de problèmes à le constater. Sa queue et ses oreilles de chien viverrin ne semblaient pas avoir de repos, bougeant dans tous les sens à intervalles réguliers. Astaroth était nerveux. Enfin, plus que d'habitude.
Eurynome l'interpella. Baal avait envie de l'étrangler : il allait leur faire perdre du temps. Mais bon, c'était peut-être pour paraître moins suspicieux. Ou bien Eurynome avait une envie irrésistible de faire sa commère. La Générale des Armées n'aurait pas été surprise par la deuxième possibilité. Enfin, Astaroth ne sembla pas plus perturbé que ça par le regard assassin de Baal et répondit au salut du Juge de l'Enfer.
« Eurynome, Nergal, Baal. »
Baal plissa des yeux : comment osait-il prononcer son prénom en dernier ?
« ça faisait un bail qu'on ne t'avait pas vu ! répondit Eurynome. Tu vas bien ?
- ça va...
- Tu m'as pas l'air convaincu. Tu n'as toujours pas retrouvé Erise, j'imagine ?
- Non.
- Tu as dégoté des informations au moins ? Tu as avancé dans tes recherches ?
- La dernière fois qu'elle a été vue, c'était à Las Vegas. Mais aucune trace d'elle là-bas. Asmodée m'a dit que la dernière fois qu'elle l'avait rencontrée, elle ne lui avait pas dit où elle allait donc, je dois quadriller des zones potentielles immenses. Ça prend beaucoup de temps.
- Je vois... Ecoute, quand le problème avec Baalberith sera définitivement réglé, je demanderai à l'Impératrice, si elle ne peut pas y faire quelque chose.
- Je lui ai déjà demandé.
- Je sais mais tu la connais : elle a dû laisser ça dans sa pile de choses à faire et ne pas y retoucher depuis. »
Plutôt que s'insurger devant l'assurance d'Eurynome, Baal eut une pensée pour la coïncidence qui faisait correspondre le lieu de la mort du Bergeret avec celui de la disparition d'Erise. Mais vu qu'elle n'aimait pas Erise et qu'elle s'en moquait de son sort, il n'y avait aucune raison pour qu'elle l'approfondisse.
« Bon, on y va, là ? lança-t-elle alors en serrant les dents.
- Excuse-nous, renchérit Nergal à l'intention d'Astaroth. On est un peu occupés, là. On se voit plus tard, d'accord.
- Pas de soucis, marmonna le Trésorier de l'Enfer. »
Sans plus d'incidents notables, ils atteignirent l'entrée du département de Nergal. Ils s'arrêtèrent devant le portique de sécurité. Il était semblable au dispositif qu'on trouvait dans les aéroports humains – sauf que celui-ci fonctionnait moins à l'électricité qu'à la sorcellerie. Sachant très bien ce qu'elle avait à faire, Baal sortit son téléphone de sa poche ainsi que la dague qu'elle avait toujours dans sa botte. Elle les mit dans un bac en plastique avant d'y ajouter ses cartes d'accès magnétiques ainsi que son trousseau de clefs et sa ceinture.
On ne lui rendit ni son téléphone ni son arme. Elle ne les récupèrerait qu'à sa sortie. C'était pour éviter, non seulement les évasions, mais aussi la fuite d'informations classées top secret. Eurynome et même Nergal s'y soumirent. Il n'y avait aucune exception. Même l'Impératrice aurait dû s'y plier. Il n'aurait pas fallu que l'Enfer s'écroule.
Sans un mot supplémentaire, Nergal les guida dans un dédale de couloirs, passant plusieurs sas de sécurité et leurs faisant au moins signer trois registres différents. Le chasseur de Démons faisait vraiment partie des V.I.P. de la prison des services secrets. La cheffe de ces derniers s'arrêta finalement dans un couloir étroit. Il y avait des gardes qui surveillaient à toutes les ouvertures.
« Il est derrière cette porte ? demanda Baal, même si elle connaissait déjà la réponse.
- Oui, répondit Eurynome. Nous, on va se mettre dans la pièce juste à côté. Il y a un miroir sans teint qui est relié à sa cellule.
- Baal, continua Nergal d'un ton solennel, je voudrais donc que tu l'interroges. De la manière qui te semble la plus adéquate.
- Sur sa mort et celle de l'Ange ? Seulement ça ? Tu ne veux pas le fonctionnement de leur famille ?
- Non, pas la peine. On en aura largement le temps après.
- Okay, d'accord. Je m'en charge. »
Lorsque Baal ouvrit la porte de la cellule et que son regard se posa sur Jacob de Bergeret, un mépris infini s'inscrivit sur son visage. Vraiment, les Humains étaient de sacrés insectes. Même quand elle était un Ange et qu'on avait essayé de lui vendre le projet de Ses nouveaux enfants, Baal avait vu l'arnaque de très loin. Et le spécimen qu'elle avait sous les yeux lui prouvait qu'elle avait eu raison.
« Eh bien... C'est à ça que ressemble un chasseur de Démons de nos jours ? railla-t-elle. Pathétique. J'aurais vraiment dû exterminer tous les rats de ta famille quand j'en avais l'occasion, ça aurait épargné à tout le monde ton spectacle misérable... »
Un petit dessin d'Astaroth, comme toujours fait par hephaestine sur Twitter.
Publié le 21/07/2020.
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