Chapitre 16 : Coupable jusqu'à avoir été déclaré coupable - Baal
Baal appréciait toujours grandement les exécutions.
Elle était d'une humeur excellente lorsqu'elle savait que quelqu'un allait souffrir sous ses yeux. L'odeur de peur que les faibles dégageaient quand ils étaient à ça de mourir... Voilà qui était fort plaisant. Malheureusement, ce n'était pas pour tout de suite puisqu'il fallait que Baalberith soit d'abord jugé dans les règles de l'art. Baal ne pouvait pas s'empêcher de trouver ça stupide : tout le monde savait qu'il serait condamné à la peine capitale ! Il n'avait même pas d'avocat en plus – non pas que ça aurait changé quelque chose au résultat final, mais...
Dans tous les cas, Baal se devait d'attendre. Elle était arrivée très tôt dans la salle d'audience. Hécate s'affairait autour des caméras qui retransmettraient l'affaire aux habitants de l'Enfer. Il s'agissait là autant d'un moyen de les divertir que de les mettre en garde sur les conséquences d'un comportement jugé traitre. A part la Princesse des Ames Damnées, Baal était la seule membre du Grand Conseil présente et cela mettait tout le monde mal à la l'aise. A moins que ce soit juste elle qui fasse cet effet-là.
D'habitude la Générale des Armées n'était pas du genre à rester inactive comme ça. Enfin, 'inactive'. En réalité, elle regardait d'un air soupçonneux toutes les personnes qui avaient le malheur de rentrer dans son champ de vision – ils avaient tous envie de finir leur travail très vite pour s'enfuir loin d'elle. Les plus anciens savaient que lorsque Baal se comportait ainsi, cela ne voulait dire qu'une chose : elle était déterminée à mener une nouvelle chasse aux 'sorcières'. Ça faisait beaucoup de morts mais la gouvernance de l'Enfer l'autorisait parce qu'elle trouvait ça raisonnablement efficace.
Baal mit ses pieds sur le dossier du siège devant elle. Il appartenait à Pan, alors elle n'en avait rien à faire. Les places des membres du Grand Conseil étaient sur la gauche avec Lucifer au milieu. En réalité, celui qui trônait ici, c'était Eurynome. Maître des lieux, il était au centre de tout, plus haut que n'importe qui. Baalberith se trouverait en face de lui. L'ancien Grand Pontife ne devrait pas s'attendre à la moindre pitié de la part du Juge de l'Enfer.
« Baal, qu'est-ce que tu fabriques ici ? finit par s'impatienter Hécate. »
La Générale des Armées haussa un sourcil avant de lancer un regard méprisant à sa nouvelle interlocutrice. Hécate ne sembla pas impressionnée pour un sou et croisa les bras d'irritation.
« J'ai le droit d'être là aux dernières nouvelles et je n'ai pas de compte à te rendre.
- Enlève tes pieds de là, tu vas mettre des traces partout avec tes rangers poussiéreuses.
- Mes chaussures sont impeccablement cirées, je ne te permets pas, siffla Baal en ne changeant aucunement de position.
- Tu passes ton temps à dire que tu as plein de travail et que tu es débordée mais soudainement, tu aurais le temps de venir nous observer faire des réglages pas du tout intéressants ? A d'autres.
- Mais mêle-toi de ton cul.
- Si c'est pour essayer de dénicher de potentiels traitres qui voudraient tenter une nouvelle action contre l'Impératrice, sache que Nergal a déjà tout vérifié deux fois. Chacun des spectateurs a été évalué avec attention. Et puis de toute façon, tu n'as pas à t'occuper de ça : tu es Générale des Armées, pas autre chose. Je sais que ça te démange d'être utile parce que la dernière guerre date, mais-
- Hécate ? l'interrompit Baal.
- Oui ?
- Ta gueule. »
Face à ce comportement peu ouvert, Hécate soupira et leva les yeux au ciel avant de retourner à son travail sans faire de tentative supplémentaire. De toute façon, elle sentait bien que c'était peine perdue.
La Générale des Armées resta donc au moins deux heures à observer de manière très subtile les allées et venues. Cela lui ferait du travail à rattraper cette nuit, vu qu'elle avait de grandes difficultés à faire confiance à ses subordonnés. Elle clamait toujours qu'ils commettaient des erreurs partout, ce qui l'obligeait à faire des heures supplémentaires. Dans tous les cas, lorsque Baal vit arriver les premiers membres du public, elle les fusilla de nouveau du regard un à un, comme si elle pouvait deviner ce qu'il y avait dans leur tête. Leonard aurait pu le faire facilement et parfois, elle était un peu envieuse – mais jamais elle ne lui aurait dit bien sûr.
Il ne restait environ qu'une heure avant le début du procès et ce ne fut qu'à ce moment qu'Eurynome fit irruption avec ce que Baal considérait dores et déjà comme l'animal de compagnie du Juge de l'Enfer. En réalité, Jacob avait mauvaise mine mais le fait qu'il soit déjà là si peu de temps après sa transformation était une performance digne d'être notée. Eurynome le conduisit à une place au premier rang du public. Baal grogna presque de mécontentement. Le Juge de l'Enfer le remarqua aussitôt et lança :
« Qu'est-ce que tu veux encore, Baal ? Quel est ton problème ?
- Pourquoi il est là, ce misérable rat ? »
Jacob n'osait même pas la regarder dans les yeux. Bon instinct de survie mais ça n'empêchait pas Baal de le mépriser pour sa couardise. En même temps, parvenir à monter dans l'estime de la Générale des Armées était un tour de force que peu avaient réussi. Et Jacob n'était pas en bonne position pour rentrer dans ce club très fermé.
« Parce que notre généreuse Impératrice l'a mis sous ma responsabilité et qu'il faut bien que je l'instruise, ce petit agneau blanc.
- C'était un Chasseur de Démons.
- Tu dis ça comme si tu avais un problème face à la mort de nos semblables.
- Mouais, concéda Baal. En plus, il n'a pas l'air bien doué... il n'a pas dû en éliminer beaucoup. »
Jacob dut encaisser la sympathique remarque puisque personne ne le défendit. Eurynome s'éclipsa bien vite après avoir donné quelques dernières indications à son poulain.
Les trois quarts de l'audience étaient arrivés lorsque Lucifer fit son entrée avec le reste du Grand Conseil. Elle avait fait un effort dans son habillement, puisqu'elle portait une longue robe de soirée blanche qui scintillait d'éclats noirs – sans doute incrustés à la main. C'était bien rare de la voir vêtue d'un ensemble aussi peu pratique – en particulier puisqu'il s'agissait d'un modèle à forme sirène –, mais en même temps, ce n'était pas tous les jours qu'on jugeait en Enfer un Démon qui avait vécu la Chute.
« Joli, lança Baal en guise d'introduction, ce qui n'était pas du tout protocolaire.
- Merci. Ça faisait un bail que j'avais envie de la mettre mais je n'avais pas vraiment l'occasion. Là, c'est le bon moment, tu ne crois pas ?
- Si... même si c'est très blanc tout ça. C'est la nouvelle collection angélique ? »
Lucifer eut un petit rire en s'installant à côté de la Générale des Armées. Elle fit bien attention au tissu de sa jupe. Baal quant à elle n'avait pas bougé d'un pouce et ne retira ses pieds que lorsque l'Impératrice l'y invita après que Pan lui ait adressé un regard noir.
Lorsque Baalberith fit son entrée, Baal put une fois de plus constater à quel point il était laid – sans aucun biais de sa part dans le jugement, évidemment. En même temps, d'habitude il portait un masque en forme de crâne d'oryx ou d'impala. Mais cela avait changé avec la prison : hors de question de lui laisser de tels artifices, surtout avec de pareilles cornes. Maintenant, sans ça, tout le monde pouvait voir à quel point il avait des cheveux noirs gras et filasses ainsi que de vilaines dents à moitié déchaussées. Et Baal ne s'attardait ni sur son nez tordu ni sur son teint cadavérique. Alors certes, le séjour en détention n'avait pas dû aider – surtout pour le nez – mais ça ne changeait rien au fait que la Générale des Armées comprenait pourquoi il se cachait. Elle eut un sourire mauvais. Bien fait pour un traitre. Il n'avait que ce qu'il méritait.
Baalberith fut installé avec plus ou moins de délicatesse sur le siège réservé à l'accusé, juste en face du Juge. Il ne pipa pas un mot mais quand Lucifer lui fit un petit coucou de la main avec un sourire radieux, Baalberith lui envoya un regard rempli de haire et crache au sol. Cela lui valut une claque de la part d'un de ses gardes et un larbin s'empressa de venir nettoyer. Tout devait être parfait. Lucifer ne put s'empêcher de rire avant d'ouvrir un éventail d'un air dramatique.
« Il reste encore combien de temps ? demanda-t-elle à Baal. »
Cette dernière regarda sa montre avant de répondre :
« Dix minutes.
- Lilith te fait la gueule ? lui murmura à l'oreille Lucifer à brûle point.
- Pourquoi tu me demandes ça ?
- A ton avis ? »
Elle n'avait même pas remarqué que la Princesse des Succubes était arrivée et s'était assise à côté de Pan sans lui dire bonjour. Bizarre, mais elle haussa les épaules.
« Non, il ne s'est rien passé de particulier.
- Vraiment ? répliqua l'Impératrice d'un air peu convaincu.
- Mais je t'assure !
- Si tu le dis.
- Tu ne me crois pas ?
- Si, si. »
Il était évident qu'elle ne la croyait pas, mais Baal n'avait pas le temps de rentrer dans un débat de ce genre. En particulier puisque Hécate venait de leur faire signe derrière la caméra que la retransmission allait bientôt commencer. Elle rejoignit d'ailleurs rapidement sa place à côté d'Astaroth. Ce procès devait d'ailleurs avoir une saveur particulière pour elle : avant sa traîtrise, elle avait été sous les ordres de Satan – sa numéro trois pour être précis. Et encore une fois, il revenait sur le devant de la scène. Même si elle avait été mise hors de cause, ça ne devait pas être des plus agréables. Proserpine, sa seconde, fit elle-aussi un signe, cette fois-ci à l'ensemble du public qui se tut tel un seul Démon. Enfin, elle lança un coup d'œil à Hécate qui acquiesça. Baal la vit alors mettre un casque sur la tête et une loupiote s'alluma sur la caméra.
Tel un ballet bien chorégraphié, un des employés du tribunal dont Baal n'aurait jamais pris le temps de retenir le nom annonça d'une voix claire :
« Le greffier, Seigneur Raym, les assesseurs Dame Vapula et Seigneur Sabnac, l'avocate générale Dame Kanako et le président, Seigneur Eurynome, Juge de l'Enfer. »
Alors qu'il était en train d'annoncer leur nom, les intéressés étaient entrés dans la salle d'audience et prenaient place.
« L'accusé n'a pas souhaité faire appel à un avocat. Il assurera sa défense seul. »
En même temps, ce n'était pas surprenant : il ne pouvait de toute manière pas gagner et Baal soupçonnait qu'il ne voulait pas gagner. Elle connaissait le mode de fonctionnement des Satanistes, après tout, puisqu'elle avait organisé leur traque. C'est pour ça qu'elle savait qu'ils copiaient en général les techniques angéliques pour tenter le martyre. Ça ne marchait que très moyennement – surtout quand la propagande infernale était efficace.
Une fois prêt, Eurynome prit la parole :
« Démones, Démons, je déclare ouvert le procès de Baalberith, anciennement nommé Veuliah, dont la position était Grand Pontife avant qu'il ne soit accusé de trahison pour tentative d'assassinat sur la personne de Sa Majesté Impériale Lucifer. La peine possible encourue si l'accusé est jugé coupable va de l'emprisonnement à perpétuité au Tartare jusqu'à l'exécution par décapitation. Je laisse maintenant la parole à l'avocate générale, Dame Kanako. »
Très peu d'anciens Humains arrivaient à des postes de responsabilité si élevés en Enfer. Il ne fallait même pas en parler à Baal par exemple. Cependant, Kanako (et Erise mais c'était un cas particulier parce qu'avait-elle un jour été vraiment Humaine ?) faisait partie de cette catégorie très fermée et même si la Générale des Armées aurait préféré mourir plutôt que de le dire, elle était plutôt acceptable dans son rôle.
Cela faisait à peine cinq cents ans qu'elle avait débarqué en Enfer, kimono sur le dos et caractère aussi souple qu'un caillou. Elle devait avoir un peu moins de trente ans à sa mort dans le Japon de l'ère Sengoku et était toujours droite dans ses bottes. En plus, Kanako savait très bien s'adapter aux changements d'époques, aux évolutions technologiques. C'était un plus. Tout le monde ne parvenait pas à bien vivre l'éternité. Dans tous les cas, Kanako était donc inflexible et ça en faisait une très bonne seconde pour Eurynome qui avait tendance à vouloir tout accommoder à sa sauce. Baalberith n'avait aucune chance face à la précision de sniper de son adversaire qui ne laisserait rien passer.
« Merci Seigneur Eurynome, répondit-elle en remontant ses petites lunettes rondes sur son nez. »
A partir de là, Baal décrocha. Pourquoi s'intéresser à cette mascarade quand on en connaissait déjà les éléments de toute façon ? La Générale des Armées pouvait spoiler tout le monde sur les événements vraiment. Mais qui n'était pas au courant dans les moindres détails de la tentative d'assassinat ? Que les bouseux des cercles extérieurs, pour sûr. Baal, elle, avait eu le bonheur d'y assister. Au moins, elle avait eu l'occasion de casser le nez de Baalberith – et plus encore. Baal ne disait jamais 'non' à un tabassage en règle.
Publié le 11/10/2020.
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