Chapitre 7 - Ta réponse ? [corrigé]

Habitée d'une détermination nouvelle, je laisse les semelles de mes chaussures avaler les pavés, en direction de la ruelle. Les mains dans les poches, les épaules crispées, je frissonne. C'est une journée froide. Un petit nuage s'échappe de mes lèvres alors que je souffle, la respiration courte.

Je n'en ai pas parlé à mes parents. Je n'ai pas besoin qu'ils me fournissent des explications, tout est déjà bien trop clair. De toute façon, ils n'y peuvent rien, et déterrer un mauvais souvenir n'est surement pas une bonne idée.

Joao est là, comme prévu. Il m'attend, assis sur la Pierre à Couleurs, la mine renfrognée. Son changement d'humeur constante me déstabilise et je ne sais pas bien quel comportement adopter. Je m'approche et lance un « Bonjour » timide, auquel il ne répond pas. Je répète, au cas où il n'aurait pas entendu.

_ Mmmmh, se contente-t-il de grogner.

Il lève ensuite ses yeux bleus à en rendre jaloux le ciel vers moi. De grosses poches foncées soulignent son regard, et je devine qu'il n'a pas bien dormi depuis des jours. Nous nous jugeons du regard pendant plusieurs minutes avant qu'il ne daigne prendre la parole.

_ Ta réponse ?

Son ton est las, comme si chaque mot lui coûtait.

_ C'est oui. Oui, je veux faire partie des Drysor.

Un semblant de sourire étire ses lèvres, ce qui le rend incroyablement séduisant. Il me fait signe d'approcher, et je m'empresse de le rejoindre.

_ Fais-le.

_ Faire quoi ?

Il hoche la tête vers le Rocher, et je comprends. Je le fais basculer de mes deux mains, pour dévoiler le levier, comme l'a fait Laïa deux jours plus tôt. Le pan de mur tremble, se soulève, et nous passons.

Quand j'arrive de l'autre côté, je me heurte à un barrage humain. Ils sont tous là, en rang d'oignons, à me fixer sans bruit. D'abord Laïa, puis Evana. Viennent ensuite Gala et Lilo. Mal à l'aise, je les regarde tour à tour, ne sachant pas très bien si je dois dire quelque chose ou garder le silence.

Je profite du moment pour lire leurs badges, fronçant les yeux. Les lettres en pattes de mouches de celui de Laïa disent qu'elle est Déterminée. Evana est Original, ce qui ne m'étonne en aucun cas. Gala et Lilo sont similaires, encore une fois, en tant qu'Optimistes.

_ Bienvenue, Alya, dit Gala d'une voix légère en m'embrassant sur les deux joues. Les autres font de même, avec bien plus de retenue.

*

Je me vois attribuée une des cabanes colorées. La mienne est violette, plutôt spacieuse, et confortable. Dans une seule et même pièce, je peux dormir, me restaurer, et me laver. Tous mes effets personnels étant dans ma chambre, chez mes parents, je ne prévois pas de passer beaucoup de temps ici. Mais ça peut toujours servir, on ne sait jamais.

Pour une fois, j'ai la sensation d'avoir fait le bon choix. Je ne me contente pas de regarder, d'écouter. Je ne suis pas sur le banc de touche. Je joue. Et mon adversaire n'est pas des plus mauvais, j'en suis consciente. Ce qu'ils ont fait à mon frère est impardonnable, et je compte bien le leur faire comprendre. Rayé. Ils l'ont littéralement rayé de ce monde.

Une envie soudaine de me confier monte en moi, et l'image de Gala et Lilo me vient à l'esprit. Je ne vois personne qui pourrait me comprendre mieux que ceux-là. Je les trouve assis l'un contre l'autre, dans l'herbe noircie par le soleil. Dos à dos, les mains étroitement liées, ils semblent heureux rien que par la présence de l'autre. C'est beau.

Alors que je m'apprête à faire demi-tour pour ne pas les déranger, la voix de Lilo me parvient.

_ Alya ? Tu as besoin de quelque chose ?

C'est incroyable comment une seule et simple voix peut vous faire trembler. Son aptitude à me faire sentir vivante est stupéfiante. Avec eux, je n'ai pas à faire semblant.

_ Est-ce que je peux vous parler ? Je demande.

_ Bien sûr, sourit Gala, avec un mouvement de tête.

Je m'assois en tailleurs, face à eux.

_ Je ne suis pas ici par goût de l'aventure et des risques...

Ma voix se charge soudain d'émotion, et je déglutis avec difficulté.

_ J'avais un frère.

Je laisse ma phrase planer avant de reprendre.

_ C'était il y a 16 ans. Ma mère à mise au monde deux enfants. Pas seulement moi, mais aussi un garçon. Nataniel. J'ai retrouvé son acte de naissance, rangé avec le mien. Les lettres sont rayées. Il n'est plus là. Il n'a connu la vie que pendant quelques minutes, peut être quelques heures.

Dans un sens, il est sûrement plus heureux là où il est que dans l'Union. Cette communauté, qui cache sa noirceur derrière des maisons de toutes les couleurs.

Comme aucune réponse de leur part ne vient, je laisse les mots sortir, en même temps que les larmes.

_ Quand je vous voie, je me demande ce que ça fait d'avoir une personne avec qui tout partager. Une personne qui sait nous écouter sans nous juger, et qui sera toujours là, n'importe quand, et pour n'importe quoi.

D'un geste du bras, je sèche mes yeux, tandis que Gala me caresse doucement le dos. Dans leur attitude, je peux deviner qu'ils imaginent chacun leur vie sans l'autre, pendant que moi, j'imagine la mienne à leur place.

*

Je suis devant le mur quand je m'en souviens. Je porte la main à ma poche, qui forme une bosse là où l'objet est rangé. Je trouve Laïa dans sa cabane, occupée à cuisiner un repas comestible pour le dîner.

_ Excuse-moi, dis-je en m'approchant.

Elle lève la tête, dans l'attente.

_ Je crois que j'ai quelque chose qui appartient à l'un de vous.

J'accompagne mes paroles du geste, et sors la lampe torche de ma poche, où je l'avais glissée dans la matinée. Elle tend le bras pour me la prendre, et l'observe attentivement avant de hocher la tête.

_ Je savais que quelqu'un allait la trouver, dit-elle, en clignant de l'œil

*

Continuer d'aller en cours fait partie d'une des conditions de mon adhésion aux Drysor. Ne pas attirer l'attention en est une autre. J'essaie de me comporter comme à mon habitude, même si je ne peux m'empêcher de me perdre dans diverses réflexions. Ruby est plus froide que jamais, je ne l'ai pas vu depuis ce matin. Je me rends donc seule en cours d'Histoire, le manuel entre les bras, décidée à le rendre.

Je retrouve ma place et m'y assois. Les élèves remplissent bientôt l'espace, et Mr. Miller commence son cours. Je sens son regard glisser sur moi à plusieurs reprises pendant l'heure, mais je me concentre sur ses lèvres, qui bougent au rythme de ses mots.

Quand nous sommes enfin autorisés à sortir, je laisse le livre sur la table, ne prenant même pas la peine de le refermer. Je passe devant le bureau d'une démarche que j'espère naturelle, en me demandant pourquoi le professeur me met dans un tel état.

Il me suit des yeux jusqu'à la porte, avant de me rattraper. Là, il me caresse la hanche d'une paume légère, et approche ses lèvres charnues de mon oreille. Son souffle chaud me fait frissonner de tout mon être, et je respire à fond, pétrifiée

_ Bienvenue, Alya, murmure-t-il d'une voix suave.

La panique monte, d'abord peu à peu, puis d'un coup. Il sait. Alors, je fais le rapprochement. Laïa Miller. Je l'ai lu sur son badge plus tôt dans la journée. Laïa est la fille de Mr. Miller.


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