Chapitre 6 - Actes de Naissance [corrigé]
Je regarde le clair de lune par ma fenêtre, avant de le cacher de mes rideaux. Ma chambre devient ténèbres, et je m'imagine telle une âme perdue, penchant entre le « oui » et le « non ».
Je replie les jambes et passe mes bras autour. Les yeux fermés, je compare les deux vies qui me sont proposées. D'abord celle aux côtés de mes parents et de Ruby, un avenir certain, heureux, et comblé par un homme et des enfants. Des gens parfaits pour une vie parfaite.
Je laisse ensuite place au petit village caché et à ses habitants. À la pierre colorée et la porte dans le mur. L'aventure, la surprise constante. Depuis mon plus jeune âge, j'ai toujours aimé planifier, être sûre, prévoir. Il est évident que je privilégie un avenir déjà tracé, sans surprise.
Je sens le doute et la pression s'envoler. J'ai le droit de dire non après tout. Joao et ma famille n'en seront que plus contents. Que demander de plus ?
*
Quand je me réveille, la matinée est déjà bien avancée. J'ai les yeux brouillés par le manque de sommeil et je me rends dans la salle de bains pour me passer de l'eau fraîche sur le visage. Je fixe mon reflet dans le miroir. Mon visage est si beau, si lisse, qu'on ne peut même pas imaginer l'incertitude qui m'habite. Je suis définie par cette couverture. Des fois, j'aimerais que certains creusent pour voir en dessous, mais ce n'est pas si simple. Ce sont les mauvaises personnes qui creusent, les mauvaises qui se contentent de survoler. Moi seule sais qui je suis. Moi seule sais ce que je veux.
La porte de la salle de bains grince, et la tête de ma mère apparaît par l'entrebâillement.
_ Chérie ? Demande-t-elle d'une voix douce.
Je me tourne vers elle, un sourire factice aux lèvres.
_ Ton père et moi, on va sortir. Ça ne te dérange pas ?
Je lui réponds en secouant la tête. Je n'ai pas très envie de rester seule, mais j'estime qu'ils ont le droit de se retrouver en temps que couple, pour une fois. Alors je les laisse partir.
*
Je m'approche de ma table de chevet, où reposent encore mon manuel d'histoire et « Starters ». Je saisis le premier et l'ouvre en plein milieu.
« Les naissances de l'Union sont répertoriées une à une*, depuis la création du système. En quelque 400 années, plus de 80 000 000 Unionnais ont vu le jour. On estime la population d'aujourd'hui à environ 726 000 hommes, femmes, et enfants. »
*pour en savoir plus, rendez-vous page 232
Je tourne les pages, intéressée, et trouve les précisions en question.
« Un acte de naissance, sous forme de diplôme, est remis aux parents lors de l'accouchement. Il est fortement conseillé de le ranger en lieux sûrs, de façon à pouvoir le retrouver en cas de contrôle. »
Le contrôle. Le dernier avait eu lieu bien avant mon arrivée dans ce monde. Je sais vaguement qu'il consiste à envoyer des « agents » dans chaque maison. Les habitants doivent montrer leur acte de naissance et celui de leur éventuel enfant. S'ils ne l'ont pas, je n'ose même pas imaginer le genre de punition dont ils seront victimes. Traités comme des clandestins et bannis, amenés chez les Grands ? Le contrôle est censé être considéré comme un détecteur d'intrusion, mais pour beaucoup, ce n'est qu'un sujet tabou. Sur la page, s'étalent des témoignages de familles, voisins ou amis d'Unionnais victimes du contrôle.
Yanis, un vert, raconte l'arrêt d'un ami d'enfance :
« J'tais dans ma cuisine quand y ont débarqué. J'leur ai montré mes papiers et ils sont r'partit comme y étaient venus. Pas longtemps après, j'ai entendu des cris, alors j'suis sorti. Y'avait des agents. J'les ai r'connus par leur uniforme. J'avais jamais entendu tel vacarme ! J'me suis approché, j'voulais leur dire de baisser le son, un peu. C'est là que j'l'ai vu. Valon. C'était mon camarade de classe, avant. J'étais un pauvre p'tit gars perdu, et y m'avait pris sous son aile. J'avais un caractère de cochon alors qu'il était agréable. C'était un bon p'tit gars. J'ai rien pu faire pour l'aider. Je les ai regardés l'emmener. »
Une image de l'homme est affichée sous le paragraphe. Malgré son physique commun, son air dur nous laisse clairement imaginer sa personnalité. La légende indique 2621. Si mes calculs sont justes, aujourd'hui, Yanis doit se situer quelque part entre 73 et 83 ans. Plutôt jeune, si on sait qu'il a encore plus de la moitié de sa vie devant lui. Je ne me souviens pas l'avoir croisé, mais tout le monde est si semblable que je ne reconnaîtrais même pas mes propres parents dans la foule.
À la maison, le seul endroit où peut se trouver mon acte de naissance, c'est le bureau. J'abandonne le manuel, qui décrit un arc dans les airs avant d'atterrir mollement sur ma couverture en désordre. Je traverse le couloir à grandes enjambées, jusqu'au bureau de mon père.
J'ouvre les tiroirs un à un, tout en sachant qu'il ne pouvait pas être caché dans un endroit aussi anodin. J'observe la pièce en me cachant un œil, puis l'autre, à la recherche d'un point de vue différent. Sous le fauteuil ? Non. Dans une latte de plancher ? Non plus. Peut-être derrière ce tableau accroché au mur ? J'en doute. Alors, seulement, je m'arrête sur la bibliothèque. Je me sens bête de ne pas y avoir pensé plus tôt. Je souris comme une fillette, surprise de ma propre stupidité. Parmi les ouvrages, il est évident qu'il a choisir son préféré. Je repère « La Voleuse de Livres » de Markus Zusak. Sa couverture rose est en très mauvais état, mais les pages, jaunis par le temps, sont intacts. Je souffle sur la tranche, faisant s'envoler des milliers de petits grains poussiéreux dans l'air.
Je tourne la première page avec précaution, et en sort la feuille pliée en quatre. Le papier, épais et couleur crème, est imprimé à l'encre noire :
ALYA COOPER
NÉE LE 26 SEPTEMBRE 2637
SEXE : FÉMININ
Je fais mine de reposer le livre, quand un papier, de la même nuance que celui que je tiens déjà, tombe. Je sens mes sourcils se lever, et je m'accroupis pour le ramasser. Je le déplie lentement, le cœur battant.
Je secoue la tête en me mordant la lèvre, les larmes aux yeux. Je prie mentalement pour me réveiller, et me rendre compte que ce n'était qu'un cauchemar. Mais tout est bien réel, bien trop réel. Je survole les quelques lignes à plusieurs reprises, sans pouvoir m'en détacher.
NATANIEL COOPER
NE LE 26 SEPTEMBRE 2637
SEXE : MASCULIN
Les lettres, rayées, ne peuvent signifier qu'une chose. J'avais un frère jumeau. J'avais un frère jumeau, et on me l'a pris.
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