Chapitre 4 - Quelque chose qui me différencie [corrigé]
Après avoir effectué la routine du matin, et m'être installée à ma table de Mathématiques, le mince espoir de voir Joao arriver m'habite encore. Comme je m'y attendais, il ne vient pas. Le professeur distribue les manuels, et je l'ouvre à la page demandée.
Mes sourcils se froncent et je m'empresse de tourner la page sur la suivante. Vérifiant que personne n'a remarqué mon manège, je récupère le morceau de papier coincé entre les deux pages, et le glisse dans ma poche, le cœur battant.
Les chiffres se mélangent dans ma tête dans un tourbillon d'équations sans solutions. Le papier blanc clignote devant mes yeux comme un avertissement et me tire de la réalité. Je sens sa brûlure contre ma cuisse, à travers le tissu de mon pantalon.
Mes doigts me démangent, je suis beaucoup trop curieuse. Un de mes traits de caractère les plus prononcés. Quelque chose qui me différencie des autres. Curieuse. Évidemment, j'ai des dizaines de traits de caractère, désordonnée, douteuse, émotive, expressive, lunatique, fainéante au possible... La liste est longue.
Mais ce qui ressort le plus est sans hésiter ma tendance à vouloir tout savoir sur tout. Quelque chose qui me différencie des autres. Je suis différente. Je m'imprègne de ces mots, les laissant couler dans mon être.
Mes mains sont tellement agitées que j'ai du mal à déplier le morceau de papier. Quand j'y parviens enfin, il y a déjà quelques bonnes minutes de passées. Enfermée dans une des cabines de toilettes, j'abaisse la cuvette et m'assois dessus. Trois lignes de feutre noir et une écriture minuscule. Je reconnais celle du badge de Joao, et suppose que ce mot est de lui.
Demain, 17h30.
Là où tu sais.
N'en parles à personne.
Tout de suite, la vision de la ruelle, sombre et froide, s'impose à moi. Je frissonne à son souvenir. Je suis sûre que Joao parle de cette petite rue. Je ne vois pas d'autre possibilité. Je replie proprement le papier et le glisse au fond de ma poche.
À l'idée d'une rencontre avec Joao, dans l'ombre des murs, je frissonne de plaisir. Je me sens coupable d'imaginer ce genre de choses, je ne devrais pas, mais c'est plus fort que moi. « Les hormones ! », dirait ma mère. Je pousse la porte du cabinet, feins de me laver les mains, et sors des toilettes.
*
J'arrive en histoire avec quelques minutes d'avance, et je patiente à ma table, le menton dans les mains.
_ Miss Cooper ?
Je sursaute et tourne vivement la tête vers mon interlocuteur. Le professeur d'Histoire se tient devant moi, un sourire flottant sur les lèvres.
_ Oui ?
_ Est ce que le manuel vous plait ?
Son regard me sonde, et je prends un air impassible.
_ C'est ... Intéressant, je réponds, prudente.
_ Intéressant, vous dites ?
Je hoche la tête et soutiens son regard. Il parait amusé, et si son étiquette n'avait pas été bleue, j'aurais probablement rigolé avec lui. Malheureusement, le moindre mot ou mouvement déplacé de ma part pouvait me conduire devant les Grands. Et qui sait ce qu'ils me feraient subir ?
Les élèves commencent à arriver par petits groupes et le professeur est forcé de commencer son cours. Je sens ses regards sur moi, à plusieurs reprises. Je les ignore. Je ne veux pas qu'il croie que son jeu m'atteint. Je ne suis pas si vulnérable que j'en ai l'air. Je l'écoute débiter ses phrases comme un automate.
_ Les Anciens ne sont pas si différents de nous. Il n'y a pas d'évolution de capacités notable. Seul l'environnement nous éloigne. Les progrès technologiques nous ont amenés à une vie plus stable, propice à l'épanouissement de l'espèce humaine. Je ne sais pas si vous avez déjà entendu parler de pollution ?
La classe répond par un silence significatif, et il continue.
_ Il y a de ça plus de 400 ans, des bolides, comme ceux représentés page 87, déambulaient dans les villes.
Je passe mes doigts sur des blocs de métal de couleur, me demandant comment de telles choses peuvent rouler. Sur la page suivante, une frise montre l'évolution des véhicules.
Les premiers sont cloués au sol, posés sur de gros pneus, alors que les derniers flottent, suspendus dans les airs. Cependant, sur chaque image, de gros nuages noirs sont visibles.
_ Ces engins, motorisés, demandaient un approvisionnement en liquide - de l'essence. Ces "voitures" étaient grandement utiles pour les longs déplacements, ou les transports d'objet lourds et encombrant. Mais naturellement, tout objet a son défaut.
_ Comme je vous l'ai dit plus tôt, ces engins étaient nocifs pour la planète, mais aussi pour notre santé à tous. Ils lâchaient de grandes quantités de gaz irritants et agressifs, qui pénètrent plus ou moins loin dans le corps et qui peuvent induire des effets respiratoires ou cardiovasculaires. En résumé, les moyens de transport étaient une très mauvaise idée. Plusieurs centaines d'années ce sont cependant écoulées avant qu'un être similaire à vous, et à moi, ne s'en rende compte.
La sonnerie retentit, et les élèves s'agitent sur leurs chaises.
_ Vous pouvez disposer, lâche le professeur.
Ils ne se font pas prier. En moins d'une minute, la salle est vide. Je fais de même, sentant un regard dans mon dos alors que je passe la porte.
*
Allongée sur mon lit, la tête dans l'oreiller, j'attends le retour de mes parents pour manger. Une bosse sous mon genou m'éloigne de mes envies de nourriture. Je me lève et passe la main sous mon matelas, avant d'en retirer l'objet brillant.
Je le fais passer d'une paume à l'autre, la tête ailleurs. Plus j'y pense plus je me demande si je dois aller à ce « rendez-vous ». Ce n'est peut-être pas Joao. Ça peut être n'importe qui, après tout. J'ai peur de me faire attraper. Où qu'on me voie et qu'on me dénonce.
J'entends la porte d'entrée s'ouvrir puis se fermer, et les voix de mes géniteurs résonner. Je remets la lampe sous mon matelas, avant de les rejoindre dans la cuisine. Mon ventre émet un bruit de protestation et mes parents rigolent.
_ Inutile de te demander si tu as faim, s'esclaffe mon père.
Je lui souris, et pour toute réponse, m'assois sur la chaise la plus proche. Je mange comme si je ne l'avais pas fait depuis des semaines. Ma mère me regarde me resservir, l'air amusé.
_ L'adolescence fait des siennes, dit-elle.
_ Il faut croire, je réponds.
Je fais disparaître le contenu de mon assiette en quelques bouchées.
*
Après le dessert, je retourne dans ma chambre, et reprends les aventures de Callie là où je les ai laissées. Je n'entends pas ma mère rentrer. Elle s'assoit sur mon lit et je sursaute. Les gens ont une mauvaise tendance à me faire peur, ça en devient ennuyeux.
Je lui jette un regard interrogateur.
_ Je dois te parler, Aly'.
Son visage est sérieux, bien que tendre.
_ Je t'écoute.
Elle me caresse les cheveux, les yeux dans le vide, comme si elle réfléchissait.
_ Tu m'as l'air distraite, ces derniers temps. Ton père et moi, nous nous inquiétons.
_ Vous n'avez pas de soucis à vous faire. C'est juste la reprise des cours, c'est fatiguant.
Je m'en veux de lui mentir, mais c'est beaucoup mieux comme ça. Je me vois mal lui dire que je fréquente un garçon aux cheveux méchés, que je me promène dans une ruelle sombre quand ça me chante, et que j'ai une lampe torche sous mon matelas.
Elle semble satisfaite de ma réponse. Elle se lève en m'ébouriffant les cheveux.
_ Bien. Bonne nuit, chérie.
_ Bonne nuit.
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