Chapitre 5 : La procession

Smendès, siégeant dans le grand conseil qu'il avait organisé, peaufinait les derniers détails de la procession au nom du nouveau Pharaon, qui serait appelé Psousennès II lors de son intrônisation officielle. Enfin, après maints palabres concernant l'ordre dans lequel les outils et mobiliers nécessaires à Pharaon dans l'au-delà devait être acheminé jusqu'à sa tombe, vint le moment de statuer sur le sort des prisonniers.

Paneb sut alors qu'il était temps pour lui d'aller sur le devant de la scène. Il n'aimait pas ça, se faire voir au grand jour lui donnait un visage plus humain, alors que sa mission lui imposait de rester dans l'ombre à guetter des traîtres et des assassins.

- Vizir, ministres, j'ai interrogé personnellement tous les prisonniers. La culpabilité de la plupart d'entre eux me semble prouvée. Nous pouvons donc les juger et les condamner pour leur participation lors du meurtre de notre bien aimé Pharaon.

- Bien, et qu'en est-il des autres ?

- J'ai interrogé la jeune fille que nous avons sauvée, elle identifie formellement certains des hommes emprisonnés comme faisant partie du complot. Elle dit qu'ils voulaient la tuer parce qu'ils pensaient qu'elle les avait doublés.

- On peut la croire ?

- Cela concorde avec nos éléments. Et je pense qu'elle disait la vérité.

- Bien. Et les autres ?

- Je les pense innocents. D'après moi, ils n'ont rien à voir la-dedans.

- Relâchez-les alors. Mais filez les quelques temps, histoire de voir ou ils vont traîner leurs guenilles.

- Bien. Et la jeune fille ?

- Elle n'a plus de maison ? Plus de famille ?

- Non, d'après ce que je sais.

- Qu'elle serve au Palais, nous pourrons l'avoir à l'œil et elle pourra témoigner au procès des autres.

- Et tous les coupables ? Qu'en faisons-nous ?

- Nous allons les juger, tous autant qu'ils sont, le lendemain de l'inhumation de Pharaon. Leur punition sera exemplaire, au même titre que leur acte était abject !

- Bien vizir.

Enfin, Paneb put se rasseoir. Il était satisfait car la jeune fille qu'il souhaitait épargner allait trouver une place dans le palais. Il préférait la voir comme victime et elle ne méritait pas un procès avec toutes les conséquences qui s'en suivaient souvent (la plupart du temps, des peines très lourdes étaient prononcées, allant souvent jusqu'à la mort). Il ne savait pas pourquoi mais il éprouvait le besoin d'aider cette pauvre fille. Pourtant, s'il l'avait croisée dans la rue malade ou en danger, il ne l'aurait probablement approchée, la considérant comme inutile. Il avait le pressentiment que cette jeune femme devait survivre et qu'elle le leur revaudrai dans le futur. Il avait pressenti une grande puissance qui sommeillait en elle, malgré le fait qu'elle était .

***

La veille de l'ensevelissement du corps mortel de Pharaon, le vizir fit détacher à la tombe royale en cours de finition, deux détachements de troupes. Malgré de nombreux morts, celle-ci était sur le point d'être achevée. Les contremaîtres n'avaient pas lésiné sur les horaires de travail pour terminer la tombe à temps, les ouvriers travaillaient jour et nuit, tentant de terminer leurs chefs-d'oeuvre durant les 70 jours de préparation du défunt.

Une fois sur place, les soldats rassemblèrent les ouvriers, contremaîtres, ainsi que tous ceux qui géraient la vie du camp de travailleurs. Ils les escortèrent en direction du désert. La, ils leur attribuèrent un bonus et leur annoncèrent que celui-ci serait distribué à leurs familles. Tous comprirent à ce moment là que jamais ils ne sortiraient de ce désert, que les soldats, qui les encerclaient à présent, allaient les assassiner jusqu'au dernier.

Ils n'eurent même pas le temps de tenter quoique ce soit, le temps que la stupeur se dissipe, les soldats avaient commencé à labourer les vies de ceux qui s'étaient tués à la tâche pour terminer la tombe de leur Pharaon.

***

Nimlot avait fait surveiller le désert par quelques uns de ses éclaireurs. Ceux-ci vinrent le trouver en leur disant que des choses étranges se déroulaient, que les ouvriers du tombeau le quittaient escortés par des soldats. Il fut tout d'abord étonné : pourquoi des soldats venaient-ils les récupérer ? Puis il comprit. Le vizir désirait que toute trace de l'emplacement exact de la tombe disparaisse afin que celle-ci traverse les âges sans être pillée. Les décennies précédentes avaient vues de nombreuses tombes pillées et saccagées, les momies étant sorties de leur demeures d'éternité et brûlées dans le désert. Il décida de prendre des hommes de de se rendre sur place, la ou les soldats allaient commettre leur forfait.

Il arriva peu de temps après leur départ. Le sable était rouge, imprégné du sang de tous les ouvriers sacrifiés pour protéger le secret.

Il fit le tour de la boucherie. La plupart des pauvres bougres, y compris les contremaîtres, étaient morts, transpercés par les épées des soldats. Néanmoins, il repéra quelqu'un bouger. Il respirait. Très faiblement, mais il respirait. Il ordonna de le charger sur un des chevaux et de rechercher d'autres éventuels survivants.

***

Le cortège funéraire de Pharaon était fin prêt. En première position venait le grand prêtre d'Amon. Par la suite, encadrés par des soldats, venaient un traîneau chargé du cercueil de Pharaon, puis un second, contenant les vases canopes utilisés pendant les rites de momification et contenants les organes ainsi que le mobilier funéraire. Siamon avait vu grand : pas moins de 50 pièces de mobiliers lui avait été fabriquées, dont 15 arc, plus de deux cents flèches, cinq chars, deux lits, deux trônes, deux bureaux. Le convoi charriait également plus de cinq cent figurines humaines et animales afin de travailler pour lui dans l'Autre Monde. Le convoi était également composé de pièges, qui seraient mis en place sitôt le cercueil et le mobilier funéraire posés. Le vizir n'avait pas regardé à la dépense pour éviter la dégradation de la momie de son ami.

Lui-même était derrière ce second traîneau, accompagné de la mère de l'ancien Pharaon, ainsi que sa femme. Le Prince était également présent. Agé de seize ans, celui-ci était apte à prendre le pouvoir mais en ce moment, il paraissait très affecté par la mort de son père. Il tentait de la masquer mais le vizir le connaissait et le voyait. Sa mère, lui intima de respecter sa bonne éducation et le protocole et de se conduire comme un homme. Il devait laisser le soin de pleurer l'ancien Pharaon, son propre père, à d'autres.

Derrière la famille, Améni avait grassement payé un nombre très impressionnant de pleureuses professionnelles. Celles-ci seraient en charge d'inciter le peuple à se lamenter et montreraient que Pharaon était aimé de tous. Les pleureuses étaient volontairement débraillées et mal coiffées et représentaient un contraste saisissant au milieu de tous les plus hauts dignitaires propres et apprêtés avec soin.

Le convoi s'ébranla. Il quitta l'enceinte protégée du palais. Le peuple, regroupé sur les bords du cortège derrière des soldats, regardait passer le cercueil avec respect. Néanmoins, un personne hurla "A mort". La phrase fut reprise plusieurs fois par d'autres personnes. Les soldats accompagnant le cortège se déployèrent aussitôt pour tenter de retrouver le meneur. Malgré tout ils ne le retrouvèrent pas, autant chercher une aiguille dans une meule de foin.

Le convoi avançait toujours inexorablement, sous quelques huées. Il sortit de la ville et se rendit aux barges préparées pour lui faire traverser le fleuve. Les différents traîneaux furent chargés et tout le monde réussit à traverser le fleuve. Après quelque temps, chacun récupéra sa place dans la colonne et le convoi s'ébranla de nouveau, en direction de la nécropole Royale. Le fleuve ayant empêché la plupart des fauteurs de trouble de traverser, la fin du trajet fut plus calme. Ils arrivèrent enfin à la nécropole Royale.

Arrivés devant le tombeau, le matériel funéraire fut déchargé des traîneaux et porté dans la grotte, dont l'entrée avait été aménagée dans le grand temple d'Amon. Siamon avait été audacieux. La sécurité de son tombeau lui était primordial. Il avait donc jugé qu'accoler sa Demeure d'Eternité au temple, lui garantirait une quasi invisibilité des pillards vu l'énormité du temple, ainsi qu'une protection du Dieu, qui tueraient les impertinents pénétrants dans les parties les plus secrètes et inviolables du temple.

Smendès s'assurait consciencieusement que toutes les pièces du mobilier soient disposés à la place convenue. Lui et ses ministres avaient travaillé, sur leur agencement sans relâche afin de permettre de pouvoir tous les rentrer dans le tombeau. Ils avaient également supervisé la construction de ce mobilier, exténuant les artisans qui en avaient la charge. Pour plus de rapidité, tous les artisans de la ville avaient été mis à contribution. Leur mise à contribution avait largement pénalisé les habitants car les artisans ne produisaient plus pour la ville, les prix avaient donc beaucoup augmenté, tout d'abord pour les meubles, ce qui n'était pas trop grave, les habitants pouvant retarder leurs achats. En revanche, les prix avaient bientôt augmenté pour les jarres et autres outils de conservation de la nourriture. Les produits périssables ne pouvant plus être conservés assez longtemps, les gens n'achetaient plus que pour la journée, créant des changements brutaux dans les méthodes de consommation et provoquant l'effondrement des prix. Les producteurs, surtout éleveurs d'animaux de ferme, avaient été durement touchés car ils avaient dû jeter une partie de leur production, ne pouvant la stocker faut de contenants, et leurs ventes s'étaient effondrées.

Une fois le mobilier en place, il fit décharger le cercueil de Pharaon. Le sarcophage, en pierre de taille, avait été placé la veille tout juste terminé. Une fois la dépouille à sa place, Smendès fit entrer les prêtres pour purifier la tombe et ressusciter l'âme de l'ancien souverain. Les rituels terminés, tous sortirent, les pièges furent mis en place et la tombe fut scellée.

***

Nimlot avait commandé à son médecin personnel de tout faire pour sauver l'Egyptien. Il comptait sur lui pour obtenir des informations, mais également pour que celui-ci l'aide par la suite en lui donnant des missions d'espionnage. Jamais son peuple, ni lui-même ne pourrait aller aussi loin qu'un vrai Égyptien et obtenir des informations. Ce pauvre homme, enrôlé de force pour construire un tombeau à la hâte et ensuite lâchement assassiné, serait sans doute tenté de tourner le dos à ce pays qui l'avait trahi.

Il misait gros sur cet homme et prenait un très gros risque. En effet, il pourrait aussi décider de rester fidèle à l'Egypte et à la famille royale actuelle, mais Nimlot savait que la plupart du peuple ne soutenait plus leurs Pharaons, vizirs, gouverneurs, ni leurs manières de gouverner, trop méprisante vis-à-vis du peuple.

Il comptait renvoyer cet homme espionner à la capitale pour leur compte et ainsi disposer d'un avantage certain. Si cet homme refusait de les servir, il serait envoyé directement devant Mâât, l'endroit d'où il l'avait tiré à grand frais. Malgré tout, il n'espérait pas en arriver à cette extrémité.



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