Chapitre 9


— C'est une longue histoire..., tenté-je en diversion.

— Oh mais j'ai tout mon temps ! sourit-il.

— On est censé apprendre à se connaître...

— Et c'est exactement ce qu'on fait. Je ne veux absolument pas te mettre mal à l'aise, mais tout ce qui te concerne m'intéresse. Tu sembles être une femme forte, mais comme tu l'as dit toi-même, tu es réservée, je cherche donc à percer ta carapace à jour.

Je me sers un nouveau verre de vin et l'avale d'une traite. Ce qui fait rire Yael.

— Wouhou ! Quelle descente !

— Je crois qu'on ne va pas avoir assez de breuvage pour cette histoire.

— Ne t'en fais pas, me rassura-t-il en me resservant à ma place. J'en recommanderai si on arrive à court.

La tête me tournait légèrement avec tout l'alcool ingéré. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle je m'épanche autant. Nul doute que je n'en aurais pas autant dit sans ce courage liquide. Et il s'amuse de la situation le salaud. Qu'importe, je dois réfléchir à ce que je peux lui confier pour le moment sans le faire fuir. Sans compter que je commence légèrement à m'inquiéter de la note du pub qui risque d'être salée avec tout ce que nous avons commandé. En ce qui concerne les hommes, il y a souvent deux écoles : ceux de la vieille école qui invitent toujours la dame pour les premiers rencards, puis ceux qui préfèrent partager la note. Alors oui, je sais, nous sommes à l'époque moderne, les femmes sont censées être libérées et indépendantes. Néanmoins, je ne peux m'empêcher de penser que les hommes qui n'invitent pas leurs rencards sont des pingres. C'est peut-être anti-féministe, ironie pour une femme telle que moi, mais je préfère la galanterie à l'ancienne chez un homme. Il m'est même arrivé de refuser un second rendez-vous pour cette raison. Cela peut sembler vénal pour certains, pourtant moi j'y trouve une certaine forme de logique. ça révèle en partie la personnalité d'un individu et peut donner quelques indications dont la manière peuvent fonctionner les finances dans un couple.

Moi ? Me projeter ? Absolument pas... Bon, peut-être un peu. Et c'est bien la première fois depuis longtemps. Pourtant, jusque-là, j'étais persuadée que je ne retrouverais jamais personne. T'emballe pas ma grande, rien n'est joué, m'enjoignis-je. D'ailleurs, j'en étais arrivée à me demander si je serai un jour capable d'aimer de nouveau. Et, en cela, je devais être honnête avec Yael pour que je n'en vienne pas à lui apporter un espoir que j'étoufferai ensuite dans l'oeuf. Je le regarde l'air de rien et remarque qu'il attend patiemment ma réponse. Enfin, avec une certaine nervosité tout de même. Je prends donc une grande inspiration.

— Ecoute... Je n'ai pas envie que tu t'attaches à moi si c'est pour te décevoir par la suite. On a décidé d'être honnête l'un envers l'autre, alors je vais m'efforcer de l'être autant que possible. Je ne me sens pas encore capable de tout te raconter à mon propos, malgré le fait que toi tu m'aies ouvertement confié ton enfance. Tu ne sais pas à quel point je t'en suis infiniment reconnaissante. Tu es un homme plus que charmant. Je passe un très agréable moment avec toi. Et je pense pouvoir dire, sans trop m'avancer, que tu me plais bien. Tu sembles être vraiment une personne bien, avec un cœur d'or, mon CoeurdeLion. Il est tellement facile de discuter avec toi. J'ai le sentiment que je pourrai bien te parler pendant des heures et des heures...

Je le vis s'essuyer nerveusement les mains sur son pantalon lorsqu'il demanda.

— Mais ?

Je passe une main sur mon front. Cette dernière est légèrement tremblante. J'en aurais presque les larmes aux yeux. J'ai l'impression de signer la fin de notre histoire avant même qu'elle n'ait commencé.

— Je n'ai pas eu une enfance facile. Mère maltraitante, père totalement absent. Je pensais qu'à l'âge adulte je me serais libérée de mes fers. J'avais espéré fonder une famille, être heureuse et ne plus penser au passé. Seulement, ma vie d'adulte ne semble pas vouloir m'épargner non plus. Je suis même partie vivre dans le sud dans l'espoir de me reconstruire une nouvelle vie. J'avais l'espoir de trouver un travail, puis un appartement où j'aurais pu récupérer Megara. Trouver le bonheur pour elle et moi. Malheureusement, ça ne s'est pas passé comme je l'avais espéré. J'y suis restée un an et je n'ai jamais réussi à décrocher un seul emploi. En une année, je n'ai passé que deux entretiens. Et les employeurs favorisaient les personnes issues de la région à cause de la connaissance de terrain que demande mon métier. Alors je suis revenue. Et j'ai dû retourner vivre chez une mère que je déteste. Sachant qu'ici les prix des logements sont horriblement élevés et que je suis dans l'obligation de reverser une grande partie de mon salaire à ma génitrice si je ne veux pas me retrouver à la rue. Donc, non seulement je suis dans une situation précaire qui me fait horriblement honte, mais de surcroît, j'ai été brisée à de multiples reprises. Si je te dis tout cela, c'est parce que, à l'heure d'aujourd'hui, je ne suis pas certaine que l'on puisse me réparer. Et... je ne suis pas sûre d'être dans la capacité d'offrir mon coeur à nouveau. Alors... je te promets de tout faire pour essayer de me reconstruire, si tu acceptes de me revoir après aujourd'hui, mais je ne suis pas en mesure de t'assurer que je serai capable de te rendre ce que tu m'offres en retour...

Une larme silencieuse roula sur ma joue. Immédiatement, je voulus lever la main pour l'effacer, mais Yael fut plus rapide que moi et l'attrapa du pouce, caressant ainsi tendrement ma joue.

— Tu n'as pas à avoir honte avec moi, déclara-t-il avec une infinie douceur. Et je suis heureux que tu sois revenue dans la région, sinon je n'aurais pas eu la chance de te rencontrer.

J'ai très envie de lui demander de s'expliquer plus clairement. Mais je fais le choix de faire montre de la même patience qu'il a eu envers moi. Je lève la main pour attraper la sienne qui est toujours près de mon visage, profondément troublée par son regard qui semblait lire en moi comme dans un livre ouvert.

— Ce serait un honneur d'avoir le cœur brisé par toi finit-il par ajouter. Je pense qu'on est tous plus ou moins éprouvés par la vie. J'ai le sentiment que toi tu portes énormément de cicatrices. Mais, rassure-toi, je ne souhaite pas brûler les étapes. Tu te confieras à moi quand tu t'en sentiras prête et seulement à ce moment-là. Tu me donnes juste envie de prendre soin de toi pour que plus personne ne puisse te faire souffrir...

— Tu me connais à peine...

— Peut-être. Mais je cerne plutôt bien les gens. Et j'ai envie de me fier à ce que je ressens.

Il jette un coup d'œil à mon assiette, que j'ai mise de côté depuis un moment, n'ayant mangé que la moitié de son contenu et me demande.

— Tu as encore faim ?

Je secoue la tête à la négative. Néanmoins, je ressens un petit pincement au cœur à l'idée de rentrer déjà chez ma mère.

Je remarque qu'il a l'air gêné, donc je le questionne.

— Que se passe-t-il ?

Nous venions de vivre un moment fort, je voulais qu'il se sente assez à l'aise pour me dire les choses qu'il avait sur le coeur.

— C'est idiot..., rit-il ouvertement de lui-même avant de me surprendre de nouveau. En fait, je sais qu'il y a des femmes qui préfèrent qu'on les invite et d'autres qui préfèrent montrer leur indépendance, dit-il en écho à mes précédentes pensées, en payant leur part. Le truc c'est que... j'ai très envie de t'inviter, mais j'ai peur que tu le prennes mal...

Alors j'éclate de rire. Mi par amusement, mi par soulagement. Il a réussi à gagner pas mal de points au cours de ce repas mon petit CoeurdeLion.

— Sois juste toi-même, lui répondis-je. J'aime le naturel chez un homme. J'accepte donc avec plaisir que tu m'invites.

— Je reviens tout de suite.

Il se lève et va régler l'addition, pendant que je récupère ma béquille comme à regret. C'était bien de l'oublier le temps de quelques heures. Maintenant, retour à la réalité. Nous nous dirigeons de nouveau vers le métro, mais Yael s'arrête avant que nous ne puissions descendre les marches.

— Je... Je n'ai pas envie de te quitter déjà..., avoue-t-il à mi-voix.

Je n'ai pas envie de lui dire que c'est également mon cas. Je ne veux pas lui donner un espoir qui sera peut-être vain, alors je me contente de demander.

— Que me proposes-tu ?

— Tu as quelque chose de prévu après ?

— Absolument pas. J'ai la journée devant moi.

— Alors que dirais-tu..., il fit mine de réfléchir quelques secondes avant de proposer : un bowling ? Si le cœur t'en dis évidemment.

— J'adore le bowling ! réponds-je avec plaisir.

J'ai l'impression d'être retournée à l'adolescence avec lui. Ce sentiment est totalement nouveau pour moi.

— ça va aller avec ta "jambe" ? questionna-t-il néanmoins.

Je note qu'il a dit "jambe" et non "cheville". Et, de ce que j'ai pu discerner de lui, il est bien trop intelligent pour s'être trompé. Je suis persuadée qu'il a fait le choix d'utiliser ce mot de manière délibérée. Sans compter que, sur le trajet qui nous a reconduit aux transports en commun, Yael a de nouveau observé ma manière de marcher. Déformation professionnelle peut-être ? Je préfère me rassurer de la sorte. Néanmoins, je ne tente même pas de le reprendre lorsque je lui réponds.

— Oui, très bien. On y va ?

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