Chapitre 7
— C'est pourquoi la béquille ?
Puis-je dire que je m'attendais pas à cette question ? Non, bien sûr que non. J'ai même préparé un petit discours dans ma tête. Pourtant, maintenant qu'il me pose la question, je me retrouve à bégayer telle une idiote.
— Je... Euh... Je... Je...
Yael attrape ma main, comme s'il essayait de me transmettre un peu de sa sérénité. Pourtant, je le vois déglutir. Lui non plus ne semble pas en mener large. Alors je prends une grande inspiration pour me raisonner et je souffle.
— Cheville ?
Il fronce les sourcils, l'air soucieux.
— Tu t'es cassée la cheville ? Pourquoi tu n'es pas restée à te reposer ! J'aurai pu attendre un peu plus tu sais.
Je tente de lui sourire pour le rassurer.
— Ne fais pas cette grimace ou tu vas avoir des rides.
Il ne peut s'empêcher de rire à gorge déployée. Avec lui, tout semble si naturel et si simple. Alors seulement je commence à me détendre.
— Il ne faudrait pas que tu trouves un prétexte pour ne pas me revoir.
Je lève les yeux au ciel avant de répondre avec sérieux, tout en regardant le sol pour éviter qu'il ne se rende compte que je mens. Je vous ai déjà dit que j'étais une piètre menteuse ? Heureusement, il ne me connaît pas. Pas encore.
— J'ai tendance à avoir régulièrement des petites tendinites, voire même des entorses, à la cheville. ça me fait un petit peu mal, mais ça finit toujours par passer. Cependant, je dois bien avouer que cette vieille béquille est devenue une fidèle alliée. Cela me permet de soulager ma jambe quand je marche trop. Et, comme je ne savais pas ce que nous allions faire aujourd'hui, j'ai préféré être prévoyante.
— Jambe droite ou jambe gauche ?
Facile. J'ai mal aux deux jambes la plupart du temps, mais l'une d'elle est toujours plus douloureuse que l'autre.
— Gauche. Hm... On peut peut-être aller s'asseoir par contre ?
Il se met à rougir violemment tout en me tendant son avant bras.
— Excuse-moi ! Mais quel idiot je fais, vraiment. Cela t'étonnerait si je te disais que je suis un peu nerveux ?
Je prends son bras avec délicatesse, mais prends bien garde à ne pas m'appuyer trop dessus pour ne pas trop faire montre de mes difficultés. Pourtant, alors que nous nous mettons à marcher, je remarque qu'il est en train de me scruter d'un œil acéré. J'essaie donc de marcher de la manière la plus droite possible.
— T'es bête ! pouffé-je.
— Te moque pas ! Je suis sérieux en plus. Euh... tu connais un peu le coin ?
— Absolument pas ! Ne me dis pas que tu ne sais pas où tu m'emmènes ?
— Tu vas regretter d'être venue si je te dis que non ? me demande-t-il tout timidement. Sinon ce pub là ça te dit ? Je ne voudrais pas te faire trop marcher...
Je hoche la tête et souris en me cachant discrètement avec mes cheveux. Pour l'occasion, je les ai lissés. Fait assez rare, je dois l'avouer. Normalement j'ai plutôt les cheveux très bouclés pour parfaire ma peau mate et mes yeux bruns. Je dois dire que je suis agréablement surprise par cette rencontre. Je m'aperçois que les facettes que je suis en train de découvrir chez Yael me plaisent énormément. Sa galanterie est fort appréciable, étant devenue relativement rare de nos jours, et que dire de sa timidité et de sa simplicité ? Elles sont tout simplement touchantes. Et, si je ne prends pas garde, il risque de me toucher en plein cœur, cet homme. Pas un gamin comme j'en côtoyais par centaine, mais un homme.
— Ça me va très bien tant qu'il y a des chaises et de l'alcool à gogo ! rié-je.
Il me regarde avec un air outré.
— Quoi ? Ma présence est si pesante que tu dois déjà boire pour oublier ?
Je lui donne un léger coup de coude en souriant. Sourire. Oui, je n'arrête pas de sourire. Aussi incroyable cela puisse paraître. Je me sens bien. Même si je ne suis pas encore persuadée que ce sourire atteigne mes yeux, Yael s'est lancé le défi d'y arriver et il semble être sur la bonne voie.
— Non ! Je compte te bourrer la gueule à mort pour te détendre. Et, je dois bien l'avouer, que j'en ai également besoin.
— Pauvre de moi ! N'as-tu donc aucune pitié ?
Il s'arrête devant le pub et se tourne vers moi.
— Intérieur ou extérieur ?
— Absolument pas ! réponds-je narquoisement. Extérieur. Je suis fumeuse.
Il pousse un petit soupir de soulagement, tire une chaise en terrasse afin que je m'y installe, puis, placé face à moi, il sort un paquet de cigarettes et me le tends.
— Merci bien... Yael.
Après avoir déposé ma béquille dans un coin dans l'espoir de l'oublier, je prends le petit tube rempli de tabac et le positionne entre mes lèvres. Je le laisse allumer galamment ma cigarette et attends de tirer quelques taffes avant de me forcer à tourner mon regard vers lui. Je remarque qu'il est toujours en train de m'observer de son regard perçant et je baisse les yeux.
— Qu'est-ce qu'il y a ? J'ai une tâche sur la joue ?
— Euh... Non, excuse-moi. Je te trouve juste sublime. Tu es rayonnante et il est difficile de ne pas se laisser aveugler.
Cette fois je ne ris pas. Au lieu de quoi, je préfère le regarder le plus sérieusement du monde.
— Pas de drague à deux balles. Si cela ne te dérange pas, je préfère qu'entre nous on joue carte sur table. Pas de blabla, juste parlons franc jeu.
Ok, c'est vrai, là c'est moi qui ne suis pas cool. Et hypocrite de surcroît. Ce qui, normalement, ne me ressemble pas du tout. Je m'en veux déjà de mes tentatives de manipulation désespérées. Mais ai-je réellement le choix ? Je ne vois absolument pas d'autre alternative. Yael hausse les épaules.
— Si tu veux. Mais c'est déjà le cas pour ma part. Je dis juste ce que je pense.
— Ok, répondis-je d'une voix qui, même pour moi, sonnait creuse.
— On commande ? questionna-t-il gêné.
Je regarde rapidement la carte, même si en réalité je sais déjà ce que je vais prendre. Puis, j'interpelle le serveur d'un signe de la main.
— Vous avez choisi ?
Je regarde Yael qui m'invite d'un signe de la main à commencer, alors je m'adresse au jeune homme.
— Une bière blanche pour moi, s'il-vous-plaît.
J'entends mon rencard ricaner doucement, mais il ne prend pas le temps de m'expliquer avant de s'exprimer.
— Une brune pour moi, je vous prie.
— Je vous apporte ça tout de suite, dit le serveur avant de s'éclipser.
Immédiatement, je tourne le visage vers l'homme qui me fait face et lui fait les gros yeux.
— Quoi ?
— Petite joueuse ! Je croyais qu'on devait se bourrer la gueule, selon ta propre expression.
Je hausse les épaules avant de remercier le serveur qui vient de nous apporter nos boissons. Je remplis mon verre, qui contient déjà une rondelle de citron, avec le liquide légèrement irisé, presque blanc, tandis que Yael fait de même. Je lève alors mon verre, une interrogation dans le regard.
— A quoi trinquons-nous ? demandé-je.
— Au début d'une belle histoire ? proposa-t-il.
— Baratineur, répondis-je avant de faire tinter mon verre contre le sien et de boire une gorgée de ma boisson.
— Oui, on me le dit tous les jours, plaisante-t-il.
— Alors ? Avoue-moi tout. Que fais-tu de ton temps libre si tu ne regardes pas des films ?
— Je n'ai jamais dit que je n'en regardais pas. Je ne suis juste pas amateur du même style que toi.
— Tu as l'air très sûr de toi. Qu'aimes-tu donc ?
Il boit une gorgée et sourit en coin avant de répondre.
— La plupart du temps, je suis un jeu vidéo. Vas-tu partir parce que je suis un geek ? Sinon, j'aime le cinéma d'horreur. Je crois bien que je les ai tous vu.
— Oh. Mon. Dieu ! m'écrié-je. Non ! Je ne vais pas fuir car tu es un geek, j'ai traîné avec pas mal de garçons et ai même joué à la console dans mes heures perdues, mais par contre je vais fuir car tu dois très clairement être un psychopathe ! Moi je suis très clairement une flipette !
Il ricane pendant quelques secondes avant de demander d'un ton un brin moqueur.
— Sérieusement ? T'en as jamais vu ?
Je hausse les épaules et décide de lui dévoiler un pan de ma vie pour voir sa réaction première.
— Oh si, si ! Dans ma folle jeunesse. Quand j'étais petite, ma mère m'a fait regarder l'exorciste. Le premier. Je peux te dire que je n'ai pas lâché mon ours en peluche du film. Puis j'en ai regardé d'autres. Il fut un temps où j'aimais bien ça même. Mais ça... c'était avant...
— Avant quoi ? demande-t-il curieux.
J'avale une longue rasade de ma boisson alcoolisée pour m'exhorter au courage, puis je me racle la gorge.
— Il y a quelques années, je me suis installée en colocation avec celle qui était à l'époque ma meilleure amie. Nous étions dans une maison divisée en trois appartements. On n'y habitait pas depuis longtemps, mais nous avions pourtant de bonnes relations de voisinage. Un soir... Le lendemain d'Halloween pour être tout à fait exacte, la voisine du dessus nous appelle en larmes en nous disant que son mari avait beaucoup bu. D'ailleurs, on l'entendait jeter ses bouteilles de bières par la fenêtre. Notre voisin du dessous est arrivé et lui a demandé "Bah qu'est-ce qu'il t'arrive Dan ?" Et il a répondu : "Quoi qu'est-ce qu'il m'arrive ? Attends, je descends, je vais te défoncer." Notre voisin du dessous, paniquant, est parti s'enfermer chez lui avec femme et enfants. Sa femme a tout de même réussi à déposer chez nous l'un de ses fils, mais n'a pas eu le temps pour le deuxième. Dan est descendu de chez lui avec un couteau de boucher. Il a défoncé la porte de notre voisin du bas, puis il lui a clairement refait le portrait. Coups de chaise, coups de bouteille de champagne et enfin coup de couteau dans la tête...
— Il est mort ? m'interrompt Yael qui était figé depuis le début de l'histoire.
Alors que je parle, je revis cet événement traumatique, et je sens mon poil se hérisser. Je n'ose plus regarder mon rencard dans les yeux. C'est un fait, je suis un vrai chat noir. Et ce, depuis ma naissance. Je voulais donc analyser le comportement de cet inconnu qui me semblait pourtant si familier.
— Heureusement, non. Ensuite, Dan est monté. Il a dessiné de profondes entailles dans notre porte, puis il a fini par la défoncer en hurlant "Ouvrez salopes !", puis il est entré. Nous avions fermé toutes les portes, éteint toutes les lumières et nous étions cachées dans la future chambre des enfants qui était encore en cours de travaux. On se disait "C'est sûr il va nous trouver !" Heureusement, le petit de notre autre voisine est resté silencieux tout du long. Dan a commencé à fouiller l'appartement et à tout retourner. On voyait son ombre passer devant la porte au fur et à mesure où il rallumait les lumières...
Je regarde Yael et lui offre un petit sourire timide devant son air ébahi, puis je hausse les épaules.
— Je ne sais par quel miracle, il n'est jamais venu dans la pièce où nous nous trouvions. Puis la police est enfin arrivée après mon quatrième appel. Et, mon petit-ami de l'époque, a cru bon de m'emmener voir Saw juste après. J'ai quitté le cinéma en larmes en plein milieu du film. Ensuite j'ai été suivie par un psychiatre et j'ai pris des anxiolytiques pendant quelque temps. Je sursautais dès qu'il y avait le moindre bruit...
— Eh beh... finit par s'exprimer Yael au bout de longues secondes où il était resté sans voix.
— Mais ne t'en fais pas, tenté-je de le rassurer, maintenant je vais très bien ! Je suis même partie au Manoir Hanté. Tu connais ?
— Non... Qu'est-ce que c'est ?
— Rien de moins qu'un manoir où des comédiens interprètent des personnages de films d'horreur. Et c'est vraiment très réaliste ! On s'y croirait !
Il soupire, termine sa bière, me permettant ainsi de pouvoir prendre une petite pause pour avaler la mienne en quelques gorgées, puis m'offre un petit sourire canaille.
— Tu accepterais d'y aller avec moi ? Ne t'en fais pas, je te protégerai, déclare-t-il avec un clin d'œil.
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