Chapitre 2


J'ai encore des tas de choses à vous raconter, rassurez-vous, notamment la raison pour laquelle je me suis (encore) rendue en retard au travail aujourd'hui, comme toujours accompagnée de ma fidèle béquille. Mais j'y reviendrai, c'est promis. J'ai exercé différentes professions au cours de ma si courte vie, qui pourtant me fait parfois l'effet d'en avoir vécues plusieurs en une seule, mais à ce jour, je suis assistante sociale. Cela ne fait que deux ans que j'ai quitté les bancs de mon école de Travail Social. Cette formation avait été assurée par des professeurs passionnés qui la rendait absolument passionnante (même peut-être en ce qui concerne le Droit, c'est dire !). Malheureusement, entre la théorie et la pratique... Disons que depuis deux ans j'avais eu tendance à déchanter. Pendant ma formation, j'avais pu faire trois stages : le premier n'avait duré qu'un mois et demi et je l'avais fait en service de psychiatrie pour adultes (j'avais adoré !), les deux autres étaient d'une durée de six mois et je les avais effectué respectivement dans un centre d'hébergement et de réinsertion sociale pour les familles (ça avait été fabuleux !) et dans une école pour enfants sourds et malentendants (peu de gens peuvent se targuer de savoir communiquer en langue des signes, mais moi oui !). Cependant, ils n'avaient pas été suffisamment longs pour me faire percevoir l'envers du décor. La vérité cachée. Et cette vérité était que, pour ma part et depuis que j'ai été diplômée, j'avais le sentiment de ne servir strictement à rien et d'être mésestimée. Aujourd'hui je travaille en protection de l'enfance. Et oui ! Il fallait croire que mon parcours ne m'avait pas suffit, que je n'étais pas suffisamment traumatisée, j'ai toujours à cœur d'aider les plus démunis. Et en particulier les enfants, pour qu'il ne se retrouve pas empêtrés dans des situations semblables à la mienne. C'était là mon idéal lorsque j'avais été diplômée. Pourtant, encore une journée, semblable à tant d'autres, où j'avais simplement eu le sentiment de brasser de l'air.

Je dois suivre à moi seule une soixantaine de situations, si bien que, même lorsque je ferme les yeux le soir venu, elles sont toujours là avec moi, provoquant des sueurs froides terribles. Comme si je n'avais pas suffisamment de troubles du sommeil comme ça.

Pourtant, ce jour-là avait été différent. Je suis nerveuse et irritable. Cela aurait-il un rapport avec le fait que "CoeurdeLion" ne m'a toujours pas répondu ? Absolument pas. Je m'en fiche absolument. Ce n'est qu'un homme parmi tant d'autres, un de plus. Et ce n'est pas parce que j'ai senti une assez bonne accroche que cela voulait dire quoi que ce soit. Il n'est pas le seul à avoir fui en apprenant que j'ai une fille. JE M'EN BALANCE !

Alors pourquoi depuis ce matin je n'arrête pas de regarder mon téléphone pour vérifier si je n'ai pas de notifications sur mon site de rencontre ? Ridicule. De toute manière, pas le temps de soupirer après un pseudo prétendant. J'ai beau être épuisée, ma journée n'est pas encore totalement finie. J'ai encore rendez-vous chez mon médecin. Bon, ce n'est qu'une visite absolument banale comme j'en ai tous les mois depuis quelques années maintenant, mais j'ai des transports à prendre pour rentrer. ça va être ça le plus épuisant. Comme toujours. Parfois je regrette de ne pas avoir passé le permis plus jeune... Sauf que, dix-huit ans, indépendante à vivre en colocation, des factures à payer en touchant une misère, ça ne laisse pas vraiment la possibilité d'investir dans une chose aussi onéreuse. A notre époque c'est devenu un luxe d'avoir le permis et une voiture. Sans compter que, vivant en métropole, je mettrais probablement plus de temps à aller au travail en voiture qu'en transports. Et puis, clairement, je ne suis plus en état pour ce genre de choses. Alors, une fois de plus (je ne les compte même plus), je prends sur moi et rejoins le métro.

Deux métros, un train. Je ne sais pas combien de temps je vais tenir encore le coup. Oui, oui, je sais, "à chaque jour suffit sa peine" et j'essaie d'avancer un pas après l'autre sans trop me projeter, mais aujourd'hui j'ai le cœur lourd. Je sens que le vide qui m'habite depuis quelques années n'est pas bien loin. Il attend le bon moment pour frapper et m'anéantir. J'ai le sentiment de ne faire que ça depuis ma venue sur Terre : m'effondrer, me relever, me battre... et être épuisée... Toutes les années un peu plus.

Ah oui, je ne vous l'ai pas encore dit... Ne soyez pas scandalisés, j'étais vraiment désespérée, mais... Je suis retournée vivre chez ma mère. J'imagine que vous désirez savoir pourquoi ? Je me pose encore la question... Moi qui, quand je suis partie, aurais préféré aller séjourner en enfer plutôt que d'y retourner... Mais depuis il y avait au moins une chose qui avait changée : j'étais devenue parent.

Dans mon métier et dans ma vie j'en côtoie des parents. Il y en a vraiment de toutes les sortes. Moi j'ai eu ma fille à vingt ans. C'était avec un gros con, mais je n'ai jamais regretté. J'ai été jugée un nombre incalculable de fois. On m'a déjà dit que je l'avais eue trop jeune et que j'avais ruiné ma vie. Que je ne pourrais plus jamais profiter ! (C'est vrai que je n'ai pas assez profité de ma jeunesse ! Ils me font tellement rire à parler sans savoir.) On m'a même demandé une fois ce que ça faisait d'être mère-adolescente ! (Si si je vous jure ! Celle-là je l'oublierai jamais !) Moi tout ce que je sais c'est que, le jour de la naissance, comme l'a dit Edward Cullen dans l'incroyable (HEM) Toilette : je ne gravitais plus autour de la Terre. C'était elle, mon monde, mon univers, mon tout. Je me suis jurée dès le jour où j'ai fait mon test de grossesse, que jamais je ne deviendrai comme ma mère (vous me direz ça n'a pas l'air si dur). Sauf que tout le monde grandit avec un exemple maternelle. Pas moi. Je ne savais pas ce que devait être une mère. Tout ce que je savais, c'était que j'aimais cette petite Crevette plus que la vie elle-même et que pour elle j'étais capable de tout. Alors j'ai décidé que ce serait elle qui m'apprendrait. Changer des couches, donner des bains ? Rien de plus facile, je l'avais fait mille fois avec mes petites sœurs. Pour ce qui était de l'éducation, j'allais faire comme tout ce que je faisais dans ma vie : faire mieux. Et j'ai vu ce petit bébé devenir une magnifique jeune fille, aimante, gentille, douce, attentionnée... Je m'arrête là, mais je crois que je pourrais m'étaler des heures sur ce petit diamant que j'avais mis au monde. Elle est ma perfection. Ma raison d'être. Ma raison de vivre.

Néanmoins, j'ai lu quelque part (me demandez pas où, j'oublie toujours tout !) que pour qu'un enfant soit heureux, il avait besoin d'une mère épanouie qui savait avant tout être une femme heureuse... Et, même si je crois en ces mots de tout mon cœur, il y a bien longtemps que je n'étais plus heureuse quand je n'étais pas avec ma fille. A se demander même si j'étais bien encore une femme. J'ai mes amies de l'école, je les adore, mais les hommes ont fui ma vie pendant des années et maintenant c'est moi qui fini par les fuir.

Oui, oui, je sais. Evie Barns est une femme paradoxale. Oui, je le suis. Cela et tant d'autres choses. Mais être sur un site de rencontre avait sa logique pour moi. Je vous explique : il y a de cela sept ans, mon compagnon de l'époque ne m'avait pas seulement brisé le cœur, il avait aussi piétiné mon égo et ma confiance en moi. Et les hommes que j'ai rencontrés après lui ? Ils en ont fait de la poussière. Alors à défaut d'avoir un cœur qu'on pouvait recoller (oui, oui, vu son état je n'espérais plus grand chose de ce côté là), je pouvais au moins essayer de regagner les deux autres. Et quoi de mieux que des prétendants sélectionnés avec intransigeance pour tenter cela ? D'accord, je n'ai aucune idée si c'est une méthode convenable ou même si ça va fonctionner, mais je me dois d'essayer. Ou même mieux, je le dois à ma fille.

Alors je regarde les stations défiler, sans prêter attention aux inconnus qui m'entourent. Je ne supporte plus d'être abordée dans la rue. J'ai besoin d'apprendre à connaître réellement les gens avant d'envisager quoi que ce soit. Alors, musique sur les oreilles, je m'en retournais à la banlieue que j'avais toujours connue...

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