Chapitre 19


Lorsque nous nous relevons enfin, je sens que ma hanche gauche m'a lâché. Je me demande comment je vais bien pouvoir faire pour cacher cela. Puis une idée survient.

— Pourrais-tu aller nous acheter à boire s'il te plaît ? Je suis déshydratée. Je t'attendrai sur les bancs là-bas, finis-je en lui indiquant la direction.

Il hoche la tête et se retire. Tandis que moi, j'avance tant bien que mal jusqu'à ce maudit banc. J'ai l'impression que tous mes os ont été brisés en mille morceaux, que mes muscles sont tous déchirés. Heureusement, j'avais prévu un peu de morphine au cas où. Ce qui signifie que ce soir je ne pourrai pas manger de repas. Mais tant pis. Je n'ai qu'une envie, m'étendre de tout mon long sur le sol frais. Le feu dans mon corps est un brasier ardent. J'ai envie de hurler ma douleur. Au lieu de quoi, je pose mes mains sur mes cuisses, ces premières sont tellement crispées que les ongles s'enfoncent dans ma chair. Cependant, n'importe quelle douleur est bienvenue si elle peut me permettre de me libérer de ma prison de chair.

Yael revient vite. Il a dû apercevoir la grimace sur mon visage, car il se rapproche visiblement inquiet.

— Tu vas bien ? C'est toujours ta cheville ?

Je n'aime pas mentir, pourtant, je ne me sens toujours pas capable de lui avouer l'horrible vérité. Après tout, ils ont été nombreux à me fuir. Et, c'est peut-être idot, mais je commence à espérer que cet homme sera différent des autres.

— Oui... Mais ne t'en fais pas, cela va rapidement passer. Laisse-moi juste faire une petite pause et on retournera sur la piste.

— Tu es sûre que ça ira ? questionna-t-il soucieux.

Je balaye ses interrogations de la main.

— Mais oui, calme toi sinon tu vas avoir des cheveux blanc avant l'heure. Je sais prendre soin de moi.

Je vois bien sur son visage que cela ne le rassure pas. Pire même, il semble ne pas croire un mot de ce que je viens de dire.

— Allez passe moi de l'eau Roméo, l'encouragé-je. Je meurs de soif !

Il s'exécute. Je prends donc mes traitements discrètement avant de boire de longue gorgée d'eau.

— Laisse-m'en un peu !

Je ne sais pas s'il plaisante ou pas, pourtant je m'arrête et regarde la ration qu'il nous reste. Et c'est un fond de bouteille que je vois. Je me tourne alors vers lui avec un visage repentant.

— Oups ?

Il hausse les épaules avec son petit sourire en coin si craquant.

— Ne t'en fais pas, je vais aller en chercher une autre. Repose toi en attendant.

Mon corps ne me laisse d'autre choix que de suivre son précieux conseil. Néanmoins, je me demande comment je vais faire pour me relever. Cette foutue fierté me tuera, aucun doute là-dessus. Mais bon, je suis prête à tout pour protéger ces quelques jours de pur bonheur. Journées qui ont au moins eu le mérite d'illuminer les ténèbres et les cauchemars qui font désormais partie de mon quotidien.

Quand il revient enfin, je me constitue un sourire de façade. Rien qu'à son regard, je sais qu'il n'y crois pas. Ne me demandez pas comment je le sais, mais j'en suis persuadée. A moi de tout faire pour le convaincre que tout va bien. Alors je me relève et tend une main vers lui.

— On y retourne ?

Je le sens hésiter.

— Tu es sûre ? Tu es toute pâle... Cela m'inquiète un peu je dois dire.

Je le fais taire d'un baiser enflammé.

— Tout va bien. Allez, viens.

***

Je vous aurais bien dit que tout s'est absolument bien passé. Que je lui ai appris à patiner et que mes efforts pour ne rien montrer ont été utiles. Malheureusement, ce n'est pas la vérité. Au bout d'une demi-heure, ma hanche a émis un craquement si monstrueux que j'ai le sentiment que toutes les personnes présentes l'ont entendues. Puis elle m'a lâché et je me suis écroulée sur la glace. Yael était dans tous ses états. Enfin, autant paniqué qu'un infirmier peut l'être, car il a réagi de manière très méthodique. Il a tenté de faire bouger ma jambe sous mes cris de douleur. Puis il m'a aidé à me relever et a passé son bras autour de ma taille pour me soutenir jusqu'aux vestiaires. Il rapporte nos affaires et me demande d'une voix glaciale.

— ça va aller pour mettre tes chaussures ?

Sentant le malaise qui s'est installé entre nous, même si je n'en connais pas la cause, je murmure piteusement.

— Je devrais réussir à me débrouiller, merci.

Yael retourne dans son mutisme. Il ne décroche pas un mot entre la patinoire et la moto. Puis c'est toujours de cette même voix qu'il me propose.

— On va aller boire un verre.

J'ai dit qu'il me propose ? Non, en fait c'est plutôt un ordre. Je n'ose même pas rétorquer. A la place, je range donc ma canne dans le coffre et enfile le casque qu'il m'a donné.

***

Il m'emmène dans un pub Irlandais où ils proposent une énorme variété de bières, ainsi que de cidre et de crêpes. J'ai beau avoir mangé un sandwich au déjeuner, je suis tout de même affamée. La patinoire ça creuse.

— Prends ce que tu veux, dit Yael d'une voix placide, sans lever les yeux de son propre menu.

Le silence se réinstalle entre nous et je n'ose pas le rompre. Heureusement, un serveur vient me délivrer de cette situation gênante.

— Monsieur et Madame souhaitent-ils commander ?

J'interroge Yael du regard, mais d'un mouvement de tête il m'indique de commencer.

— Une bière blanche Edelweiss et une crêpe nutella banane s'il vous plaît.

Le serveur se tourne alors vers mon compagnon qui répond.

— Une brune et une crêpe rhum et sucre.

Le silence se réinstalle. Il est lourd et pesant. J'ai le sentiment de suffoquer. D'ailleurs, je m'apprête à le rompre, lorsque le serveur revient avec un plateau rempli de nos commandes. Yael ne prend même pas la peine de trinquer, ce qui n'est pas habituel chez lui. C'est la goutte de trop qui me fait réagir.

— Je peux savoir quel est le problème au juste ?

Je le vois se renfrogner, pourtant il me répond sèchement.

— Tu crois que je n'ai pas remarqué que tu me mens depuis le début ? Une cheville fragile ? ça aurait pu être crédible déjà si cela n'avait toujours été que d'un seul côté. Sauf que je vois bien que tu as mal des deux côtés. Davantage à gauche, certes, mais des deux côtés. J'aurais fait n'importe quel métier, je ne m'en serais peut-être pas rendu compte, mais le fait est que je suis infirmier. Je vois parfaitement que tu as mal dans toutes tes jambes. Ainsi que dans tes bras et également dans le dos.

Je reste coite face à cette déclaration Je ne sais même pas ce que je dois répondre. J'ai été percée à jour. Pourtant, je ne me sentais toujours pas capable de dévoiler l'horrible vérité. J'étais perdue dans mes songes quand Yael me ramena brusquement à la réalité.

— Alors ?

— Alors quoi ? rétorqué-je.

Il poussa un grognement de mécontentement, avant de poser une main sur la mienne.

— Ecoute... J'ai beau savoir depuis un moment déjà que tu me cache peut-être une maladie grave, je ne suis toujours pas parti. Et je ne compte toujours pas m'en aller. Mais, la moindre des choses serait que tu sois également franche avec moi. Tu as voulu payer la patinoire, sache que ça ne me dérange pas de tout payer. Tout ce que je demande en retour, c'est ton honnêteté. Je t'en prie...

Je renifle dédaigneusement.

— Pour que tu me rejettes comme la plupart des gens...

— Je ne suis pas la plupart des gens ! m'interrompt-il avec véhémence.

Je réponds tristement.

— C'est ce qu'ils disent tous. Je dois me protéger...

Je bois de longues gorgées de mon breuvage alors que Yael semble attendre que je lui réponde. Je finis par ajouter.

— Merci pour toutes ces sorties, c'était vraiment très chouette...

Je me penche pour ramasser le casque de moto et le déposer près de lui.

— ça t'appartient. Donc, encore merci. Tu es l'homme le plus merveilleux que j'ai pu rencontrer. D'ailleurs, j'ai failli me laisser avoir. Tu es fort, très fort !

— Evie ? Qu'est-ce que tu fais ? questionne-t-il avec inquiétude.

Je me lève, puis m'approche et me penche pour déposer un baiser sur ses lèvres.

— Je te souhaite d'être heureux Yael, tu le mérites.

Et enfin, je me détourne pour partir, laissant cet homme incroyable qui devait probablement être sous le choc, et me dirige vers le métro pour partir au plus vite. Avant de descendre les marches, je vois le regard incrédule et triste de Yael qui m'observe depuis l'intérieur du restaurant. Je me force à ne pas le regarder, sinon je risque fort de regretter le comportement que je viens d'avoir. Cependant, je sais que c'est pour le mieux. Il aurait fini par me briser le cœur à un moment où à un autre. Non, je ne suis pas amoureuse, mais j'étais très proche de le devenir, raison pour laquelle j'ai préféré fuir lâchement.

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