Chapitre 12


C'est l'attention la plus délicate qu'on ait eu envers moi. Les larmes me montent aux yeux. D'accord, ce n'est pas un cadeau très romantique, c'est juste la preuve qu'il souhaite prendre soin de moi et que, a priori, il tient à moi. Il fait attention à mes besoins sans que je ne lui ai rien demandé. Et oui, ça me touche. Alors je m'approche doucement de lui et le serre dans mes bras en lui soufflant à l'oreille.

— C'est le cadeau le plus étrange qu'on ne m'ait jamais fait. Et en même temps le plus attentionné. Je ne saurai te dire à quel point ça me va droit au cœur. Je t'en remercie.

Je me détache tout doucement et regarde son visage sur lequel se lit son soulagement et un petit sourire contrit.

— Je ne voulais pas que tu penses que je te prends pour une handicapée...

Mais j'en suis une. Même si cela je ne suis pas encore prête à l'avouer. Alors je me contente de répéter.

— Merci. Elle est parfaite.

— Aller viens, on va manger. Hors de question qu'on rate notre entrée au Manoir ! Surtout qu'il ne restait presque plus de place. ça a l'air assez populaire ton truc.

— Je te l'ai dit, c'est absolument génial ! Tu vas voir, tu ne vas pas regretter !

— Vu le prix, il y a intérêt !

— Je ne te pensais pas pingre, plaisanté-je.

Il hausse les épaules.

— Je ne le suis pas. Mes parents adoptifs sont plutôt fortunés pour être honnête. Mais ils m'ont aussi appris la valeur de l'argent.

Et c'est vrai que, mis à part sa moto, il est loin de faire étalage de son argent. Il s'habille de manière très simple. Et ce constat ne me fait que l'apprécier davantage.

— Alors tu es de la haute ? Que diraient tes parents s'ils voient que tu sors avec une fille qui n'a pas un sous en poche et qui vit encore chez sa mère ? Et qui, si ça se trouve, va bientôt se retrouver à la rue de surcroît.

Yael se stoppe en plein milieu de la rue et m'attrape par les épaules.

— Attends ! Quoi ???

Je hausse les épaules à mon tour.

— Ne t'en fais pas, ce n'est pas grave. Je suis plutôt débrouillarde.

Et surtout, je n'avais absolument pas envie qu'il ait l'impression que je lui demande la charité alors qu'on se connaît à peine.

— Si tu avais un souci, tu m'en parlerais ?

— Yael ! On se connaît depuis hier. Je suis une grande fille. Et ce n'est pas la première fois que je me retrouve en situation compliquée. Ma mère aime bien me mettre à la rue. J'ai l'habitude. La première fois j'avais douze ans. Alors oui, je trouverai une solution.

Je vois la rage bouillonner en lui. Alors je prends son visage entre ses mains et l'embrasse tendrement.

— Quoi qu'il en soit, ce n'est pas ton problème. Je ne t'ai pas caché que j'étais une fille compliquée et il y a des choses que je dois faire seule.

— Et si j'ai envie que ça le devienne ?

— La confiance s'acquiert à force de patience mon beau. Aller, allons manger.

— Bien. Mais nous en rediscuterons. En attendant, parle moi d'autre chose pour que je parvienne à me calmer. Qu'est-ce que tu aimes dans la vie ?

— A part lire et regarder des films, tu veux dire ? Avant je faisais de l'équitation. Il me tarde de reprendre. Monter à cheval est aussi important que l'oxygène que je respire à mes yeux. Cela fait un moment que je ne suis pas montée et ça me manque affreusement.

— Tu fais de l'équitation depuis longtemps ?

— J'ai commencé à l'âge de neuf ans.

— Et pourquoi as-tu arrêté ?

— Je te l'ai dit, j'avais déménagé dans le sud. Et je viens de revenir. Sans compter que je vais devoir redéménager sous peu avant que la situation s'envenime davantage avec ma mère. J'attends donc de retrouver un peu de stabilité. Sans compter que... c'est un sport assez onéreux.

— Je vois...

Et ce fut tout. Il ne dit pas un mot, me laissant profondément songeuse, jusqu'à ce qu'on arrive devant le "Paradis du fruit".

— ça te dit de manger là ?

— Oh oui ! C'est un de mes restaurants préférés !

Je le regarde suspicieusement.

— ça aussi je te l'ai dit ?

Il s'esclaffa, bien qu'ayant l'air moins joyeux que d'habitude.

— Non ! J'aime juste aussi beaucoup ce restaurant. Et ils font de super cocktails.

— Je suis bien d'accord !

— Alors vendu.

Et Yael se mura de nouveau dans le silence jusqu'à ce que la serveuse prenne nos commandes. Je suis nerveuse, mais je décide de me jeter à l'eau.

— Qu'y a-t-il ? J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?

— Non... C'est pas toi... Tu accepterais de me parler de ce qu'il s'est passé entre ta mère et toi ?

Je soupire devant son insistance. Mais en même temps, de ce que je commence à connaître de cet homme, je me rends compte qu'il a besoin de prendre soin de moi. Alors je décide de lui avouer les grandes lignes.

— Ma mère a passé toute mon enfance à être violente psychologiquement et physiquement avec moi. Jusqu'à ce qu'elle décide qu'elle en avait marre de s'occuper de moi et m'a mis à la porte.

— Pourquoi n'as-tu pas demandé à être placée ? questionne-t-il estomaqué.

— Figures toi que j'ai essayé. Mais l'assistante sociale voulait absolument me placer chez mon père. Père que, comme je t'ai dit, je ne connaissais pas. La première fois qu'elle m'a mise à la porte, je suis partie chez lui. Mais je suis très vite repartie. Je me sentais de trop dans sa nouvelle vie, avec sa nouvelle femme qui ne m'acceptait pas. Et au final je souffrais du manque d'affection, ce qui m'a fait replonger et retourner chez ma mère telle une accro à l'héroïne.

— Mais t'étais une gamine ! Les services sociaux auraient dû te protéger !

Je hausse les épaules.

— Je n'ai jamais eu beaucoup de chance dans ma vie. Alors j'ai appris à me débrouiller seule.

— Et là ? Pourquoi es-tu retournée chez elle ? Ta mère a l'air toxique. C'est elle qui t'a giflé.

Je détourne les yeux, gênée de lui mentir à ce sujet. J'ai toujours eu horreur du mensonge. Mais j'ai tellement peur que le conte de fée ne s'achève du jour au lendemain.

— C'est juste transitoire. Je n'avais nulle part où aller.

Yael tape du poing sur la table.

— Et là ? Où vas-tu aller si tu ne peux pas prendre de logement ?

Là je le regarde droit dans les yeux d'un air dur.

— La seule et unique chose qui m'importe c'est de récupérer ma fille. Alors si pour ça je dois endurer de vivre avec une femme que je déteste, je suis prête à l'endurer. Je suis une maman louve, je prends soin de mon bébé, même à distance. ça va faire huit ans que je suis séparée d'elle. Je serai prête à me prostituer si cela me permet de la récupérer, tu comprends ?

— Mais ça non plus je ne comprends pas ! Tu as perdu sa garde ? Pourquoi ?

— Là, tu commences à poser un petit peu trop de questions. Alors tu te contenteras juste de cette réponse : ma vie est trop instable pour que je puisse l'avoir auprès de moi pour le moment. C'est tout ce que tu as besoin de savoir.

Je le vois serrer les poings, mais sur son visage c'est la tristesse que j'y lis.

— J'aimerais tellement que tu me fasses confiance...

— Chaque chose en son temps beau gosse, tenté-je de répondre avec un sourire pour apaiser la situation. Aller, parlons d'autre chose ! Honnêtement, tu sembles trop parfait pour être réel. Tu dois bien avoir quelques secrets inavouables ?

— Quelques uns...

— Alors raconte ! demandé-je avec malice.

— Il y a des choses que je préfère taire pour le moment. Mais il y a une chose que je peux te dire. Il m'arrive... de fumer des joints de temps en temps... J'espère que cela ne te dérange pas ?

Mon visage se ferme instantanément. Et voilà, c'était trop beau pour être vrai. Il fallait bien qu'il y ait quelque chose qui cloche. J'ai beau savoir que beaucoup de gens fument des joints de temps en temps, c'est un vrai traumatisme pour moi.

— Oh non ! s'exclame Yael. ça y est, tu ne vas plus vouloir me revoir ?

Je me mords violemment la lèvre pour retenir la bile qui me monte aux lèvres. Le bel homme qui me fait face tente de poser une main sur la mienne, mais je la retire immédiatement.

— Evie ! Je t'en prie, ce silence est insoutenable. Dis-moi ce qui ne va pas !

Je repousse mon assiette, ayant perdu l'appétit, et avale de longues gorgées de mon cocktail avant de me triturer les doigts.

— Le père de ma fille était alcoolique et drogué. Il buvait une demi bouteille de rhum par jour et une dizaine de joints. ça le rendait négligent. Il ne travaillait plus et passait son temps à se défoncer, quand je rentrais du travail, ma fille n'avait rien mangé, elle n'avait ni été changée et encore moins lavée et je la retrouvais en larmes...

En parlant de larmes, repenser à tout cela m'en fit monter aux yeux.

— Je n'en fume pas autant et j'assume toujours mes responsabilités, répliqua Yael.

— Oui, c'est ce qu'il disait au début... Écoute, je suis désolée mais si tu te drogues, je ne pourrai pas être avec toi. Je suis bien trop traumatisée...

— En réalité, je fume pour pouvoir dormir. Sinon mes nuits sont peuplées de cauchemars...

Il semble hésiter, puis attrape ma main et ne me laisse pas filer cette fois, ancrant son regard au mien.

— Evie, je ne ferai jamais rien qui puisse te faire souffrir. Si je dois choisir entre les joints et toi... J'arrêterai. Je te demande juste d'être indulgente. Il va me falloir un petit peu de temps pour arrêter et ça ne sera pas facile tous les jours car ça fait longtemps que je fume. Mais, avec ton soutien, je pense pouvoir y arriver.

Je le dévisage pendant de longues secondes avant de répondre d'une toute petite voix.

— Tu ferais ça pour moi ?

— Oui ! Evidemment ! Tu as chamboulé ma vie Evie.

— Arrête...

Je n'en culpabilisais que davantage de ne toujours pas trouver le cran de lui avouer l'horrible vérité.

— Je suis juste sincère, répondit-il vexé.

— Je vais te décevoir. Je ne te mérite vraiment pas Yael...

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