Chapitre 1
Je ne crois pas en l'amour. Ou plutôt, je ne crois plus en l'amour. Mais pour que vous compreniez, il va falloir que je vous raconte mon histoire. Toute mon histoire. Je m'appelle Evie. Evie Barns. Je suis née il y a vingt-neuf hivers. Oui, je sais que normalement on dit printemps, mais moi je suis née en hiver ! Aux alentours de Noël même pour être exacte. Avouez que c'est un peu pourri niveau cadeaux. Mais bon, ce n'est pas comme si on m'en avait offert énormément au cours de ma vie, donc pour ce que ça change.
Je suis née d'un père noir et d'une mère blanche à une époque où les couples mixtes étaient encore rares et mal vus. Je me souviendrai toujours des moqueries des autres enfants qui disaient que j'avais été une enfant adoptée. Et le pire, c'est que j'avais fini par y croire. Mais force m'a été de constater en voyant les photos de grossesse et de naissance que cette femme qui portait le titre de mère était bien la mienne. Même si pour mon bien, il aurait mieux valu qu'il en soit autrement.
Je n'ai que très peu de souvenirs de mon enfance. Et encore moins des quelques petites années pendant lesquelles mes parents sont restés ensemble. Tout ce dont je me souviens en vérité, c'était d'une atroce dispute entre eux qui avait éclatée, moi dans un coin, petite fille brisée qui pleurait toutes les larmes de son corps en voyant son père prendre un minimum d'affaires et s'en aller sans plus jamais se retourner. Bon d'accord, peut-être pas complètement. Il est revenu me voir des années plus tard. Une fois, deux fois, peut-être trois ? Mais force était de constater qu'il était devenu un parfait inconnu à mes yeux.
J'avais donc passé la plus grande partie de mon enfance avec mon "adorable" (Non, je plaisante.) mère ! Vous vous demandez sûrement ce qu'elle a pu me faire vivre de si terrible pour que j'en devienne aussi amère ? C'est bien simple : elle m'a battue pendant un nombre incalculable d'années, jusqu'à ce que je sois suffisamment grande pour parer ses coups, et lorsqu'elle en a décidé qu'elle en avait assez de s'occuper de moi car, selon ses dires, j'étais une enfant difficile, elle m'avait mise à la porte. Pas une fois, mais trois. Chaque fois, elle m'avait demandé de revenir en me suppliant, pleurant qu'elle regrettait, que je lui manquais. Et à chaque fois, j'ai été assez idiote pour la croire. Alors qu'en réalité, la seule raison qui la poussait à me reprendre chez elle était parce qu'elle avait désespérément besoin de moi.
En quoi aurait-elle pu avoir besoin d'une gamine qui ne travaillait même pas et qui avait vécu dans la rue ? Plus d'une dizaine d'années après ma naissance, elle avait épousé un inconnu rencontré dans un train. Et cet inconnu avait fini par lui donner deux filles, avant de la tromper et de s'en aller à son tour. Mère parfaite qu'elle était, elle se retrouvait totalement dans l'incapacité de s'occuper de mes sœurs, raison pour laquelle elle faisait appel à moi. Je n'étais plus une enfant. Je n'étais plus une sœur. J'étais une deuxième mère. Ces petites filles magnifiques et débordantes de vie, je les adorais de toute mon âme. J'aurais aimé être suffisamment forte pour les protéger d'elle. Suffisamment forte pour me protéger moi. La souffrance creusait sa place confortable en moi, créant une dépression violente qui me rendit insomniaque et qui finit par me pousser à commettre des actes qui auraient pu être irréparables. Oui, j'ai tenté de me suicider à plusieurs reprises, finissant même pas atterrir en hôpital psychiatrique pour enfant.
Aujourd'hui je suis heureuse que ces tentatives désespérées n'aient pas abouti. Mais croyez moi, je reviens de très loin. Car non, mon histoire ne s'arrête pas là.
Je n'ai pas toujours été une enfant de cœur, je le reconnais. On peut même dire qu'il y a une période de ma vie où la débauche a bien failli avoir ma peau. Pourtant, quand j'étais enfant j'étais sage comme une image. Timide (quand on voit ce que je suis devenue, c'est à hurler de rire), introvertie (ça ça n'a pas changé par contre), douce et le cœur toujours tourné vers autrui. Et oui, cela malgré les violences que je subissais pratiquement tous les soirs lorsque ma mère rentrait du travail et qu'elle avait besoin de défouler ses nerfs. J'essayais d'être forte. J'essayais d'être brave. Mais à l'adolescence, c'est là que j'ai explosé. Je suis sortie en boîte à l'âge de quatorze ans pour la première fois. Cela n'a été que la première d'une longue liste. J'ai arrêté d'aller en cours. J'ai arrêté de vivre la journée, hormis pour m'occuper de mes petites sœurs lorsque la marâtre était au travail. Je me suis mise à sortir à outrance, cinq à six fois par semaine, maquillée et parée des plus beaux atours. Je suis devenue une diva de la nuit. J'ai rencontré des amis du milieu, je passais mon temps en carré V.I.P. les bouteilles offertes coulant à flot, que ce soit par des clients ou même par les différentes boîtes dans lesquelles j'avais mes entrées. Et c'est tout naturellement que, lorsqu'on m'a proposé de poser pour des photos professionnelles et d'entamer une carrière de mannequin, j'ai accepté. J'étais devenue tout ce que je déteste. Vaniteuse. Egoïste. Attirée par l'appât du gain. Limite alcoolique. Je me suis même essayé à la drogue, même si je ne suis jamais tombée dedans grâce au ciel. Podiums, photoshoots, soirées guindées et boîtes de nuit étaient devenues mon quotidien et ce jusqu'à l'âge de mes dix-sept ans. Scandaleux non ? Même pas majeure et j'avais "clubbé" (comme on appelle dans le milieu) plus que la plupart des êtres humains lambdas. Aurais-je honte de l'avouer ? J'ai même parfois terminé sur le pavé à vomir tripes et alcool.
Niveau garçons ? Je n'ai jamais été ce qu'on peut appeler une "salope", je ne couchais pas avec ces inconnus rencontrés au détour d'un verre. J'avais des relations qui auraient presque pu être qualifiées de sérieuses. "Presque". En même temps, quel garçon est sérieux à la vingtaine ? Il en existe peut-être bien, mais certainement pas dans le monde dans lequel j'évoluais. Ce fût sûrement la raison pour laquelle aucune de mes relations ne dura plus de quelques mois. Voire quelques semaines pour certaines. Mais, après tout, comment aurais-je pu me faire respecter alors que je ne parvenais plus à me respecter moi-même ?
Et c'est ainsi qu'un jour, un parmi tant d'autres, je me suis positionnée dans la glace et que ma prise de conscience eut lieu. Qu'est-ce que j'étais en train de faire ? Qu'est-ce que j'étais en train de devenir ? Je jouais absolument le jeu de cette mégère qui n'avait de mère que le nom et était en train de détruire pleinement celle que j'étais. Je ne dois pas être faible. Jamais. C'est la promesse que je me suis faite ce jour-là et que je me suis jurée de tenir jusqu'à ce que toute vie ne finisse par quitter mon corps. Est-ce que je croyais au paradis et à l'enfer ? Absolument pas. Ma mère avait beau être une croyante fanatique qui m'insultait et m'enfermait parfois à clef dans ma chambre lors de ses crises d'hystéries, qui me forçais à aller à l'église à l'occasion et tentai de me forcer à croire en Dieu, j'avais plutôt un caractère de cochon à l'époque. (Oups, je crois que je l'ai toujours.) Voyez-vous, j'avais beau être une fille qu'on pouvait qualifier de gentille, j'étais aussi une vraie tête de mule. Ma mère disait même que j'avais un esprit de contradiction, ce qui, en y pensant avec le recul, est peut-être vrai. Plus on me forçait, plus je m'efforçais de voler dans le sens contraire. Et ce n'est pas pour rien que j'utilise le terme "voler" : je suis et j'ai toujours été un esprit libre. J'ai tendance à me réfugier dans mon monde imaginaire lorsque je me sens trop en difficultés pour affronter les réalités de la vie qui, il faut le dire, n'a jamais vraiment été tendre avec moi.
J'aurais aimé vous raconter que ceci sonna la fin de mes souffrances. Qu'à ma majorité je me suis libérée de mes chaînes, que j'ai rencontré un gentil mari avec qui je suis heureuse, un travail parfait, bref, du bonheur à l'état pur. Mais ça ne s'est pas vraiment passé comme ça. Maintenant que vous pouvez cerner pourquoi déjà dans l'enfance j'étais effrayée par l'amour. Après tout, quand vous en venez à haïr la personne qui vous a mis au monde et qu'elle a bafoué votre confiance, il est difficile de l'accorder de nouveau au premier venu. Cependant, j'y reviendrai plus tard, car c'est là que je débute mon histoire.
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