Coulée

C'était une bonne nouvelle pourtant.

Des tas de personnes m'enviaient.

Quand je l'avais apprise, j'avais fondue en larmes. Des larmes de joie qui faisaient du bien.
Je me souviens des cris de joies des filles de mon équipe. Elles ne participaient pas à cette compétition, et étaient venues m'encourager. Je les avais comblées.

Je nageais depuis mes 5 ans.

En club à partir de 7 ans.

L'histoire que ma mère se donnait à cœur joie de narrer à qui voulait bien l'entendre racontait que, suite à un voyage au bord de mer, j'avais commencé à me prendre pour une sirène. Et quand j'avais dû choisir parmi les activités parascolaires qu'on proposait aux jeunes filles de mon âge, c'est sans aucune hésitation que j'avais "cassé les pieds" à mes parents pour qu'ils m'inscrivent.

C'est à partir de là que tout a commencé.
J'avais toujours adoré ça.

Retenir ma respiration.
Lutter contre la gravité. Aller plus vite que les autres. Nager.
Gagner aussi.

Au début c'était de petits titres, lors de petites compétition.
Puis petit à petit, j'étais passé des départementales au régionales, puis des régionales au nationales.

À quatorze ans, je venais d'être sélectionnée pour rentrer dans une prestigieuse école à horaires aménagés pour la natation.

Quitter mes amis ?
Aucun problème ; j'étais tellement prise par mes entraînements à la piscine, que les seules personnes avec qui je partageais une relation se rapprochant le plus de l'amitié étaient les autres filles de mon club. En y repensant, nous ne partagions rien de très fort non plus. Nous ne nous étions jamais vu en dehors des entraînements. Pas que je sache en tout cas. Il est fort probable que je n'ai pas été conviée. Et je ne me rends compte de ça que maintenant.

J'avais aussi mangé une fois la table d'Émilie Clochet (alias "Clocharde" ou "ding-dong") au self. Je me souviens bien de cette matinée-là. J'étais en cinquième. Mon entraînement de natation de la pause déjeuné avait été annulé en raison d'une vidange du grand bassin suite à une réclamation au sujet de la qualité de l'eau. Habituellement, je sortais du collège pour m'acheter un sandwich que je mangeais sur le chemin de la piscine municipale.
J'avais donc du déjeuner à la cantine. Ça n'était pas la première fois, cependant, la table au fond près de la fenêtre où je m'installais seule dans ces cas-là était déjà occupée par trois sixièmes riant. Je n'avais pas d'autre choix que de partager la table d'un élève. Et la seule personne qui ne me chasserait pas à grand coûts de moqueries blessante s'avérait être Émilie. Je m'étais approchée, elle m'avait souri. Nous avions mangé en silence, se jetant de petits regards furtifs et gênée l'une à l'autre. Et quand nous étions repérés, nous sourions bêtement. C'était ridicule. Mais ça nous a fait autant de bien l'une à l'autre, d'être acceptée, le temps d'un repas.
Mais au fond, ça ne comptait pas.

Le problème était que l'école se trouvait à deux heures de route de chez moi.
Je devais donc rentrer en internat, ce qui ne m'inspirait pas franchement. Quelle personne normalement constituée voudrait quitter tous ses points de repères, son confort et sa famille pour emménager dans un lieu inconnu ?

Heureusement pour moi, mes parents n'étaient pas non plus décidés à me laisser vivre aussi loin d'eux.
Nous déménageâmes à trente minutes de mon futur établissement.
Une jolie petite maison un peu perdue dans la campagne, pas loin de la mer et d'un village côtier réputé pour sa fleur de sel.
On s'y sentait bien, et lorsqu'il faisait mauvais dehors, on faisait des crêpes et on lisait, sous une pile de plaides multicolores. Ainsi je pourrais rentrer chez moi tous les week-ends et mercredis après-midi.

Ça fait partie des avantages d'être fille unique.
Et d'avoir des parents prêts à tout plaquer pour vous.

Quelques semaines plus tard ; rentrée.
Je n'avais pas fermé l'œil de la nuit, imaginant mille fois comment je me prendrais les pieds dans un tapis et finirait les quatre fers en l'air devant toute l'école, réduisant soudainement à néant ma future vie sociale. Après un rapide petit déjeuné et une demi-heure de trajet en voiture, j'arrivais devant la fameuse grande porte d'entrée. Elle était immense.
Je survécu assez longtemps pour assister au discours d'accueil de notre directrice (« ...Ici nous formons l'excellence. Vous êtes l'excellence de demain. Alors nous ne tolérerons aucun écart; nous comptons sur vous pour une conduite irréprochable...») et à la répartition des chambres et des camarades qui vont avec. La mienne s'appelait Louna. Une blondinette aux yeux bruns rieurs, très enthousiaste et douée. Nous nous étions assez bien entendues. Nous n'étions pas les meilleures amies du monde; elle s'en était faite d'autre, contrairement à moi; mais notre relation me suffisait. Je ne déjeunais plus seule, partageais de brèves discussions sur tout et rien, et avais le droit une multitude de sourires, ragots et racontages de vie.

Ça aurait dû être le rêve.

Me retrouver à nager toute la journée, sans faire une croix sur mes études. Être avec comme seules camarades des filles avec d'aussi larges d'épaules que les miennes, et partageant la même passion.

Ça aurait dû.

Mais le rêve c'est vite transformé en cauchemar.

Le problème ne venait pas de Louna, des autres filles, de la directrice, ou encore des cours.
Non. Il venait de moi.
Les appréciations sur mes bulletins et les mots rédigés par mes professeurs en témoignaient.

Trop lente. Pas assez musclée. Doit bannir les produits laitiers de son alimentation. Manque de confiance en elle. Peut mieux faire. Ne se donne pas à cent pour cent.

Je n'étais pas taillée pour le très haut niveau. Je n'étais pas à la hauteur.
Je n'étais pas une championne.

Mais comment baisser les bras quand on porte un vase en cristal ?

Ma famille avait laissé tomber sa vie d'avant pour moi. J'avais été la fierté de mon équipe de natation. J'avais toujours rêvé d'être sélectionné pour une école aussi prestigieuse.
Des centaines de nageuse n'attendaient que cette opportunité ! Toutes celles que j'avais battues lors de la sélection. Je les renvoyais, les larmes aux yeux, se maudissant de ne pas avoir été assez rapides, d'avoir raté, à quelques secondes près, leur chance d'entrer dans une école, de faire carrière, d'être la meilleur de leur discipline.
Et moi je n'étais pas capable de supporter tout ça. De profiter de ma chance. La pression était trop forte, et moi, je ne l'étais pas assez.

Il fallait se rendre à l'évidence.
Je n'étais pas une championne.

Tout simplement.

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