cela ne sert vraiment à rien. Bordel.
On nous cesse de répéter qu'il est important de vivre. Dans mon cas, il est nécessaire de survivre. Ris, pleure, danse, cours. Existe. Sauf que je n'en ai pas envie. Pourquoi faire ? Dans quel but ? A quelle utilité ? Je n'ai pas besoin de bouger comme une girouette, dans un champ sous la pluie pour exister. Je veux pas attraper la crève. Je déteste la pluie. Cela ne sert vraiment à rien. Bordel.
Stupide alarme. Nous sommes toujours obligés de fonctionner avec le temps et ça m'énerve. Montre, horloge, réveil, téléphone, ordinateur, cocotte-minute. Stop. Le monde court après le temps alors que je cours après ma vie.
Un soupir s'échappe d'entre ses lèvres, elle éteint son réveil. La jeune fille ouvre sa fenêtre après être sortie de son lit. Elle inspire profondément en fermant les yeux. Enfin de l'air frais. Il n'est seulement que huit heures du matin et elle a déjà envie de retourner dans son lit. Les travailleurs klaxonnent déjà sans retenue. L'inverse aurait été étonnant. Nous sommes à Paris, la ville vit à n'importe quelle heure de la journée et de la nuit.
Ses pas s'enchaînent dans un rythme lent vers la cuisine. Son ventre crie famine depuis son réveil, elle doit manger. Elle aperçoit la chevelure rousse de sa mère, attachée aujourd'hui en queue de cheval. Celle-ci a changé la jupe crayon d'hier, elle est maintenant bleu marine et porte une chemise blanche. La plus jeune s'avance vers la table où est posé une assiette avec une pomme verte. Elle la prend avant d'y planter ses dents. Ses yeux se ferment aussitôt. Voilà un bon moment qu'elle n'avait pas mangé, elle découvre une fois de plus cette sensation si agréable que sa bouche en salive.
« Bonjour Gabrielle, si tu ne te dépêches pas, le professeur Lew va encore te mettre en retard, dit-elle sur un ton de reproche.
— Bonjour, c'est lui qui le fait exprès, il me déteste.
— Dans ce cas, ne lui donne pas une raison pour te reprendre. »
Evidemment. Je dois faire des efforts, comme si ma présence au lycée n'en était pas assez. En plus de faire abstraction sur les regards et les murmures à mon propos, je dois jouer à la gentille élève avec les professeurs. Ce prof m'énerve juste à son sourire arrogant et à sa tête d'homme charismatique. Tout le monde l'apprécie. Enfin, toutes les filles l'aiment. Le Gilderoy Lockhart de Paris. Stupide matière de philosophie. Ses cours sont ennuyants, non structurés, lui-même ne sait pas où on en est.
Gabrielle retourne dans sa chambre, pomme à la main. Il ne lui reste qu'une quinzaine de minutes pour se préparer avant d'aller au lycée. Elle ne perd pas de temps pour choisir sa tenue : jean noir et chemisier blanc avec son éternel perfecto noir en cuir. Il ne la quitte jamais, hiver comme été. C'est un peu comme une sorte de carapace de textile, la jeune fille se sent protégée. Elle lui donne confiance, comme si cette veste attirait toute l'assurance et arrogance du monde pour l'en asperger. C'est rassurant.
Les lacets de ses Doc Martens 1461 attachés, l'adolescente met son casque avant de fermer la porte de l'appartement. Elle a toujours préféré les casques aux écouteurs, c'est bien plus pratique. Au moins, il ne tombe pas et elle peut s'envelopper dans la bulle de sa musique. Ses oreilles frémissent au son des guitares électriques d'Arctic Monkeys. Son groupe préféré chante à ses oreilles, si sensibles à leur musique.
Ça me donne envie de chanter à tue-tête, en balançant ma tête au rythme de la mélodie. On me prendrait pour une adolescente sans tenue et ce n'est pas étonnant. Seules leurs stupides manières sont acceptables. C'est d'une absurdité incroyable.
Elle est déjà arrivée au lycée. Il ne lui avait pas manqué depuis vendredi, le week-end avait été bien trop court. Le temps devient éphémère lorsqu'il est intéressant. Elle jette son trognon de pomme à la poubelle d'un geste las. La sonnerie retentit alors Gabrielle fonce en première et tête baissée dans la salle de classe pour espérer s'installer au fond de la pièce. Avant, elle s'asseyait toujours devant, elle écoutait le cours en participant parfois, ses notes étaient bien, et les félicitations au conseil de classe se suivaient automatiquement. C'était bien dans le passé. Avant ça.
Le professeur Lew est toujours aussi ennuyant. Il préfère passer son temps à arranger sa coiffure à la Brad Pitt en gardant son sourire plein d'estime de soi collé au visage. Si les élèves étaient des miroirs, il se regarderait dedans. En même temps, ça l'arrange, elle n'a pas à suivre le cours. La jeune fille en profite pour gribouiller quelques dessins sur le coin de la page, signe d'un ennui profond pour beaucoup d'adolescent. Les autres élèves de sa classe sont lassés d'écouter un cours sans grand intérêt. Certains écoutent plus ou moins le professeur, une main soutenant leur tête tout en se battant avec la fatigue pour ne pas fermer les yeux. D'autres font des morpions entre eux sur des agendas pendant que quelque uns font preuve de discrétion pour être sur leur téléphone, caché sous la table. Ils ne sont pas la meilleure classe, il faut le dire. Leurs notes ne sont pas exceptionnelles pour une classe de littéraire, surtout en philosophie. Malgré cela, ils restent une bonne classe, c'est-à-dire qu'ils s'entendent tous bien. C'est bien plus facile, ils sont seulement seize. Un bon groupe d'ados, avec chacun des intérêts différents. Théâtre, cinéma, architecture, histoire, peinture, littérature, langues, danse, mode, ect... Leurs passions différentes permettent aux uns et aux autres de s'enrichir culturellement, de comprendre un monde divergent du sien. Il faut le dire, c'est attrayant.
« Gabrielle tu viens ? Demande une voix féminine. On doit aller en physique. »
Elle lève sa tête dans un petit sursaut, c'est la fin du cours. Finalement, il n'est pas passé trop lentement, tant mieux. Cette fois-ci, Camélia l'a réveillé de ses pensées. Camélia, c'est la fille hyper stylée, toujours bien habillée même quand ils font du tennis de table. Elles se connaissent depuis la sixième. Au premier abord, on pourrait la juger comme étant la fille méchante des films américains, à refaire son vernis toutes les trente minutes, se mettre du mascara pour le sport, faire tout un spectacle dramatique à chaque fois qu'elle se casse un ongle. Mais c'est absolument l'inverse, elle est joueuse dans l'équipe de basket du lycée, intelligente, drôle, déterminée, patiente. Elle est très loin de la peste blonde et cruche qu'on a l'habitude de voir. Leur seul point commun, c'est qu'elles arrivent à avoir la moitié des élèves masculins du lycée à leur pied. Au plus grand désespoir de Camélia, qui ne l'intéressent pas.
Après avoir rangé rapidement ses affaires, Gabrielle monte les escaliers pour aller devant la salle de physique-chimie. Même si elle a choisi une première littéraire, ils ont encore des sciences de la vie et de la terre ainsi que de la physique pour leur plus grand bonheur. Ils sont donc partis pour une heure et demie de chimie avec une place au premier rang en bonus pour la jeune fille.
Je sens déjà l'ennui profond des autres élèves.
« Bonjour à tous, aujourd'hui nous allons faire une petite expérience sur la pression qui va vous ravir. Bien, j'ai donc préparé dans une éprouvette avec un tier d'eau gazeuse. Commence le professeur.
— M'sieur, le Perrier est mieux que le Badoit, ça fait pas énormément de bulles.
— Merci monsieur Daxon pour votre intervention en tant que conseiller d'eau gazeuse, je vous prie de reprendre votre place maintenant.
— C'est toujours un plaisir ! Dit le jeune adolescent.
— Si Tom a fini de faire le clown, nous allons pouvoir commencer. »
Gabrielle esquisse un sourire, cela ne l'étonne pas venant de lui. Il est le boute-en-train de la classe, toujours là pour dire une bêtise et faire rire les autres. Il ne reste pas un mauvais élève pour autant. Tom s'assoit sur son tabouret avec un grand sourire, le reste de la classe reporte son attention sur le professeur. Ce dernier écrit le titre de la séance au tableau et se retourne avec enthousiasme. Il prend dans sa main l'éprouvette en question, refermée par un bouchon en liège et la présente à la classe. Personne ne semble véritablement enthousiaste à la vue de ce que présente le professeur. Cela n'a rien d'impressionnant. Pourtant, les yeux des élèves deviennent ronds quand il voit un briquet sortir de la veste de l'adulte. L'adolescente déglutis, son cœur commence à battre de plus en plus fort. Il allume d'un coup le briquet, une petite flamme en sort. La lueur scintille dans ses yeux, elle sent son corps perdre le contrôle. Soudain, la classe sursaute. Le professeur vient de mettre la flamme à hauteur du bouchon, contre l'éprouvette. Le morceau de liège est parti aussitôt dans un « pop » sonore, laissant la faible braise danser contre l'air.
Cela en est trop pour la jeune fille. Une boule à la gorge rend sa respiration saccadée, des sueurs froides lui parcourent le dos et les bras, elle se sent très oppressée par la pièce et son torse la gêne. Elle décide de sortir dehors, les jambes tremblantes, sans adresser un seul mot au professeur. Il lui faut de l'air. Quelques pas après avoir fermé la porte, Gabrielle s'assoit à terre, donnant raison à ses violents vertiges. Son corps tremble de tous ses membres, elle suffoque et a beaucoup de mal à se calmer. Elle ferme ses yeux et compte dans sa tête dans le désordre. C'est souvent ce qui la détend, cela lui permet de se concentrer sur autre chose que ses maux.
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