Septembre
Les grandes vacances, comme on disait jadis, sont terminées. Voici le mois de septembre.
Et avec lui, tout doucement, voici venir l'automne.
Oh bien sûr il fait encore doux, il reste quelques beaux jours et pour l'instant rien n'a vraiment changé.
Mais pour qui sait observer, le soleil commence à paresser pour se lever, la première feuille jaune est apparue sur les marronniers d'Inde du Parc de la Colombière et les écureuils, affairés en tous sens, comme préoccupés par un je-ne-sais-quoi, n'y ont plus la même insouciance.
Envolées aussi les futilités estivales des enfants, eux qui ont repris le chemin de l'école.
Il y a toujours, me semble-t-il, comme une sorte de magie dans ce mois de septembre, intercalé entre l'odeur du sable chaud et celle de la bogue des noix.
C'est, dans l'année, l'époque de la nostalgie.
Il me suffit de fermer les yeux un instant pour me revoir, en cette fin de l'année 1966, dans la cour de l'école.
En ce temps-là, la petite rue Joseph Milsand était entièrement occupée par les trois écoles du groupe Chevreul.
Elles étaient construites sur le même modèle : une cour goudronnée plantée d'arbres -des marronniers d'Inde, encore- presque entièrement encerclée par un large trottoir, lequel, abrité sous une sorte d'avancée vitrée multicolore, cachait les entrées des classes. Et, au fond à droite, un grand préau avec les toilettes.
Dans la rue, la première entrée était celle de la maternelle, puis on trouvait l'école des filles et enfin, juste avant l'angle avec la rue Neuve Bergère, l'école des garçons. C'est que, dame, à l'époque, on ne mélangeait pas tout !
Mon père, jusqu'alors employé dans une usine à Auxonne, venait d'être embauché au CEA. Au centre de Valduc, comme on disait alors en baissant la voix. Un poste assez mirobolant au regard du salaire et du logement à loyer modique qui allait avec. Oh, nous étions prévenus : il ne fallait pas poser trop de questions et on savait à peine que ce travail concernait l'énergie atomique. Mais tout le monde s'en foutait car, comme je l'ai dit déjà, à l'époque, on ne mélangeait pas tout.
Du coup nous avions emménagé à Dijon et j'avais, comme ma soeur et mon petit frère, raté la rentrée.
Ce n'est pas rien, à 8 ans, que de rater la rentrée, d'arriver dans une nouvelle ville inconnue, dans une nouvelle école, et d'être le petit nouveau sans aucun copain... A l'avance, je m'en étais fait tout un monde.
Mais, bien vite, mes craintes s'étaient évanouies : le maître d'école -je revois encore très distinctement son visage, 53 ans après- était d'une patience, d'une bienveillance et d'une douceur infinies, mes camarades de classe adorables, et surtout, surtout, j'étais un très bon élève. C'est que, dame, à cette époque, cela vous valait le respect de tous. Quand je vous disais qu'on ne mélangeait pas tout...
C'était l'époque des cahiers de brouillon, des cahiers du jour, des cahiers de composition.
C'était l'époque des crayons de papier que le maître vous affûtait lui-même à l'aide de l'unique taille-crayon de la classe, fixé sur son bureau, sur l'estrade.
C'était l'époque des encriers en porcelaine et des porte-plume.
C'était l'époque des cartables en cuir, inusables, qui n'avaient pas de marque, et que le puîné était fier d'arborer parce que l'aîné....
C'était l'époque de....
Pfffft. Un coup de vent. L'arbre se déshabille. C'est l'automne.
Depuis longtemps, ils ont détruit les trois petites écoles de la rue Joseph Milsand. A la place, une sorte de hideux blockhaus rose rassemblant un groupe scolaire sans âme.
Perdus mes marronniers, perdus les maîtres et leur blouse grise, perdus les jeux de billes, tout s'est envolé comme les feuilles au vent humide d'automne.
Désormais je m'imagine, dans ma superbe maison tout là-bas, entre Landes et Pays Basque, bien loin de la rue Joseph Milsand, en septembre, ramassant les feuilles et les oursins verts que déverse près de la piscine le châtaignier voisin, comme s'il voulait me rappeler les marronniers de mon enfance.
Et dans la brise, il me semble entendre, ânonnées par un élève hésitant, ces paroles merveilleuses :
"Les sanglots longs des violons de l'automne
Blessent mon coeur d'une langueur monotone.
Tout suffocant et blême, quand sonne l'heure,
Je me souviens des jours anciens et je pleure".
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