L'anniversaire de Xan
C'était par un beau matin de printemps.
Oh, mais pas n'importe quel matin, non, très exactement le matin du 18 avril 2017, lendemain du lundi de Pâques.
Le matin de l'anniversaire de Xan.
Il devait être aux alentours de 6 heures.
Xan ouvrit un œil encore endormi, réalisant à peine que cette sensation désagréable qui voulait la tirer de son lit douillet n'était autre que le vibreur de son smartphone posé sur la table de nuit en guise de réveil.
Dans ce demi-sommeil elle se dit confusément pour la 657ème fois que c'était une mauvaise habitude de dormir à côté de ce zinzin, étendit la main pour lui couper le sifflet et ... se rendormit.
******
Soudain, elle eut l'impression de se réveiller en sursaut et voulut s'assoir dans le lit, mais elle perdit l'équilibre et tomba sur le côté !
Quelque chose n'allait pas, elle ne parvenait pas à s'assoir.
Il faisait jour. Elle voulut se frotter les yeux de sa main droite mais ça ne marchait pas non plus...
Elle regarda autour d'elle et ne reconnut pas sa chambre. Son lit avait disparu. Elle reposait dans une sorte de grand panier plat en osier, sur un morceau de tissu duveteux !
En face d'elle trônait une armoire dont la porte était un miroir et elle sentit sa tête tourner en voyant l'image qu'il reflétait.
Un chat ! Enfin, plus exactement un chaton, un tout petit chaton au poil roux et aux grands yeux verts tous ronds !
Elle leva une main, ou plutôt était-ce une patte, et l'image dans la glace leva la même patte.
Levant l'autre, ce fut pareil. Elle tira sa langue de chat, encore pareil. Pas de doute, ce reflet était bien le sien.
On l'avait changée en chaton !
Etrangement, cette idée ne la dérangea pas et elle sauta du panier avec la grâce du félin, en se disant juste qu'il valait mieux ça que d'être changée en un sale cabot.
En tout cas, elle avait une de ces faims !
Il devait bien y avoir un peu de lait quelque part dans cette maison inconnue et silencieuse.
Elle explora les lieux et trouva la cuisine, mais la poignée du frigo était si haute... peine perdue.
Peut-être quelque chose sur la table alors ?
Non, rien. Rien à manger à l'horizon.
- Quelle poisse ! cria-t-elle, se faisant sursauter toute seule.
Ainsi ce corps de chaton savait parler. C'était déjà ça, mais cette découverte n'apportait aucune solution à ses problèmes. La maison semblait inhabitée. Qu'allait-elle bien pouvoir faire ?
Elle s'assit par terre, déconfite. Et dire que c'était le jour de son anniversaire, pfffff, tu parles d'une...
Elle avisa soudain la porte d'entrée et son cœur fit un bond : il y avait une chatière !
En quelques petits sauts elle fut à l'huis qu'elle franchit, puis se retrouva dehors pour constater que cet endroit bizarre lui était totalement inconnu.
La maison, dont il ne partait qu'un unique chemin en fins graviers roses, trônait toute seule au milieu d'un pré immense. On ne pouvait en voir le bout car de grandes herbes, là-bas au loin, masquaient la vue.
Xan n'était pas le genre de fille à se morfondre sans rien essayer, même dans un corps de chaton, aussi elle ne mit pas longtemps à se décider : vaille que vaille, il fallait quitter cet endroit désert.
Elle s'engagea donc sur le chemin et se mit en route d'un pas de trotte menu.
Il lui sembla qu'elle marchait ainsi depuis des heures lorsqu'elle aperçut enfin, au bout du chemin, ce qui paraissait être un petit village.
S'approchant, elle comprit qu'il s'agissait bien d'un ilot d'habitations dont on ne voyait que les toits pointus, entourées par un très haut mur au travers duquel se trouvait une porte énorme qui était largement entrouverte.
Elle s'avança prudemment.
C'est alors qu'une odeur familière et délicieuse qu'elle n'arriva tout d'abord pas à identifier vint chatouiller son nez de chaton. Son ventre en gargouillait d'envie. Elle avait si faim...
Elle fronça les moustaches, éternua, huma l'air le plus profondément qu'elle put et soudain, elle reconnut le parfum merveilleux : du caramel ! Une odeur de caramel au beurre ! Son addiction !
Cela venait assurément de derrière ce mur.
Elle en avait l'eau à la bouche et s'en pourlécha les babines.
Brusquement, la porte s'ouvrit en grand et dans l'embrasure apparut un être immense, terrifiant, cauchemardesque. Un dragon.
Xan recula précipitamment. La bête fantastique la regardait d'un air mauvais. Les pupilles de ses énormes yeux jaunes formaient deux lames verticales et une légère fumée sortait de ses naseaux. Son corps était couvert d'écailles et d'épines et on voyait, repliées sur son dos, deux gigantesques ailes semblables à celles d'une chauve-souris.
- Que fais-tu là, moucheron ? tonna la créature d'une voix caverneuse.
- Je... Je viens du chemin et j'ai senti une bonne odeur, bredouilla piteusement Xan qui n'en menait pas large. J'ai faim et...
- Ah oui, une bonne odeur hein ? Et sais-tu ce que c'est ?
- Du caramel au beurre, dit Xan.
Le dragon écarquilla les yeux, comme s'il haussait des sourcils imaginaires.
- Je vois que tu es un connaisseur, microbe !
- Oh oui, j'ai une véritable passion pour le caramel au beurre, dit Xan qui humait toujours les effluves irrésistibles.
- Malheureusement pour toi, dit le dragon d'un air amer, la cité du caramel au beurre salé est réservée aux experts en orthographe et en grammaire. Or tu es un chat et un chat ne sait pas écrire.
- Au beurre salé ? Mais si, je sais écrire ! protesta Xan avec l'énergie du désespoir, je suis même très douée en français.
- Hmm. Et tu comptes me faire croire que tu peux tenir un stylo avec ça ? rigola le dragon en montrant la minuscule patte droite du chaton.
Xan regarda sa patte. Effectivement, ce gros bestiau avait raison.
- Mais je peux épeler ! dit-elle, songeant aux caramels.
Le dragon, perplexe, se gratta le museau d'une de ses énormes griffes.
- Bon, réfléchis bien, je te préviens. Tu peux continuer ton chemin et on n'en parle plus. Mais si tu veux tenter ta chance pour rentrer dans la cité et te servir à volonté, il te faudra répondre à l'une des questions du grand inquisiteur orthographique, en l'occurrence moi, dit-il d'un air pédant en exagérant sur le mot « moi » et en se désignant de sa griffe. Et si tu échoues, je te chalumeaute version 2.0 et...
Il se mit à rire de sa propre bêtise, crachant des flammes incontrôlées qui faillirent roussir le poil du chaton.
- Hum, bon, alors ? finit-il par demander en reprenant son sérieux.
- J'accepte, dit Xan qui ne pouvait résister à l'appel du caramel au beurre salé. Pose ta question.
Le dragon plissa la paupière gauche et tourna son gros oeil reptilien vers le haut, semblant regarder dans sa tête.
- Bien bien bien. Dans la phrase « demain je jouerai(s) au badminton », épelle moi le verbe « jouerai(s) ».
Xan sentit ses certitudes vaciller. La confusion entre le conditionnel et le futur ! Sa hantise ! Comment cette bête avait-elle deviné sa lacune récurrente ? Sans compter la coïncidence du badminton...
Elle se concentra et finit par éructer, le cœur battant :
- J.O.U.E.R.A.I.S.
- Ah ah ah, je m'en doutais, exulta le dragon. Tout faux ! Lamentable ! Le S de la mort qui tue !
- Mais, ce n'est pas une faute si grave, à côté de ça je...
- Tutututtt, gravissime. T'es foutu, moucheron.
- Mais, donne moi une autre chance, supplia-t-elle. En plus, c'est mon anniversaire !
- Ah ? Et quel âge as-tu donc ?
- Seize ans aujourd'hui.
- Mouahaha, railla le dragon, tu parles d'une affaire, moi j'en ai 590 et je n'en fais pas tout un plat ! Non, pas d'autre chance, je t'avais prévenu...
Il prit une inspiration énorme, disproportionnée au regard du minuscule chaton. Le sort du Xan-chaton paraissait scellé.
Elle sentit ses espoirs disparaître. Ce monstre allait la griller pour un malheureux « S » en trop.
Mais l'atavisme prit le dessus (chacun sait que l'origine mexicaine, c'est costaud) et Xan, prête à mourir en étant immolée au nom de son goût immodéré pour le caramel au beurre salé, eut ce sursaut héroïque :
- ¡Óyeme cachito! No me das miedo. ¡Cada mañana puedo comer tres pollos como tú! (*1) cria-t-elle d'une voix qu'elle voulait la plus méchante possible.
Les deux protubérances cornues qui servaient d'oreilles au dragon et qu'il tenait d'ordinaire dressées s'aplatirent pour pendre comme deux oreilles d'épagneul et il prit un air mi-attendri, mi-incrédule.
Xan crut pendant une seconde que ses paroles l'avaient effrayé.
La bête pencha vers le minuscule chaton son effroyable museau d'où subitement ne sortait plus aucune fumée.
- Tu... tu parles espagnol ? demanda-t-il doucement.
- Claro que si, répondit le chaton, ça te dérange ?
- Non, non, au contraire, c'est que j'essaie moi-même, enfin je veux dire... j'étudie l'espagnol...
- Ah ? Et comment t'en sors-tu ?
Le dragon prit cette fois un air piteux :
- Couci couça, j'ai surtout des ennuis avec ces deux verbes être, tu sais, « ser » et « estar ». Je ne sais jamais si je dois dire« soy » ou « estoy », avoua-t-il.
- Hum, je vois, dit Xan du haut de ses vingt centimètres. Classique comme faute. Aussi classique que la confusion du futur et du conditionnel en français.
Le dragon se recroquevilla encore un peu plus :
- Tu... Je veux dire...Tu m'aiderais ?
- Oui. Si tu ne me grilles pas avant, bien sûr, dit perfidement Xan en poussant son avantage.
L'animal fantastique recula et s'écarta d'un pas qu'il voulait élégant afin de laisser l'entrée libre et fit signe au chaton qui ne se le fit pas dire deux fois.
L'intérieur de la cité était une féérie. Chaque maison présentait un étal avec des caramels partout. Il n'y avait personne, on se servait seul.
Xan tomba sur l'étal des caramels au beurre salé de Normandie et se jeta littéralement dessus, en engloutissant le plus possible sous l'œil bienveillant du dragon assagi.
- Ne te rends pas malade, dit celui-ci. Tu pourras emporter tout ce que tu veux.
Xan ne répondit pas tout de suite, trop occupée à manger les caramels. Il y avait là tout ce qu'on pouvait désirer : caramels au beurre salé de Normandie comme ceux qu'elle avalait pour le moment, au beurre salé de Vendée, de Guérande, de l'Ile de Ré, elle ne savait plus où donner de la tête.
Le dragon n'aurait jamais cru qu'un être aussi petit puisse engloutir autant de caramels.
Au bout d'un moment, rassasiée, elle demanda, la bouche encore pleine :
- Et toi, tu aimes les caramels ? Pourquoi apprends-tu l'espagnol au fait ?
- Je ne peux pas manger de caramels, répondit le dragon, ils se mettent à fondre et à bouillir dès que je les approche de ma bouche. Je préfère le jambon. C'est pour ça que j'apprends l'espagnol : pour aller me goinfrer de jambon espagnol, c'est mon péché mignon.
- Comme moi pour les caramels, quoi, dit le chaton en en reprenant une poignée. Je peux en emporter, alors ?
- Tout ce que tu peux prendre, oui.
Xan prit trois paquets mais c'était tout ce qu'elle pouvait emporter, avec ses petites pattes de chat. Désappointée, elle dit :
- Quel guigne, se trouver au paradis du caramel, avoir le droit de prendre tout ce qu'on veut et n'avoir que deux si minuscules pattes de chaton !
- Je peux t'aider, proposa le dragon.
- Tu ferais ça ?
- Oh oui, dit le dragon, attends un instant.
Il entra dans l'arrière boutique et revint, tenant dans ses bras un immense carton contenant des centaines de paquets de caramels au beurre salé. Le chaton sauta de joie et...
******
- Ouh ouh ! Réveille-toi ! Tu ne te lèves pas aujourd'hui, ma fille ? Et le lycée ?
Xan ouvrit les yeux. Sa mère la secouait doucement.
Elle jeta un coup d'œil circulaire : elle était dans sa chambre.
Regardant aussitôt ses mains, elle s'aperçut qu'elle n'était plus un chaton.
Un rêve, elle avait rêvé !
- Bon anniversaire, lui dit sa mère avec un sourire en l'embrassant. Tu vas être en retard.
Elle se leva et fila se préparer.
La journée se passa normalement, enfin, comme une journée d'anniversaire habituelle : tout le monde lui fit la bise, certains lui offrirent de petits cadeaux...
Mais lorsqu'elle rentra le soir à la maison, sa mère l'attendait d'un air perplexe :
- Dis-moi, mon chat, tu veux m'expliquer ce que c'est que ça ? Je sais bien que tu les adores, mais là, tu ne trouves pas que tu exagères un peu ? dit-elle à Xan en lui montrant un immense carton posé là, dans le garage.
Xan s'approcha. Le carton était ouvert. Il y avait une carte blanche sur laquelle quelqu'un avait écrit :
« Feliz cumpleaños. Te has olvidado los caramelos » (*2)
Et en dessous : «Estoy contento por conocerte ». (*3)
Elle vit que celui qui avait écrit cela avait d'abord commencé par mettre « Soy contento » puis, se ravisant sans doute, l'avait rayé.
__________
FIN
(*1 )« Ecoute-moi, demi-portion ! Tu ne me fais pas peur. Des poulets comme toi j'en mange trois chaque matin ! »
(*2) «Bon anniversaire. Tu as oublié les caramels »
(*3) «Je suis content de te connaître »
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