17. Incomplet en compet'
"Il commence à faire froid. Alors je met mon bonnet, mon écharpe, et mon manteau. En enfilant mon sac sur mon dos je me sens comme un ours brun. La seule différence c'est qu'au lieu d'hiberner tranquillement tout l'hiver, je suis obligé de bouger mes fesses de mon lit douillet, pour les poser toute la journée sur des chaises inconfortables.
Cela fait deux mois.
Deux mois qu'on ne s'est pas parlé.
Deux mois que je le vois trop rapidement passer dans les couloirs, et que je le trouve ridicule. À la fois beau et stupide.
Deux mois que sous mes pulls, trône contre mon torse, son collier.
Et deux mois que le seul ami que j'ai, c'est Martin.
« Aïe ! »
Cet imbécile vient de me flanquer un coup de coude dans le ventre.
- Tu le matais encore...
- Ta gueule.
- T'es jaloux, Vincent ?
- Pas du tout !
Pourtant quand on s'était rencontré à la rentrée, Rémi et Maxence m'avaient bien dit qu'ils étaient du genre asociales...
Alors pourquoi maintenant, je le vois toujours traîner avec deux autres gars de sa classe ?
Même si Martin ne le dit pas, je sais que lui aussi ça le touche de ne plus vraiment pouvoir interagir avec Maxence.
Les seuls moments où ils se voient sont pendant les cours. Ils font toujours exprès de se mettre l'un à côté de l'autre.
Quelques fois, quand je ne suis pas trop loin d'eux, Max se tourne vers moi, et me pose la question,
« Et toi, ça va ? »
Et je réponds avec un hochement de tête.
- Oui, ça va.
Il n'est pas méchant Maxence, ni rancunier, il veut juste être là pour Rémi, et c'est légitime, je le comprend.
La dernière fois que j'ai parlé à Rémi, c'était le soir après notre dispute. Je lui ai téléphoné, et contre toute attente, il a répondu.
- Allô ?
- Rémi ?
- Oui.
...
- Excuse-moi.
- Tu m'abandonnes ?
- Quoi ?
- Tu me quitte ?
- Mais non, je m'excuse !
- Ça ressemble à une rupture...
Ce soir là, j'étais à bout de nerfs. Je ne savais plus si c'était Rémi qui se comportait comme un dingue, ou si c'était moi qui devenait fou.
Je n'avais même pas compris qu'on était ensemble.
- En fait, c'est toi qui veut me quitter...
J'avais dit ça comme ça, parce que c'est dans mes habitudes de parler sans réfléchir, comme un con...
- Hein ?
- C'est toi Rémi, qui parle de se séparer depuis le début ! Moi je n'ai pas prononcé ce mot une seule fois !
- Mais c'est toi qui...
- Tu me fais chier !
Je pouvais entendre sa respiration s'accélérer à travers le combiné, et j'avais tellement envie de le prendre dans mes bras, de lui dire qu'on était juste cons et débiles, et que j'avais envie de le voir, et de mettre au point cette histoire d'être ensemble, d'effacer toutes les conneries que je lui avais dites, de juste le rassurer et de sentir son cœur battre, parce que ça m'avait fait du bien l'autre soir, lorsqu'on s'était embrassé et que je l'avais senti tout contre moi, vivant, et battant si fort.
Mais c'est ma fierté qui a parlé, alors j'ai juste dit,
- De toute façon, on n'a jamais dit qu'on était ensemble. On s'est embrassé c'est tout.
Il n'avait même pas répondu. J'aurais préféré entendre sa voix, qu'elle m'engueule ou qu'elle me culpabilise, mais que je puisse y ressentir quelque chose. Parce que dans ce silence il y avait trop, trop de choses que mon imagination me laissait entendre.
- Tu me fais chier... Je ne comprends pas ce qui t'arrives.
À ce moment-là, sa respiration s'est arrêté, et pendant une seconde j'ai cru qu'il avait raccroché.
- Je ne veux plus de toi. T'es comme les autres en fait...
- Rémi ? Comment ça "comme les autres" ?
- Laisse moi tranquille.
Il avait finalement raccroché.
Pendant une semaine, on ne l'avait plus vu au lycée. J'avais essayé de questionner Maxence, mais son regard me faisait sentir comme une merde.
Quand il est revenu, il ne semblait pas complètement dévasté, ou malade. Juste un peu fatigué.
Il avait passé le grillage du lycée, et moi qui épiait ce grillage tous les matins, cherchant ses cheveux bouclés au dessus de la foule, je l'avais immédiatement remarqué.
Mon regard ne devait pas être discret, car il avait de suite tourné la tête vers moi.
Ses yeux m'avaient électrifié.
Me jugeant de haut en bas un instant, puis se détournant, il était parti vers sa salle de classe.
J'avais pleuré cette nuit-là.
Et maintenant, deux mois se sont écoulés. Je met mon bonnet tout les matins, et le seul moment où l'on se voit, en dehors des rapides entrevus dans les couloirs, sont les cours de musique.
☁️
« Je suis désolé Vincent, je suis trop malade là, je vais rentrer chez moi. »
Je tapotais l'épaule de Martin.
- Prends soin de toi, hein !
Il leva son pouce en l'air, et se dirigea vers la sortie du lycée, un mouchoir au nez.
Je jetait un regard d'ensemble à la cour, il me restait encore une heure de libre avant le cours de musique.
Martin rentrant chez lui, j'étais maintenant seul, sans occupation.
Il y a quelques mois, avec Rémi, on aurait crocheté la serrure de la salle de musique pour rentrer jouer.
Et puis merde je pouvais le faire sans lui.
C'est ce que je pensais avant d'arriver dans notre couloir. La porte ouverte, une douce mélodie s'en échappait.
Assis sur une table, me tournant le dos, un bouclé jouait de la guitare, d'un fin touché paisible.
Seul le vent venait claquer les branches nues contre les fenêtres. Le ciel était gris. Et j'avais froid. Mais outre la saison, c'était surtout l'ambiance qui me procurait des frissons dans le dos.
En silence, je m'asseyais sur le palier de la porte, l'observant à demi-dissimulé.
Rémi était seul.
Les tables, toutes normalement alignées, à part celle de Rémi, qu'il avait tourné pour être dos à la porte. On aurait presque dit qu'il m'attendait. Je me faisais des illusions.
Son sac était abandonné dans un coin de la pièce, et soudainement, une tâche blanche sur le tableau noir attira mon attention. Il avait écrasé une craie.
J'aurais put rester des heures comme ça, à l'écouter jouer de la guitare, assis en tailleur par terre.
Mais il se leva, et je me plaquais contre le mur du couloir pour ne pas me faire voir.
En tendant l'oreille et j'avais presque l'impression de pouvoir voir ses gestes.
Il descendit du bureau, et marcha jusqu'à la réserve où il farfouilla un instant.
Finalement il sembla trouver son bonheur, car je l'entendit revenir dans la salle et tirer une chaise.
Il soupira, et une note se fit entendre.
Un piano.
Je passais doucement la tête dans l'encadrement de la porte, et le vit, de trois-quarts de dos, face à un clavier à roulettes.
Il s'éclaircit la gorge, et tapa quelques accords au pif, produisant des sons beaucoup moins mélodieux que ce qu'il venait de jouer à la guitare.
Je pensais qu'il était vraiment une merde en piano, et qu'il voulait juste tester, jusqu'à ce que...
« Petite sœur j'ai pas été l'grand frère modèle
J'me suis mis en danger en me disant qu'c'était mon problème
Alors qu'c'est plus important qu'ça dans ton cœur
Et que chacune de mes cicatrices peut t'faire plus mal que ta propre douleur
Mais ça, va l'expliquer à un gamin Monsieur
Un crapaud qui s'est cru prince avant le baiser offert
Fleur, t'es plus que la prunelle de mes yeux
J'veillerai à ton bonheur jusqu'à ce que je rejoigne l'enfer
J'm'en branle de ces types qui t'empêchent de penser par toi même
De tous ces fils de pute qui savent si bien briser les rêves
Mets moi dans l'moule, le cake a une drôle de tête
Essayez de me faire cuire et j'ferai exploser vos fenêtres
Aaaaaah allo allo allo, une ballade comme un appel à l'aide
Aaaaaah allo allo allo allo
Ras l'bol, un cri puissant, comme pour en perdre haleine. »
Ses doigts quittèrent le clavier, et ses lèvres se refermèrent.
« ... Woah... »
Il tourna brusquement la tête vers moi.
Merde, ouais j'étais pas censé être là.
- Désolé. C'était magnifique, Rémi.
Il se leva brusquement, et fit rouler le piano jusqu'à la réserve.
Alors qu'il revenait dans la salle et que je me relevais, il attrapa son sac, et sortit sans me lancer un regard.
- Rémi !
Je prononçais son prénom comme un appel à l'aide, c'était peut-être pour ça qu'il s'était stoppé.
- C'était magnifique.
Dehors le vent claquait toujours, mais ma peau avait calmé ses frissons.
- Merci.
Et il s'enfuit du couloir.
Il avait été comme une vision.
J'avais cette étrange impression de m'être endormi.
Je rentrais dans la salle de musique, et me dirigeai vers le tableau. Un chiffon trainait sur une table, je l'attrapa et essuyais la marque de craie écrasée.
Il en restait des résidus par terre mais ça ne faisait rien.
Quand, moins d'une heure après, le cours de musique commença, Rémi était absent, et les résidus nettoyés.
À suivre...
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