֍ Pour prendre sa place (5)
Vérités et Baiser
Le cercle était enfin bouclé. Deux ans après, ils se faisaient face. Camille, dans son manteau de nuit, le couteau dans la main. Elle, portant l'apparence de Naelle, parfaite jusque dans la plaie au niveau de son coeur.
— Deux ans.
Sa voix même était celle de l'amour de Camille. Ironie du sort, pour venger sa Naelle, il devait la tuer. Coïncidence qui n'en était pas une, parce que le cercle est fait de coïncidences. Jeu de répétitions depuis l'aube des temps et jusqu'au dernier jour.
— Tu n'as toujours pas réussi à me tuer après deux ans.
Son sourire faisait mal. Pourtant, Camille pensait avoir abandonné tout sentiment. Mais le sourire de Naelle était désormais la seule arme qui pouvait le toucher.
— Tu ne t'approches pas ?
Sa voix à lui était moins calme qu'il ne l'aurait voulue. Mais Elle aussi était moins confiante que d'habitude. Preuve en était qu'Elle maintenait une distance de sécurité alors qu'Elle s'amusait généralement à le toucher pour lui prouver qu'Elle n'avait pas peur de lui.
— Toi aussi tu le sais n'est-ce pas ? Tout se finit aujourd'hui.
Etrangement, Elle paraissait triste. Camille L'avait déjà vue joueuse, énervée, pensive, mais jamais triste. Avait-Elle peur de mourir ? Les Dieux ont-ils peur de mourir ?
— Les Dieux ont-ils peur de mourir ?
Encore un sourire. Sourire mélancolique, cette fois-ci. Un peu moqueur, aussi. Cela arrangea Camille. Naelle n'avait pas de sourire triste. Cela lui rappela que c'était Elle devant lui, et pas sa fiancée.
— Camille, Camille. Si je regrette par avance la mort de ce soir, ça ne sera pas la mienne.
Encore et toujours son assurance. Elle ne devrait plus heurter Camille, elle ne devrait plus lui faire peur. Mais il se sentit trop petit dans son grand manteau, il se sentit comme un gamin à qui on avait donné un couteau. Le sang sur ses mains lui donna envie de vomir. En face de lui, Elle semblait plus forte que jamais. Et toujours Son aura engloutissait la lumière.
— Tu regretterais donc ma mort ?
Camille se rendit compte qu'Elle était la personne - mais était-Elle une personne ? - qu'il avait le plus côtoyée ces deux dernières années. Au fur et à mesure qu'il s'éloignait des humains, il se rapprochait de cette Déesse à l'apparence de sa Naelle. Et cette nuit, la dernière de toutes, la boucle qui recommence, il réalisa que sans Ses fréquentes apparitions pour venir le narguer, il aurait abandonné depuis bien longtemps. Il ne parvenait plus à maintenir ensemble les éclats de son cœur et avait laissé Son obscurité le faire à sa place. Elle était devenue son nouveau centre de gravité. Quand Lui avait-il donné tant de pouvoir ?
— Camille, les Dieux n'ont pas peur de mourir, mais nous souffrons quand même de la solitude. Tu m'as tenu compagnie pendant deux ans et je t'en suis reconnaissante. Mais il y a bien longtemps que j'aurais dû t'arrêter. Tu as amassé trop de pouvoir à cause de ma faiblesse.
Elle aurait pu le tuer deux ans auparavant, lorsqu'Elle avait compris le pouvoir de ses yeux. Elle aurait pu le tuer tant de fois depuis. Mais Elle l'avait laissé amasser des ténèbres et du pouvoir afin de La déloger de sa place. Un peu de la même manière que Camille se refusait à attaquer par surprise. Pour avoir un combat à mener. Pour ne pas sombrer dans la facilité. Pour éviter la solitude.
En fin de compte, Elle avait bien une faiblesse. Une faiblesse si humaine que Camille faillit en rire. Elle avait besoin de quelqu'un à qui parler, de quelqu'un à qui se montrer, de quelqu'un avec qui partager. Sa faiblesse, ce n'était pas la puissance que Camille obtenait lors de ses meurtres. C'était lui-même. Et s'il l'avait vu plus tôt, peut-être aurait-il pu L'arrêter. Mais Camille comprit au même moment que ses efforts avaient été inutiles. Qu'il avait eu beau se draper dans les ténèbres, Elle serait toujours plus forte. Et que cette nuit, deux ans après, n'était pas la nuit de sa vengeance : c'était celle de sa mort.
— Au revoir, Camille. Maintenant, tu m'appartiendras pour toujours.
Le couteau, le fameux couteau, encore chantant du sang de Naelle et de son âme volée, mit fin à ses jours au moment même où Ses lèvres s'écrasèrent sur les siennes. Elle recueillit son dernier soupir, ferma délicatement ses paupières. Puis le vent chassa Son image comme il chasserait de la poussière, la poussière d'un cercle qui n'a pas été brisé, la poussière d'un rêve qui n'a pas été réalisé, la poussière d'un cœur solitaire qui n'a pas été comblé. Et la dernière chose qui disparut dans le froid au-dessus de l'étang, ce fut la larme emportant le souvenir de Camille.
La glace céda, et Camille s'enfonça dans les flots noirs. Fantôme de son vivant, spectre déjà à l'heure de sa mort. Ange des ténèbres qui tenta de défier un Dieu. Mais peu importent les efforts, aucun humain ne peut être plus sombre qu'Elle.
***
Joyeux Halloween !!
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