9. L'Empire du Temps

« Si tu as une idée, me souffle Gorzül, ce serait sympa de l'écrire, ne serait-ce que pour vos lecteurs. »

À chaque fois que j'énonce une vérité inédite, l'aiguille avance d'un cran. Un compte à rebours, avant ce que Z... essaie de faire. Or, cette dernière proposition n'était pas une vérité complètement inédite, puisque déjà en partie diffusée, ne serait-ce qu'à travers les imparfaits du subjonctif déjà présents dans mes écrits. Cependant, cela restait une vérité non formulée ici, donc capable d'affaiblir les pouvoirs que lui octroie le tag.

Autour de nous, la densité lumineuse a déjà diminué de plus de la moitié. Soit un total de quinze faits à énoncer, avant qu'il n'arrive à épuisement de ce pouvoir. L'horloge compte douze cadrans, donc il devait espérer arriver à la fin de son compte à rebours avant la fin du tag. Nous sommes au huitième cadran, mais j'ai énoncé neuf faits. Il me suffit donc encore de trois exemples similaires pour échapper à son emprise.

« Hum... sinon, mes idées de titre me viennent souvent après avoir écrit mes livres. Je mets alors des titres provisoires, comme 13%, Les nouveaux pions sur l'échiquier, ou Échec et mat, tous remplacés depuis.

Neuvième cadran, et maintenant dix faits. Il faut aussi donner le change. Z... m'invite à poursuivre, mais je me doute qu'il se doute de quelque chose. Peut-être même se doute-t-il que je me doute qu'il se doute de quelque chose. L'acuité de ce personnage semble s'affiner au fur et à mesure, ce qui est un peu inquiétant, il faut l'admettre.

« Je n'ai pas complètement abandonné ces idées, cependant, puisque 13% a finalement été relégué en titre de chapitre, tandis que l'image de l'échiquier restera très présente au cours de ces tomes. Ne serait-ce qu'avec les couvertures, déjà... »

L'aiguille ne bronche pas. La lumière qui nous encercle se dissipe un peu. Onze faits. J'essaie de poursuivre, mais suis aussitôt interrompu par Z...

« Parlons d'autre chose, veux-tu ? De Rodolphe-Albert, par exemple ?

— Heu... il fut un temps où je n'aimais pas les betteraves, mais aujourd'hui révolu. Je ne suis même plus sûr que cela ait eu un rapport avec sa création. »

Dixième cadran. Douze faits. Je n'ai pas droit à l'erreur.

« Je déteste le mensonge, il ne me semble pas t'avoir menti depuis le début de l'Antibiographie, d'ailleurs, et je peux te confirmer que tout ce que je te dirai jusqu'à la fin de ce tag sera vrai. »

Z... me dévisage, incrédule, tandis que l'aiguille s'arrête sur l'avant-dernier cadran. Il se doute certainement de quelque chose, mais ne voit pas encore là où je veux en venir. J'enchaine aussitôt.

« Concernant la ponctuation, j'aime aussi beaucoup les points virgules, donc j'en place de temps en temps, enfin, lorsqu'ils sont appropriés. »

Quatorze faits. Le dernier sera décisif. Avant que je ne puisse ajouter le moindre mot, Z... se jette sur Gorzül pour l'immobiliser de chaînes de lumière.

« Ne t'imagine pas que je n'ai pas compris ton manège ! J'ai compris que tu as compris... »

Mais plus important, j'ai déjà compris qu'il a compris que j'ai compris.

« C'est le dernier fait, poursuit Z... Si ta réponse n'est pas satisfaisante, tu pourras te trouver un autre assistant ! Il mourra avant la fin de ce tag ! »

Gorzül me jette un regard apitoyant. Z... essaie de jouer sur ma corde sensible... ou sur ma flemme de me trouver un nouvel assistant.

Dans tous les cas, je ne peux quand même pas le laisser faire. D'autant que Gorzül fait quand même un bon travail, il faut le reconnaître...

« J'espère que tu n'es pas en train de te dire qu'il vaut mieux le laisser me sacrifier pour sauver ce bouquin. » commente mon assistant.

Tiens, je pensais qu'il serait du genre à me demander de ne pas écouter Z..., sans considération pour sa propre existence. En même temps, de telles scènes sont d'un cliché...

« Je ne dis pas qu'il ne faudrait pas arrêter Z..., mais j'espère surtout que tu as une bonne idée. Parce que mourir, ça reste quand même, euh... pas cool, s'explique-t-il.

— J'attends toujours, reprend Z... La vie de ton assistant, ou bien... ?

— J'ai trois points à faire valoir : un, je te donnerai aucune réponse tant que tu n'auras pas relâché mon assistant ; deux, je ne te donnerai toujours aucune réponse tant que tu ne m'auras pas expliqué précisément ce que tu cherches à faire ; trois, je certifie que mon dernier fait portera sur une vérité que tu n'aurais pas pu deviner. »

Z... me contemple, indécis. Comme je l'ai précisé plus tôt, toutes mes sentences sont désormais la vérité pure. Il n'a plus le choix. S'il veut son dernier fait, il doit relâcher Gorzül, puis expliquer ce qu'il se passe. Je le contrains même à dire la vérité, car sinon, je ne pourrai pas énoncer le dernier fait.

Mon assistant me rejoint finalement, un peu déboussolé.

« Arrête avec ce sourire béat... tu es flippant. » me murmure-t-il.

Il est vraiment très déboussolé, je tiens à préciser. Il ne sait même plus ce qu'il dit.

Z... se dresse face à nous. L'horloge inflexible attend son heure, l'aiguille arrêtée dans l'avant-dernier cadran.

« Aujourd'hui, je cesse d'être un méchant secondaire de catégorie B, déclame Z... À chaque fois que tu énonces un fait, l'horloge absorbe une part de ton pouvoir... de ton pouvoir d'auteur. Les mots sont la plus grande arme qui soit, mais encore faut-il les comprendre, encore faut-il savoir d'où ils viennent. L'imagination ne nait pas de rien, il faut des graines, des déclencheurs, des événements infimes qui ensuite se développent avant de créer les plus grandes épopées. Des grains de poussière, qui s'assemblent dans une folle cosmogonie pour former des univers sans fin. »

Superbe tirade. Gorzül reste admiratif. J'attrape mon téléphone et commence à pianoter.

« Lorsque l'aiguille atteindra le douzième cadran, mon pouvoir rejoindra le tien. Je deviendrai l'incarnation même du Temps, l'ennemi que nul ne peut défaire. Je serai un dieu, je serai ton dieu ; même toi, tu ne pourras plus rien contre moi. »

Au départ silhouette sans nom, Z... s'apprête à réaliser son apothéose. Des ailes vertes, roses et bleues émergent dans son dos. Il emplit tout l'espace-temps pour nous surplomber de sa toute-puissance. L'horloge le rejoint, comme pour faire partie de lui. Les douze coups fatidiques sont imminents.

« Le dernier fait. Maintenant ! »

Je termine d'écrire pour redresser la tête dans sa direction.

« Voici mon dernier fait. Ton nom.

— Mon... nom ?

— Je t'ai créé sans nom par manque d'inspiration et de temps. Aujourd'hui, le temps est venu de t'en donner un. »

Z... esquisse un sourire.

« Enfin... alors vous pourrez le craindre, vous pourrez trembler, mortels, face à ma toute-puissance.

— Mais ce nom ne viendra pas de moi.

— Hein ?

— Je n'ai pas d'idée, de toute façon, alors je lance justement ce concours sur Wattpad. »

Je brandis mon téléphone.

« Les quinze premières personnes à me donner une proposition de nom verront cette proposition retenue et soumise à vote. Une proposition par personne.

— Et accessoirement, elles prennent le risque d'être taguées, aussi, commente Gorzül. C'est machiavélique...

— Je ne pouvais pas non plus les citer moi-même. Rien dans cette décision ne viendra de moi. »

Quinzième fait. L'aiguille reste bloquée sur l'avant-dernier cadran. La scène se déforme, se brise.

« Noooooon ! »

Ah, et Z... reprend ses tirades clichées.

« Comme le dit ChristopheNolim, il faut aussi savoir se défaire de l'Empire du Temps.

— Râmen. »

Les anneaux de lumière se dissipent, la réalité reprend le dessus. Z... abandonne sa forme quasi-divine pour reprendre l'apparence d'un humanoïde dissimulé dans une grande cape bleu sombre.

Ses doigts restent crispés sur une montre à gousset, l'aiguille arrêtée sur la onzième heure. Je me rapproche de lui.

« Tu auras un nom, Z..., tu cesseras de n'être qu'un méchant de seconde zone. Avec ce nom viendra aussi une histoire, un caractère, une personnalité.

— Je... j'aurai un vrai nom. »

Z... nous adresse un dernier regard avant de disparaître. Gorzül s'approche de moi.

« Hum, au vu du nombre de lecteurs, cela risque de prendre un certain temps, par contre, avant d'obtenir quinze propositions, me fait-il remarquer. »

Je hausse les épaules.

« C'est un voyageur temporel, donc pour lui, ce sera instantané... et de notre côté, ça nous laissera un peu de temps pour souffler, aussi. »

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