4. Manifestation !
19 décembre 2016
« Prenez place, je vous prie. »
Mon interlocuteur s'exécute, et attrape une chaise brinquebalante pour faire face au bureau improvisé. Malgré un effort d'organisation mesuré, les divers papiers n'en font qu'à leur tête et continuent d'explorer la pièce dans le plus parfait désordre.
Pour faire bonne contenance, j'attrape une feuille, au hasard. Une recette de cuisine à base de betterave, que ma spectaculaire réussite de la dernière fois me dissuade de recommencer. Je soupire. M'a-t-il seulement envoyé une lettre ? Non seulement je ne m'en souviens pas, mais l'entropie actuelle me dissuaderait de la retrouver. Autrement dit, c'est le bordel.
« Hum, donc, vous êtes... ?
— Gorzül Agour, je viens postuler pour l'annonce.
— Ah oui l'annonce... »
Je croise mes mains, et dévisage l'intéressé. Un peu plus grand que la moyenne, la peau très pâle, presque cadavérique, ses vêtements se parent d'un noir absolu. Sur son visage osseux se distinguent deux canines saillantes, tandis que ses yeux brillent d'un éclat incarnat. Il m'apparait aussitôt comme une personne de confiance.
« Comme vous le savez donc, je suis à la recherche d'un assistant, pour m'aider dans mes activités. Rédaction ou réécritures de textes, réponses aux commentaires, publicité, critiques, vos attributions peuvent être diverses. Et puis, vous me permettrez aussi d'écrire des dialogues, qui rendront certains passages plus vivants, et m'empêcheront de parler tout seul, ou avec ma lampe de bureau... je dois avouer qu'elle est assez peu causante. »
La lampe en question continue de m'ignorer avec obstination, droite, fière, immobile, d'une froideur métallique.
« Vous...vous n'avez pas déjà un majordome pour ça ?
— Hein ? Ah oui, c'est Gruk. Enfin, pour ce qui est de rendre les dialogues vivants, je rappelle que c'est un zombie. »
Le dénommé Gruk passe non loin de la pièce, un plateau vide à la main, de sa démarche hésitante et traînante.Son costume de majordome déchiré parait aussi ancien que son visage putréfié.
« Grrruuuk...
— Il est très sympathique, mais à part dire "Gruk", il ne sait pas faire grand-chose. Il s'est mis à mon service pour une bouchée de pain. Enfin, je crois un jour m'être débarrassé d'un vieux croûton plus ou moins rassis, et depuis il n'a cessé de me suivre.
— Gruk. »
— Mais revenons-en plutôt à vous.
— Eh bien, pour commencer, je suis un vampire-garou, ce qui vous permettra d'apposer l'hashtag "vampire" à cette œuvre, mais aussi "loup-garou", puisque je me transforme les soirs de pleine lune.
— Hum, sans doute. Encore que je ne suis pas sûr qu'il s'agisse ou non d'une bonne chose...
— Heu, je sais aussi faire d'excellentes tartes aux pommes.
— Vous êtes embauché. »
Gorzül écarquille les yeux, tandis que je poursuis.
« N'allez certainement pas croire que c'est parce que personne d'autre ne s'est présenté depuis des semaines, et que ma demeure est en état de siège.
— Comment ça en état de siège ?
— Mais si, regardez. »
Je désigne la fenêtre. Dehors, un brocoli lance des intempestifs "Yoho", rendus clichés par le bandeau de pirate qu'il arbore. Plus loin, une autre silhouette attend sous la pluie avec obstination, masquée par un grand parapluie sombre.
« Je soupçonne ce qu'il reste de l'armée de Rodolphe-Albert de m'avoir retrouvé. Ils préparent certainement quelque chose.
— En même temps, Rodolphe-Albert savait déjà où vous habitiez, et il a été vaincu, en plus.
— Oui, euh, cela ne l'empêche certainement pas de fomenter dans l'ombre son futur retour. Ajoutons à cela l'Organisation Secrète des Couvertures Moches qui m'ont mis sous surveillance, je le sais.
— Ouais, euh...
— Tenez, prenez ça, au cas où, et n'oubliez pas que nous faisons un métier dangereux. »
Je lui remets aussitôt un lance-patate entre les mains, tandis qu'il continue de me dévisager avec incrédulité. Comme pour confirmer mes dires, un tintamarre assourdissant résonne depuis la rue. Je me porte aussitôt à la fenêtre, pour constater une foule de fans, pancartes à la main. Fataliste, je porte la main à ma tête.
« Je savais que ce jour finirait par arriver, qu'allons-nous faire Gorzül ?
— Euh, il n'y a qu'une, euh... personne ? à brandir une pancarte.
— Ça fait une foule d'une personne, alors. Et puis, il y a toujours le type sous son parapluie.
— Pourtant, il a cessé de pleuvoir.
— Et là, le brocoli... ah non, il s'en va.
— Gloire au tout puissant Dieu Carotte !
— Hum, ce légume avait l'air encore plus bizarre que les autres. »
Un nouveau tintamarre coupe court à la conversation. Non contente d'agiter une pancarte, la manifestante parvient simultanément à jouer du tambour et du clairon.
« Pouet ! »
Et du klaxon aussi.
La scène parait d'autant plus incroyable qu'il s'agit en apparence d'une chenille verte géante, donc dépourvue de bras.
« Hum, vous êtes sûr qu'elle est là pour vous ? Vérifie Gorzül.
— On veut les chapitres suivants des Voyageurs, ouuaiiis !
— C'est bien pour moi.
— Permettez-moi de vous faire remarquer que vos lecteurs sont bizarres, reprend le vampire-garou. Enfin, si tant est que le pluriel est approprié. »
Je pose les mains sur les épaules de mon nouvel assistant.
« Au péril de ma vie, je vais tenter une sortie. Pendant ce temps, essaie d'écrire le plus de chapitres possibles.
— Euh, d'accord. »
N'écoutant que mon courage, je franchis la porte pour croiser un petit homme enturbanné à la peau mate.
« Bonjour, je suis un marchand de tapis. Souhaitez-vous découvrir ma collection ?
— Euh, je suis un peu occupé, tout de suite. »
Il suit mon regard et comprend rapidement le problème.
« Je suis aussi un excellent négociateur. Si je fais partir votre fan, m'achèterez-vous des tapis ?
— Euh, d'accord. »
Mon regard cherche de nouveau le vendeur pour ne trouver qu'un chameau en pleine transaction avec la fauteuse de troubles. Au terme d'une âpre discussion, elle lui achète finalement un superbe tapis brodé main 100% naturel, et son départ signe aussitôt la fin de la manifestation.
« Gorzül, je l'avais oublié. »
Je me précipite aussitôt à l'intérieur pour retrouver le vampire-garou en train d'écrire.
« C'est terminé, nous sommes sains et saufs !
— Ah, euh, quel soulagement. »
Il ne semble pourtant pas convaincu. Le choc, très certainement. Je me retourne tandis que le chameau pénètre dans la pièce, plusieurs tapis sur le dos.
« Mais au fait, vous savez vous transformer en chameau, vous ?
— J'ai appris cette technique au cours d'un pèlerinage dans un temple de moines bhoutanais. Je pourrais éventuellement vous en raconter un peu plus, autour d'une tasse de thé. Mais en attendant, n'oubliez pas que vous devez déjà m'acheter des tapis.
— Ah, euh, oui, c'est vrai.
— Heu, et mes chapitres, demande Gorzül, qu'est-ce que j'en fais, finalement ? »
Je saisis la feuille et la parcourt du regard.
CHAPITRE XXI :
Césape mange une pomme
CHAPITRE XXII :
Césape mange une poire
CHAPITRE XXIII :
Césape dort
CHAPITRE XXIV :
Césape ronfle
CHAPITRE XXV :
Césape se réveille
CHAPITRE XXVI :
Césape boit un verre d'eau
CHAPITRE XXVII :
Césape vole une poire
CHAPITRE XXVIII :
Césape mange la poire
CHAPITRE XXIX :
Césape plante des choux
CHAPITRE XXX :
Césape s'ennuie
CHAPITRE XXXI :
Césape joue du tambour
CHAPITRE XXXII :
Césape dessine son portrait
CHAPITRE XXXIII :
Césape laisse tomber le dessin
CHAPITRE XXXIV :
Césape chante
CHAPITRE XXXV :
Césape danse
CHAPITRE XXXVI :
Césape fait une sieste
CHAPITRE XXXVII :
Césape boit un jus de fruit
CHAPITRE XXXVIII :
Césape écrit un recueil de blagues
CHAPITRE XXXIX :
Césape retrouve un vieux sandwich
CHAPITRE XL :
Césape goûte le vieux sandwich
CHAPITRE XLI :
Césape jette le vieux sandwich
CHAPITRE XLII :
Césape chantonne
CHAPITRE XLIII :
Césape construit une statue de lui en argile
CHAPITRE XLIV
Césape abandonne la poterie
CHAPITRE XLV :
Césape cuisine une tarte aux pommes
CHAPITRE XLVI :
Césape mange sa tarte aux pommes
CHAPITRE XLVII :
Césape est content
CHAPITRE XLVIII :
Césape sauve l'Univers
CHAPITRE XLIX :
Césape reçoit des lettres de fans
CHAPITRE L :
Césape a faim
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