Dissimulé derrière un mur, je jette un coup d'œil. Les paramilitaires ont laissé place à des légumes armés de lances-patates.

« Tiens, ça faisait longtemps.

— Oui, c'est terrible, commente AleckLPark, ils essaient de prendre le contrôle de l'Organisation.

— Je ne sais toujours pas ce qui se passe ni ce que je fais encore ici, mais si vous le dites, fait remarquer justine334. Tiens, il y a un dragon dehors.

— Terrible, terrible, en même temps, c'est déjà une société secrète aux objectifs flous et probablement inavouables.

— Mais ils veulent la refonder en l'Ordre des Cornichons Malaisiens, c'est inadmissible !

— Hum, sans doute. »

Je me tourne vers elles. AleckLPark diffuse maintenant une comédie romantique, tandis que justine334 essaie de faire fonctionner un distributeur de boissons.

« J'ai un plan mûrement réfléchi. Ils ne s'attendent certainement pas à nous voir ici. Alors, on les distrait, on fonce, on s'empare d'un lance-patate, et on rentre dans le tas. C'est infaillible. »

***

Un jet de flammes maintient les hélicoptères à distance. Le dragon, Zogothar, poursuit son vol, tout autour de l'impressionnant bâtiment. Juché sur son dos, Gorzül, esquisse un sourire. Voici enfin arrivé son retour triomphant dans l'Antibiographie, tant attendu par ses innombrables fans.

Enfin, il espère.

Et il n'est pas seul. Au sol, une armée de zombies mène déjà l'assaut du bâtiment, insensible aux armes à feu qui se déchainent.

Enfin, une armée d'un zombie, le majordome Gruk.

« Gruuuuk. »

Incapables de l'arrêter, les paramilitaires se replient à l'intérieur du bâtiment, terrifiés. Rien ne peut arrêter le mort-vivant, qui...

Bunk.

Gruk se cogne contre la porte désormais fermée.

« Gruk. »

Bunk.

Gruk se cogne une nouvelle fois contre la porte fermée.

Bunk.

« Gruk. »

Bunk.

« Hum, c'est un peu moins efficace que ce que j'espérais. » reconnaît Gorzül.

Zogothar esquive un tir de missile et manque de faire tomber le vampire-garou. De nouveaux hélicoptères les prennent en chasse.

« Ça risque d'être difficile de s'approcher, mais j'ai un plan. »

L'assistant se jette dans le vide pour se transformer en chauve-souris.

***

« Oh, regardez par la fenêtre, un dragon ! »

Les légumes ont à peine le temps de réagir qu'un chameau leur fonce droit dessus. Je percute un navet, essaie d'attraper son lance-patate, me rend compte que la forme de camélidé se prête relativement mal à ladite opération, me retransforme alors sous ma véritable forme, attrape enfin le lance-patate...

Un chou-fleur me fait face, son arme braquée sur moi. Des éclairs parcourent la pièce, puis le légume s'effondre, hors d'état de nuire. Je tourne la tête vers AleckLPark, occupée à électrifier d'autres adversaires, puis me redresse, et fais aussitôt feu. Une aubergine vindicative se retrouve à son tour propulsée au sol, de même qu'un potiron hébété.

Les éclairs s'estompent, seul subsiste un crépitement résiduel. Les derniers légumes s'effondrent au sol.

« Bon, par contre, je ne pourrai pas refaire ça avant un certain temps, prévient AleckLPark. Et il va me falloir un certain temps de recharge, salut. »

La télévision s'éteint. Mon regard s'arrête sur une porte, qui nous fait face.

Réunion importante des grands chefs de l'OCM. Ne pas déranger.

« Heuu, et moi, je vais rester ici, pour monter la garde, au cas où. » propose justine334.

J'attrape un second lance-patates et me dirige vers la porte d'un pas déterminé avant d'y porter un coup de pied magistral.

« Ouille. »

Bon, comme essayer de faire comme dans un film d'action est apparemment une mauvaise idée, je me contente d'abaisser la poignée et d'ouvrir la porte. Même pas verrouillée, d'ailleurs, j'aurais dû commencer par là.

J'entre donc dans la pièce, triomphal, un lance-patate dans chaque main.

« Que plus personne ne bouge ! »

Quelques cornichons attablés me dévisagent, surpris. Sur une estrade, un rutabaga interrompt sa présentation.

« Ainsi, nous y sommes. »

Une silhouette se lève dans un recoin de la pièce, encapuchonnée de vert.

« Hé, je vous reconnais, vous ! Vous êtes la sorcière du chapitre 13...

— Perspicace, à ce que je vois.

— En même temps, je suis censé être l'Auteur, la moindre des choses est au moins de me souvenir de mes personnages...

Elle rabaisse son capuchon pour laisser apparaitre un visage au teint vert clair, deux pupilles dorées, ainsi qu'une chevelure de serpents sifflants.

« Je me prénomme Medusa et, en réalité, je ne suis sous les ordres que d'une seule personne... le fondateur et véritable chef de cette Organisation, pas ce groupe de cornichons opportunistes.

— Et... ce chef, qui est-il ? »

Elle m'adresse un sourire glacial.

« Quelqu'un que vous connaissez très bien. Je pourrais même dire la personne que vous connaissez le mieux.

— Et moi, vous m'oubliez ? l'interrompt le rutabaga. Je suis Grymm_.

— Grymm_ ?

Le rutabaga se métamorphose pour prendre la forme d'un lapin nain, aussi connu sous le nom de lapain.

« Bien sûr, c'est moi, Grymm_, le chaton.

— Euuuh. Tu es sûre ?

— Miaou.

— On va dire que c'est une preuve irréfutable, alors. »

Je me tourne de nouveau vers Medusa.

« Si vous m'expliquiez un peu plus ce qui se passe, ici ?

— C'est très simple. Les cornichons suivent la volonté de Rodolphe-Albert et ont voulu forcer l'Organisation à vous capturer, lorsqu'ils ont commencé à la contrôler.

— Parce que ce n'était pas déjà l'objectif de l'Organisation ?

— Non, vous étiez seulement sous surveillance.

— Pourquoi ?

— Parce que vous êtes quelqu'un... d'important, on peut dire. »

Nouveau sourire glacial. Grymm_ se décide finalement à intervenir.

« Je me suis fait passer pour un rutabaga afin d'infiltrer les rangs des légumes. L'idée de mettre une télévision dans la cellule venait de moi. »

Elle fait défiler son powerpoint. Une prétendue expérience afin de transformer les humains en légumes par le biais de ces dangereux appareils.

« Il ne s'agissait bien sûr pas de n'importe quelle télévision, mais d'AleckLPark. Elle devait t'aider à t'échapper.

— Et les codes, que je pouvais deviner si facilement, c'était aussi à cause de vous ?

— Nous n'avions pas ce pouvoir, reprend Medusa. Ces codes de sécurité avaient été enregistrés par notre chef et les cornichons se sont contentés de les conserver. Après tout, ce sont... des cornichons.

— Hé, c'est méchant, ça !

— Traîtresses ! »

D'un sifflement menaçant, les serpents de Medusa intiment les cornichons au silence. Grymm_ poursuit ses explications :

« J'ai pris contact avec Gorzül afin de lui transmettre l'emplacement du bâtiment. Il a pu faire diversion dehors, pendant que tu t'échappais. »

Sur un mur, un écran de sécurité présente l'armée d'un mort-vivant en train de prendre d'assaut la porte d'entrée de la tour.

Bunk.

« Gruk. »

Bunk.

« Gruk. »

Bunk.

« Gruk. »

Bunk.

« Hé, mais c'est mon majordome zombie, Gruk.

— Zogothar est aussi présent. »

Le dragon, à l'extérieur. Tout faisait sens, désormais.

En fait, non, ce n'était pas clair du tout.

« Pourquoi m'avoir aidé ? Qui est ce mystérieux chef, et qu'est-ce qu'il me veut ? Comment me connait-il aussi bien, d'ailleurs ? C'est à force de m'espionner ? Et, d'abord, que font Grymm_ et AleckLPark dans cette Organisation ? Vous les avez obligées à vous rejoindre ?

— Obligées ? Certainement pas ! s'exclame Grymm_. Comme beaucoup d'autres, nous faisons partie de l'Organisation.

— Heeein ?

— Chaque chose en son temps. » reprend Medusa.

Elle regarde sa montre.

« Les légumes ne vont pas se laisser faire aussi facilement, ils ont bien réussi à prendre en partie le contrôle de l'Organisation. Dans moins d'une minute, leur commando va débarquer ici.

— Comment vous savez... ?

— Je suis voyante, je rappelle, même si je débute encore, et j'ai surtout accès à pas mal d'informations.

— Gnéhéhé, nous sommes partout, menace un cornichon. Vous ne pourrez pas tous nous avoir.

— Ils ont des salles dans tout l'étage, et font des réunions pour planifier des réunions, se demander s'ils ont fait les réunions en question, refaire les réunions, se rappeler ce qu'ils ont fait pendant leur réunion, penser à prévoir des réunions pour décider ce qu'ils feront aux prochaines réunions et j'en passe. J'ai arrêté de compter depuis combien de fois Grymm_ leur fait exactement la même présentation.

— C'est un peu fatiguant à la longue, d'ailleurs, reconnait-elle.

— De vrais cornichons, commente Medusa. Mais, aujourd'hui, c'est terminé, nous reprenons l'Organisation. »

Elle s'approche d'une interface électrique.

« Non, ne faites pas ça, vous n'avez pas le droit de toucher à l'inhibiteur.

— Je vais me gêner, tiens. Vous croyez que je vais vous laisser plus longtemps m'empêcher d'utiliser mes pouvoirs ? »

J'interroge Grymm_ du regard, mais le lapain, pardon, le chaton, ne semble pas s'émouvoir outre mesure de la situation. Medusa abaisse un levier, esquisse un sourire de victoire. Une lueur vert émeraude émane de ses mains écailleuses.

« Enfin... Robert !

— Me voici. »

L'huître-ninja rentre dans la pièce et croise mon regard.

« J'ai un nouveau contrat, m'explique-t-il, je n'allais quand même pas refuser une fiole de venin. »