15. Clash on the Big Bridge


J'écarquille les yeux. Me voici désormais sur un grand pont de pierre, suspendu entre les nuages.

« Tu es arrivé dans un monde imaginaire, explique AleckLPark, inspiré de... heu, tes sources d'inspiration, justement.

— Ce pont me dit quelque chose... mais c'est un jeu-vidéo, ça, quel est le rapport avec les livres ? Et puis, d'abord, où es-tu ?

— Heu, je n'ai pas vraiment de raison d'apparaître physiquement, donc... »

Une musique se fait entendre. Le message est clair. J'attrape l'épée, puis porte mon regard de l'autre côté du pont. Déjà, une silhouette se découpe dans la pénombre, toute de rouge vêtue, sa cape agitée par un vent glacial. Un épéiste légendaire, le grand, l'incomparable...

« Yo, je suis Gigamèche, le duelliste explosif. Toute ressemblance avec un personnage existant ou ayant existé n'est peut-être pas entièrement fortuite. »

Je tourne un regard incrédule vers AleckLPark. Enfin, j'essaie, mais vu qu'elle n'est pas physiquement présente, la tâche s'avère plutôt compliquée ...

« Et voici mon fidèle destrier et ami, Zenkidu. »

Il désigne du bras un tigre ailé. Je me cogne le visage du plat de la main et commence à comprendre pourquoi AleckLPark a choisi de ne pas apparaître. A-t-elle choisi de me troller ou ne maîtrise-t-elle juste pas du tout ce qu'elle fait ?

Je me demande quelle hypothèse est la plus inquiétante, d'ailleurs.

« Yo, c'est une bien belle épée que vous avez là. J'aimerais que nous croisassions le fer afin de déterminer qui de nous deux mérite d'en être le propriétaire. »

Bon, un personnage qui utilise des imparfaits du subjonctif ne peut pas être entièrement raté. Je me décide à lui répondre, mais il se jette aussitôt sur moi, deux épées à la main.

« Eh, je n'ai pas dit que j'acceptais !

— Cela fait longtemps que je n'avais pas eu l'occasion d'un tel duel, aussi je vous remercie de bien vouloir y prendre part. »

Une lame siffle près de moi. Je dois me défendre, je n'ai plus le choix. Gigamèche tourne dans tous les sens en agitant n'importe comment ses armes tout autour de lui.

Je fais pareil.

« Mouhahaha, quel duel épique ! »

Nos armes continuent de se frôler les unes les autres sans même parvenir à se rencontrer. Gigamèche se met à tournoyer sur lui-même.

« Technique secrète de la toupie infernale ! »

Bah, il tourne sur lui-même, en fait. Puis il arrête, satisfait, essaie de retrouver son équilibre, et pointe l'une de ses armes plus ou moins dans ma direction.

« Vous formez un bien grand adversaire. Aucun de ceux que j'ai affronté n'a réussi à me tenir tête aussi longtemps. Mais, durant toutes ces années, je suis resté invaincu, le plus grand duelliste de tous les temps.

— Euh, vous avez affronté beaucoup de personnes, jusqu'ici ?

— Vous êtes la première, pourquoi ? »

Il porte la main à son dos et en retire une nouvelle arme.

« Comme vous êtes apparemment quelqu'un d'expérimenté, je vais vous faire l'honneur de mes lames les plus puissantes.

— Euh, ce n'est pas nécessaire, vraiment. »

Il s'avance vers moi, avant de se prendre le pied sur un caillou et de tomber à terre.

« Euh, ça va ? »

Il se relève aussitôt.

« Rien ne peut arrêter l'inexorable Gigamèche ! Pas même le plus terrifiant des cailloux ! »

Il agite ses armes face à moi.

« Woosh, woosh, woosh, admirez donc ma posture ultime ! Le résultat d'un entrainement implacable !

— Euh, sans doute.

— À votre tour, montrez-moi donc ce dont vous êtes capable, puissant guerrier ! »

J'essaie de faire comme dans un film quelconque, mais, à mon tour, j'agite mon arme n'importe comment.

« Excellent, excellent, reprend Gigamèche. Rien de tel qu'un adversaire à sa hauteur. »

Pour la première fois, les trajectoires erratiques et aléatoires de nos armes les font se rencontrer. Elles rebondissent l'une sur l'autre, je suis entraîné en arrière, tandis que Gigamèche perd l'équilibre.

« Votre défense est admirable, mais il en faudra plus pour me vaincre. » reprend-t-il.

Bon, à ce rythme, et au vu de nos niveaux sensiblement équivalents, le combat risque encore de durer quelques heures, si ce n'est plusieurs journées... Je pourrais peut-être m'en tirer à l'usure, mais aucun lecteur n'aurait le courage d'aller jusqu'au bout, à moins peut-être de faire une ellipse.

Je ramasse le carnet, puis me rapproche du générateur d'improbabilité. Gigamèche revient vers moi, prêt à en finir. Ses armes sifflent tout autour de moi, sans m'atteindre. Je riposte aussitôt. Mon épée siffle à travers l'air, sans l'atteindre.

Nous continuons de nous agiter en tous sens sans parvenir à ne serait-ce qu'effleurer l'autre. Mine de rien, ce duel est épuisant, et Gigamèche ne semble toujours pas prêt d'abandonner.

« Mouhahaha ! »

Je décide d'ouvrir le carnet, à la recherche d'une idée, tandis que son épée rate de peu mon visage – environ soixante-dix centimètres.

« Euh, pour une tarte aux pommes, il faut de la farine, des œufs...

— Ah ! Ah ! Excellent, la technique de la diversion ! »

Gigamèche prend un air très sérieux, avant de reprendre.

« Mais il se trouve que je suis aussi un expert dans ce domaine. Oh, regardez, un cookie volant !

— Un cookie, où ça ? »

Le lâche profite de ma baisse d'attention pour m'attaquer, et ne me rate que de cinquante centimètres. Je tends le bras et fait des moulinets au pif pour le contraindre à reculer avec mon arme.

« Une défense à toute épreuve, commente Gigamèche, une attaque admirable. Je pense qu'il est temps pour moi de dégainer mon arme la plus puissante. »

Il laisse tomber ses deux épées et porte ses mains dans le dos. Les cieux se mettent à gronder, des éclairs parcourent les nuages.

Il dresse une épée gigantesque, irradiée de lumière. En l'espace d'un instant, ce duel vient de prendre une tournure plus qu'inattendue.

« Voici l'épée de légende, s'époumone-t-il, la fureur des cieux, le cri des éléments... »

Je continue de feuilleter le carnet avec fébrilité, à la recherche d'une idée.

« Bon, par contre, elle fait pleuvoir et c'est un peu moins cool, ça. »

Sans attendre, il se jette sur moi. Je m'arrête sur des commentaires Wattpad d'Elenasticot et l'arrête d'un geste.

« Un instant ! Car j'ai une déclaration à faire !

— Hein ? Quoi ? »

Je continue de parler tout en m'approchant du générateur d'improbabilité.

« Alors euh : "Et les carotte mangent le chou tandis que le chocolat et la grenouille se tiennent par la main. En effet, pas de bras, pas de chocolat! Le flamant rose se trouve donc bien embêté, et il se voit contraint de dévorer la grenouille. C'est pourquoi la girafe a un si long cou!!" »

J'essaie de mettre en route le générateur d'improbabilité, tandis que Gigamèche se répète.

« Hein ? Quoi ? »

J'enchaine sur un commentaire suivant.

« "Le pingouin du Sahara était triste. Mais il fallait le comprendre, le pauvre n'a pas vu le papillon alors qu'il avait mangé la raclette! Ainsi, le rodéo lui fut interdit... Pourquoi le coquelicot était-il si méchant? La fenêtre est pourtant rousse..." »

Fichu générateur d'improbabilité ! Je commence à taper dessus au hasard et termine sur un dernier commentaire.

« "Ces commentaires sont vraiment pénibles.

Histoires sans sens, horribles

Aujourd'hui cet espace commentaire peupleront.

Mais c'est que le futur moucheron

Avait assez d'attendre en vain

Et il décida donc qu'eh bien,

Une histoire inutile ne dérangerait personne..." »

Me voici arrivé au bout. Gigamèche hausse les épaules et s'approche de moi. Par un improbable rebondissement scénaristique, le générateur se décide enfin à démarrer.

« Mais... mais... qu'est-ce qui vient de se passer ? »

Gigamèche dévisage son épée, désormais transmutée en bambou de légende. Et pour ceux qui se posent la question, il brille toujours, mais fait pleuvoir des cookies, maintenant.

« Manger ! »

J'attrape les gâteaux qui tombent du ciel, tandis que Gigamèche continue de paniquer.

« Mais pourquoi je suis un pingouin rouge, maintenant ? Zenkidu, à l'aide ! Zenkidu ? Tu es une limace volante, maintenant ? »

Il se tourne vers moi, avant d'écarquiller les yeux encore davantage.

« Et vous... vous êtes... »

J'avale le cookie avant de répondre.

« Un clown, oui. »

Mon pied frappe le sol pour me propulser jusqu'à mon adversaire. Une déflagration sonore se répercute sur tout le pont.

Gigamèche est à terre, immobilisé d'un seul bras, sans avoir compris ce qui vient de se passer. De mon autre main, j'attrape un gâteau et continue de manger. Le moment est propice à lancer une tirade mémorable, qui viendra conclure et parachever ce grandiose duel.

« Les cookies, c'est bon. »

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