14. A

Après un voyage en avion, me voici désormais dans une pièce blanche et vide, à l'exception d'une vieille télévision et d'une paillasse rudimentaire.

Hum.

Je ne sais toujours pas trop ce que l'Organisation attend de moi, je me demande même si elle-même le sait.

Il ne me reste désormais plus qu'à faire ce que ferait tout bon héros de récit capturé par une organisation criminelle, un héros enfermé dans une cellule, en attendant – peut-être – une fin inéluctable.

Roupiller.

Quoi ? Qu'est-ce que je pourrais faire d'autre, de toute façon ? Autant attendre qu'il se passe un truc ou que quelqu'un vienne me sauver. D'ailleurs, je suis sûr que Gorzül monte déjà une expédition pour partir à ma recherche.

Et puis, de toute façon, pour une fois que je n'ai rien d'autre à faire, autant justement faire une sieste.

Bref.

Je me rends compte que je suis en train de converser tout seul, ou au moins en train de penser tout seul, ce qui apparaît logique vu qu'il n'y a personne d'autre que moi ici.

Bon, maintenant, je dors c'est décidé. De toute façon, et même si je ne l'ai encore jamais fait, le récit peut tout aussi bien se passer de moi quelques instants.


Comté de Wattpad, au même instant

« Bon, ce récit me donne enfin l'occasion de prouver ma valeur en tant qu'assistant. Euh... sauf que je ne sais pas quoi faire. Mais ce doit être la première fois que le texte se centre uniquement sur moi, alors c'est mon occasion de briller. D'abord, pourquoi JBSchrottenloher ne m'a-t-il pas donné le moindre indice de plan ? Probablement parce qu'il n'en avait aucun... Hum, voilà qui ne m'aide pas. D'autant qu'il faut absolument que je le sauve, et surtout mon emploi, par la même occasion. Le marché de l'emploi est difficile, même pour les vampire-garous, à moins de vouloir devenir l'acteur d'une comédie mélodramatique pour jeunes adolescents. Eurk, quelle horreur, je préfèrerais encore rester assistant pour le restant de mes jours.

Donc, réfléchissons, que ferait JBSchrottenloher dans une telle situation ? Euh... il mangerait des gâteaux, et procrastinerait peut-être au lendemain. Non, mauvaise idée. Alors, euh, il me demanderait sans doute mon avis. Alors, qu'est-ce que je ferais si JBSchrottenloher me demandait mon avis ? Euh... répondre qu'il n'a qu'à trouver lui-même ? Oui, c'est ça, je titillerais son ego démesuré pour le contraindre à trouver lui-même la solution. Et que répondrait-il, s'il me demandait mon avis et que je titillais son ego pour l'obliger à répondre lui-même ? Sans doute prétexterait-il une quelconque interaction avec ses lecteurs, pour obliger des Wattpadiens à le sortir de ses embrouilles. Et que répondraient les lecteurs, si JBSchrottenloher me demandait de trouver une solution, que je titillais son ego afin qu'il se débrouille pour trouver tout seul la solution, et qu'il faisait croire à une interaction avec son public pour obliger les Wattpadiens à le sortir de ses embrouilles ? Eh bien, heu... »

***

« Et donc, c'est pour cela qu'il ne sert de toute façon à rien d'essayer de s'échapper, ça ne marche que dans les films, et je ne suis pas dans un film. Mais quand même, ce n'est pas épique, comme attitude. Faire une sieste ? De toute façon, je n'arrive jamais à dormir en dehors de mes horaires habituels de sommeil. D'ailleurs, je ne dors pas, là, c'est bien une preuve, non ? Oui, et alors ? Qu'est-ce que je peux faire d'autre, de toute façon ? Ce n'est pas comme si la porte allait s'ouvrir comme par magie, si je claquais des doigts. »

Je claque des doigts. Je regarde la porte.

Il ne se passe absolument, strictement, rien.

Je continue de tourner en rond dans la pièce. Et puis, comme le rond fait quand-même très conventionnel, je décide finalement de tourner en dodécagone dans la pièce.

« Et donc, qu'est-ce que je fais, maintenant, à part continuer de parler tout seul ? Mais c'est très bien de parler tout seul, de toute façon ! Sauf dans les magasins, peut-être. Parler m'aide à réfléchir. Je peux aussi écrire, mais je n'ai rien sous la main. Encore que je parle aussi en écrivant, parfois.

— La girafe à taches en formes de virgules est une espèce rare qui...

— Euh, plaît-il ? »

Ce tiret cadratin est le signe indiscutable que je ne suis plus seul à parler. À moins qu'un double de moi-même ne se soit matérialisé pour discuter de faune africaine.

Je me retourne. La télévision s'est mise en marche sans que je ne lui aie rien demandé, et vient de me couper la parole alors que je m'en chargeais pourtant déjà très bien tout seul.

« Cet appareil est détraqué, on dirait. »

L'image se brouille, le son se déforme.

« Qu'est-ce que je disais... »

Un A recouvre l'écran.

« Euh... »

Je ne peux m'empêcher de repenser à la prédiction du segment précédent. Viendrais-je d'obtenir un allié ?

« Euh, salut. »

Les haut-parleurs crachotent un son déformé.

« Quoi, c'est tout, depuis le temps que je suis censée apparaître dans ce récit ?

— Euh, à qui ai-je l'honneur ?

— Mais enfin, une télévision, un A, j'ai été – très – rapidement mentionnée dans cette Antibiographie, je suis même venue lire, je suis, je suis...

— Euh... l'asticot ? Non, Aurelia_Lm ?

AleckLPark, enfin !

— Ah, euh, bien sûr, je plaisantais. Ha ha ha. Ha. Ha... »

Je fixe l'écran. L'image derrière le A semble parcourue d'un bruit blanc permanent.

« Euh, tu es toujours, là ?

— Non, je boude.

— Voilà qui ne va pas faire avancer l'intrigue.

— Bien sûr que je suis toujours là, je suis même censée te faire sortir de là.

— Ah, et tu as un plan ?

Nous avons un plan. Grymm_ m'a envoyée ici pour te venir en aide, et...

— Mais comment sait-elle que j'avais besoin d'aide ? Et depuis quand mes lecteurs m'envoient de l'aide, d'ailleurs ?

— Mais avant toute chose, tu vas devoir répondre à un tag.

— Ah, je me disais bien que ça cachait quelque chose.

— Tu dois donc citer dix livres qui t'ont marqué. »

Je croise les bras.

« Et sinon ?

— En fait, ça va surtout m'aider... je peux faire apparaître des objets ou créer des mondes virtuels, mais j'ai besoin d'inspiration. Et là, on est au beau milieu de la Malaisie, donc je ne capte pas grand-chose...

— Soit.

— Prends ton temps, car...

— Alors, pour commencer, l'Île au trésor, que j'ai lu il y a tellement longtemps que je m'en souviens plus...

— Euh...

— Je crois que c'est après l'avoir lu que j'ai voulu écrire des histoires de pirate, donc c'était probablement marquant.

— Euh, sans doute.

— Bon, sinon, et dans un ordre approximatif, donc, Les Trois Mousquetaires, d'Alexandre Dumas, ainsi que les livres suivants, qui m'ont fait découvrir les romans de cape et d'épée ; Michel Strogoff, de Jules Verne, qui m'avait surtout marqué par l'action et le rythme du roman qui dénote vraiment avec les autres œuvres du même auteur ; les nouvelles de SF d'Arthur C. Clarke qui m'ont fait découvrir, eh, bien, les nouvelles de SF ; la trilogie d'Ellana de Pierre Bottero pour ce qui est de la fantasy ; Les Fourmis, de Weber, dont l'idée de base était excellente ; L'Argent, de Zola, dont la découverte du milieu boursier m'avait surtout étonné par le fait qu'elle fût toujours à ce point d'actualité ; Personne n'y échappera, de Romain Sardoux, un thriller que j'avais pourtant apprécié malgré le fait qu'il ne s'agît pas de mon genre de prédilection (et surtout le fait que, dans l'ensemble, je saturais de tout ce qui était enquête et séries policières) ; Macbeth, de Shakespeare, avec la plongée dans la folie de son personnage principal ; et, enfin, H2G2, ou le Guide du Voyageur galactique, de Douglas Adam, qui m'a fait découvrir l'absurde, et m'aura donc notamment poussé à écrire cette Antibiographie. Voilà. »

Je me frotte les mains, satisfait.

« Maintenant que ce tag est fait, passons à la suite. Mais euh, qu'est-ce que c'est que ça ? »

J'écarquille les yeux face aux trois objets que je viens de remarquer : un carnet, une épée, et un, un quoi, déjà ? Ah, si, un générateur d'improbabilité, ne me demandez pas comment je sais ça.

« Je viens déjà de générer trois objets en rapport avec le tag, reprend AleckLPark. Ils sont destinés à t'aider dans ta quête. »

Je ramasse les deux premiers.

« Pour l'épée, je peux comprendre, entre les pirates, l'action, l'aventure, tout ça, tout ça. Le générateur d'improbabilité, encore, c'est certainement une référence à l'absurde, et plus spécifiquement à H2G2, mais euh, ça ? »

Je feuillette le carnet.

« C'est juste un carnet, et il y a écrit n'importe quoi là-dedans. »

Je m'arrête sur une recette de tarte aux pommes.

« Ah, encore que ce passage est plutôt intéressant. Miam. »

Je tourne quelques pages.

« Mais là, ce n'est rien de plus que des commentaires Wattpad, ça ! En quoi seraient-ils censés m'aider ?

— Ce sera à toi de le découvrir. »

Des éclairs émergent de la télévision. Le A disparait pour laisser place à d'inquiétantes volutes.

« Euh, il se passe quoi, là ? »

L'écran s'effondre pour laisser place à un vortex tumultueux.

« Rien qui ne mérite de s'inquiéter. Je t'emmène dans un monde imaginaire.

— On va dire que je te fais confiance, alors. »

Je suis aspiré à travers le tourbillon ; les murs de la cellule virevoltent, disparaissent, la réalité s'effondre tout autour de moi.

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