13. OCM

Nous arrivons enfin à la vieille ferme abandonnée qui, comme son nom l'indique, est un bâtiment agricole d'un certain âge, inoccupé depuis plusieurs années. Enfin, à l'exception de cette lueur, dans l'un des bâtiments, qui perce l'obscurité tel un phare dans la nuit.

Nous nous avançons. Gorzül, Legend-R, et Roman-e m'accompagnent toujours. Le shérif dit m'avoir suivi pour surveiller mes agissements, mais je suis sûr que son seul but est d'assurer ma sécurité, suite à l'intervention de Robert, l'huître-ninja.

« Roman-e va rester transformée longtemps, sinon ? »

Elle hausse les épaules à ma question.

« C'est variable. Généralement, elle revient à elle lorsque l'on ne s'y attend plus. »

Je m'approche de l'entrée tandis que, derrière-moi, Legend-R se tient prête à toute éventualité. Je pousse la porte, et, au terme d'un abominable grincement sur des gonds rouillés, nous entrons dans une pièce poussiéreuse infestée de toiles d'araignées.

Une seule silhouette nous attend, assise face à une table, son visage dissimulé sous un épais capuchon verdâtre.

« Qui êtes-vous ? demande Legend-R.

— Certains m'appellent la Sorcière, la Prophétesse, ou encore la Magicienne. »

Ses mains gantées effleurent une sphère de cristal qui s'illumine.

« Je savais que vous viendriez, Auteur, ainsi que votre assistant. Car vous avez des questions encore restées sans réponse.

— Vous m'avez dit connaître des informations au sujet des Snarks.

— Patience, reprend la femme. Toute connaissance vient à point pour qui sait attendre. »

Une lueur sombre émane de ses mains. Des volutes recouvrent l'intérieur de la sphère de cristal, s'agitent.

« J'en appelle au Troisième Œil, celui de la clairvoyance. Puisse-t-il éclairer de réponses le champ de mes questions.

— Je crois que l'on perd notre temps, me souffle Gorzül. Si elle savait quelque chose, elle nous l'aurait dit depuis longtemps.

— Gorzül, le bras droit de l'Auteur, le vampire-garou asocial et cynique...

— Ça commençait bien, mais effectivement, elle raconte n'importe quoi.

— Je vois, je vois... les gens que vous aimez, même si pour Gorzül, il n'y a pas grand-monde.

— Je rêve, ou elle se moque de moi, en plus ? s'indigne mon assistant.

— Je vois l'avenir, poursuit la femme. Des enfants... tous les deux... »

Je regarde Gorzül. Gorzül me regarde. Legend-R regarde Gorzül. Gorzül regarde la voyante. Roman-e est toujours une banane. Je me demande si je suis censé faire une blague, maintenant. Gorzül se demande si je vais faire une blague. Legend-R se demande où la voyante a pu acheter sa boule de cristal. Roman-e est toujours une banane.

« Je voulais dire, chacun de votre côté, reprend la voyante. Euh... en fait, c'est assez flou et imprécis, en plus. Ce ne sera peut-être que pour l'un de vous deux, et encore, je ne suis pas sûre.

— Mais qu'est-ce que c'est, que cette soi-disant voyante ? s'exaspère Gorzül.

— Et là, c'est la fin du monde. Ah zut, j'ai avancé trop loin dans le futur. »

La sphère de cristal s'éteint sans crier gare.

« Euh, un léger incident technique, je la fais rebooter. »

Des lueurs sombres émanent des mains de la femme, mais restent sans effet.

« Fichue camelote ! »

Elle balaie la sphère d'un geste rageur, avant de nous considérer de nouveau.

« Où en étions-nous, donc ?

— On allait partir, l'informe Gorzül. Ne vous inquiétez pas pour nous. »

La femme fait un geste de la main et la porte se referme. Gorzül se retourne, stupéfait.

« Mais vous avez vraiment des pouvoirs magiques, en fait !

— C'est ce que je vous dis depuis le début ! J'ai juste parfois un peu de difficulté avec mes dons de voyance, mais c'est peut-être aussi dû au chaos qui entoure vos existences. Lire le présent est en revanche beaucoup plus facile. »

Elle se tourne vers moi.

« Vous avez envoyé votre dernier texto à... euh... en fait, votre téléphone s'est fait exploser dans le dernier segment.

— Vous conversiez avec lui lorsque c'est arrivé ! reprend Gorzül. »

Elle porte les mains à sa tête, avant de poursuivre ses tirades.

« Vous mesurez deux mètres au garrot, sous forme de chameau.

— Il a posté une photo de cette transformation sur Wattpad ! argumente Gorzül.

— Tiens, tiens, ainsi JBSchrottenloher se transforme en chameau, je note. » l'interrompt Legend-R.

Gorzül met ses deux mains devant la bouche. J'essaie néanmoins de retourner la situation.

« Heu, les élucubrations de cette voyante auto-proclamée ne sauraient constituer de preuve à conviction tangible.

— Élucubrations, moi ? Attendez, l'un de vos passe-temps favoris est l'écriture. »

Je ricane.

« Sans blague. Nous sommes dans un bouquin que je suis justement en train d'écrire.

— Vous êtes droitier, vous avez déjà fait la cuisine... la dernière fois que vous avez essayé d'assaisonner une betterave, vous avez créé Rodolphe-Albert, qui lui-même a déclenché l'invasion légumineuse qui secoue encore le monde.

— Faire la cuisine est une activité dangereuse, commente Gorzül. Il faut toujours demander conseil à un spécialiste.

— Et... euh, ça fait longtemps que vous n'avez rien rangé, chez vous.

— C'est sur ma to-do list. J'y travaille. »

Gorzül croise les bras.

«Tout cela est bien beau, mais nous n'en savons pas plus au sujet des Snarks.

— Les Snarks... »

Elle ricane.

« Les Snarks étaient un prétexte pour vous amener ici. J'avais besoin de vous ; je me suis juste contentée de gagner du temps.

— Gagner du temps pour quoi ?

— Mais avant de partir, une vraie prédiction, pour ce qui va suivre : "Z... était votre ennemi, mais A sera votre alliée."

— "A" quoi ? Vous ne pouvez pas me donner un nom complet ?

— Ce serait trop simple. »

Elle disparait dans un nuage vert.

« C'est de la triche, grommelle Gorzül. Tous nos adversaires peuvent se téléporter, mais pas nous.

— Nous encerclons le bâtiment ! hurle un mégaphone. Veuillez sortir les mains sur la tête ! »

Je risque un rapide coup d'œil par la fenêtre. Tout un régiment paramilitaire nous entoure, appuyé par des armes lourdes.

« L'Organisation, ils nous ont retrouvés. Toute cette entrevue n'était qu'un traquenard.

— L'organisation ? Quelle organisation ? demande Legend-R.

— L'OCM, ou l'Organisation des Couvertures Moches, enfin, je crois. Regardez, c'est le logo qu'ils arborent, et en plus, il est moche, donc ce sont clairement des méchants. J'espérais leur avoir échappé, mais ils sont partout. Il nous faut un plan d'urgence. »

Legend-R se transforme en lampe de bureau, aux côtés de la banane.

« Heu... »

Je me tourne vers mon assistant.

« C'est un cas désespéré, Gorzül. Nous n'avons plus de munitions ni aucun moyen de résister. Je sais que cela va t'être difficile, mais il faut que tu prennes ta forme de chauve-souris et que tu me laisses...

— Ok, d'accord. »

Il se transforme et disparait aussitôt par la cheminée.

« Hé, tu aurais pu au moins protester un minimum ! »

Le vampire-garou est déjà hors de portée. Très étrangement, le fait qu'il soit à ce point d'accord avec moi, cette fois-ci, ne m'enthousiasme pas plus que ça.

Bon, au moins, nous aurons été épargnés par l'éternelle et inutile scène cliché des adieux déchirants. L'insistance des troupes de l'Organisation ne nous en aurait sans doute pas laissé le temps, de toute façon

« Dernier avertissement ! Sortez tous du bâtiment ! »

À ce stade, je n'ai plus vraiment le choix ; j'ouvre la porte pour faire face aux paramilitaires.

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