7. pomme empoisonnée

"Chers frères, chères sœurs. Je vous ai rassemblés un peu plus tôt alors que le soleil vascille déjà dans le ciel, afin de vous présenter ces deux hommes qui séjourneront ici, le temps qu'ils le souhaitent. M. Kim Seokjin se dit ravi de pouvoir apprendre aux plus vaillants d'entre nous la chasse, pour nous permettre d'obtenir de nouvelles ressources ! Quant à M. Kim Namjoon, il vous attend impatiemment dans l'infirmerie de l'ancienne école si vous avez besoin de son savoir de médecin ! Ils vont être deux membres importants de notre communauté, alors accueillez les, et partagez avec eux nos traditions !"

La cinquantaine de personnes présentes, levèrent alors les mains vers le ciel, chacun prononçant des phrases différentes dans un vacarme sonore qui les rendait incompréhensibles.

Ils déglutirent, et, sans même oser se regarder, ils savaient qu'ils partageaient les mêmes pensées à cet instant : celle de savoir qu'ils ne devraient pas être ici, et qu'ils n'avaient pas leur place dans cette bourgade. Des modes de pensées trop différents des leurs, des extrêmes qu'ils n'aimaient guère avoir à côtoyer.
Après s'être inclinés respectueusement, le chef Kim les invita à descendre rejoindre la foule. Le soleil frappait si fort de sa lueur rouge sur l'esplanade que leurs yeux se froncèrent, aveuglés, lorsque le chef leva à son tour les bras vers le ciel.

"AUJOURD'HUI ENCORE, DIEU A ÉPARGNÉ NOTRE VILLAGE. AUJOURD'HUI ENCORE, NOUS LUI OFFRONS UN PEU DE NOUS POUR QU'IL PUISSE SE REPAÎTRE SANS NOUS TUER JUSQU'AU DERNIER. UN SACRIFICE POUR APAISER SA FAIM. UN SACRIFICE POUR APAISER CE FLÉAU DIVIN."

Puis la foule scanda à son tour. La suite, ils leur semblait la connaître, et avec horreur, la jambe d'un enfant fut apportée sur un plateau de bois, posé entre les mains de cette statue difforme. Étaient-ils obligés d'assister à cette horreur?

Lorsque Jin tourna la tête, il vit Namjoon, poings crispés qui fixait le sol, une expression étrange sur le visage. Il le comprenait. Il ressentait la même chose que lui. Celle de l'impuissance. Celle de la fatalité face à cet enfant probablement déjà mort, du moins il l'espérait pour lui. Ils avaient peut-être ouvert leur clapet un peu trop facilement face à Taehyung.

L'odeur de la viande cramée dans le brasier leur donnait la nausée autant que le chant des hérétiques. Eux avaient le cœur bien accroché, mais Jin ne pouvait s'empêcher de se demander comment Jimin aurait réagi dans cette situation?

Jimin...
Jin balaya la poussière sous ses semelles. Était-il en train de tenir correctement sa promesse de le protéger ?

La fin du rituel fut comme une délivrance pour lui. Il laissa Namjoon à ses occupations et voulut se dépêcher de rejoindre Taehyung sur le barrage.

Lorsqu'il arriva, le jeune homme était encore en train de guetter l'horizon. Silencieux. Tendu. Alors Jin se contenta de prendre un fusil à son tour en l'enroulant dans cet épais tissu. Il se positionna à côté de lui sans un mot, et attendit avec lui d'être sûr que la vague invoquée par les prières sonores était terminée.

"C'est gentil de me tenir compagnie.", fit le châtain en lui adressant un sourire.
" J'avais un service à te demander et une question à te poser, en fait.
— Oh... Laisse moi deviner ! un truc du genre : est-ce que tu comptes nous balancer ?
— Non..? Si on se posait la question tu ne saurais pas ce que tu sais actuellement.
— Ah... Bon, je t'écoutes alors.", fit Taehyung en s'adossant à la petite rembarre qui le séparait du vide.

Jin hésita puis lui fit signe de venir avec lui, préférant s'écarter des autres présents à la défense du village. Ils s'isolèrent derrière l'angle d'un mur, à l'abri des regards indiscrets et Jin commença.

"Je me demandais ce qu'il était advenu de nos affaires... On ne nous les a pas encore transférées, dans la chambre...
— Hmmm... de ce que j'ai entendu, ils sont encore dans le coffre de la voiture qui vous a ramené. Ils ignorent pour l'instant s'ils vous laissent dans cette chambre ou s'ils vous fournissent la maison qui vient de se libérer...
— La maison qui vient de se libérer ?
— Ce gamin, sacrifié en petits morceaux... C'est toute sa famille qui y est passée. Ils ont tenté de se rebeller contre la doctrine dans laquelle mon père a enrôlé tout le monde...
— ... Mais ce môme n'avait rien fait, n'est-ce pas ?
— Rien. Si ce n'est grandir dans la mauvaise famille..."

Jin déglutit. C'était repoussant.

"Et tu avais un service à me demander?
— Je voulais savoir si tu pouvais m'accorder un moment seul avec Jimin."

Cette fois, Taehyung sembla hésiter. Un cliquetis se faisait entendre depuis sa poche, laissant présager qu'il jouait nerveusement avec les clefs du soubassement.

"Je suis responsable de lui, auprès de mon père... Et si j'attends dehors pour refermer, alors ça va sembler suspect... Je suis désolé, mais il faudrait au moins que je rentre avec toi, quitte à me mettre dans un coin...
— Alors confies-moi les clefs, dis moi où tu habites et je viendrais te les rendre après !
— Hors de question !", fit-il cette fois franchement en reculant d'un pas.
"Je pourrais te les prendre de force si facilement.
— Tu crois que tu vas arriver à quelque chose en menaçant votre seul et unique allié, ici ?! Je serai toi je m'excuserai et j'accepterai la seule option que je t'ai proposée !"

Le militaire grinça des dents.

"... Pardon... Et ok."

La porte du soubassement s'ouvrit. La lumière de la lune passant en minuscule rayons par la ventilation dans le haut du mur se reflétait dans les yeux de Jimin qui les regarda, silencieux, son visage ne trahissant aucune sensation, même pas le soulagement de les voir.

Jin se précipita vers lui, s'agenouillant et prit son visage entre les mains, observant silencieusement ses traits. Puis il se tourna vers Taehyung.

"Est-ce que tu peux le détacher ?
— Non. Si on doit partir de manière précipitée, je préfère qu'il soit déjà attaché... Désolé... Je comprends ta demande, et même pour lui ça me fait chier, mais...
— C'est bon, laisse tomber.", grogna Jin qui avait compris que ça ne servait plus à rien de discuter sur ce que Taehyung lui offrait déjà ou ne lui offrait pas.

Il soupira et sortit une gourde d'eau qu'il posa aux lèvres de Jimin. Le brun avala goulûment chaque gorgée jusqu'à ce qu'elle fusse vide. Puis le militaire posa à nouveau ses paumes sur les joues du plus jeune et se perdit dans ses yeux, le temps de murmurer une phrase avec des yeux pétillants et un sourire sincère.

"Namjoon a pu analyser ton sang... Tu vas t'en sortir, Jimin. C'est bien l'agent pathogène qui provient des zombies qui te rend malade, mais t'es en train de gagner...
— Oh...
— Tu ne te sens pas mieux..?", s'inquiéta Jin, posant son front contre le sien. Il était toujours chaud, toujours en fièvre, mais peut-être légèrement moins qu'avant ? Ou peut-être essayait-il de s'en persuader.

"J'ai l'impression d'avoir un peu plus mes esprits mais... J'ai toujours envie de vomir mes tripes... et ma vision elle... si tu me mettais dehors dans cet état je serai incapable de tirer sur une biche...
— ... Qu'est-ce que tu vois ?
— Tu te souviens quand on avait encore de l'électricité et des téléphones ? Il y avait ce filtre sur instagram qui faisait une vignette noire et-
— Je suis désolé, Jimin... j'avais pas instagram...
— Ah.. euh... C'est comme... du noir, tout autour de ta vision, qui rétrécie ton champs...
— hmm...
— Les zombies sont aveugles, je suis sûr qu'il y a un rapport avec le sang corrompu et tout... Les yeux sont sensibles, ils vont peut-être se remettre moins rapidement que ton organisme, globalement...", commença Taehyung depuis son coin, à l'opposé de la pièce.
"Sans dec', l'artiste ? On avait dit que tu faisais comme si t'étais pas là.
— Laisse-le, Jin...", souffla Jimin qui fronça les sourcils. "Ça ne me paraît pas aberrant ce qu'il dit, mais surtout... Où est passé ce Jin qui cherchait le meilleur dans tout le monde ? Où est passé ce Jin bienveillant ..?
— Je suis désolé... J'ai l'impression de ne pas tenir ma promesse à ton égard, ça me fout en rogne... et ce village... putain, il mérite pas de bienveillance, je peux pas voir le meilleur de ces gens là...
— ...? Mais c'est grâce à...?
— Taehyung !", intervint le concerné, reconnaissant.
" C'est grâce à Taehyung que tu as le droit à ce moment avec moi, non? Alors..
—C'est bon, j'ai compris... Lui, ça va...
— Et pour ce qui est de ta promesse... Moi aussi, j'ai l'impression qu'elle n'est pas tenu... Je suis trop peu satisfait de la situation pour ressentir l'inverse... Pourtant... Je sais que tu la tiens. Je sais que tu fais de ton mieux... Je te fais confiance..."

Une sensation chaude s'empara du corps de Jin à ce moment précis. Celle de l'apaisement. Du bien être. Il enlaça son partenaire qui ne put l'étreindre en retour, posa son menton près de son épaule et murmura de sorte que le châtain, au fond, ne puisse l'entendre.

"Je t'aime, Jimin..."

Il pensait le voir sourire en retour, il pensait entendre ces mêmes mots, en retour. Pas à entendre un sanglot coincé dans la gorge du brun.

Non, ça il ne voulait pas l'entendre...

Alors machinalement, il se pencha sur son visage, approchant ses lèvres. Jimin eut un mouvement de recul, mais la main de Jin se plaqua sur sa nuque, et aussitôt, leurs lèvres entrèrent en collision dans un baiser que Jin renforçait, jusqu'à immiscer sa langue entre celles de Jimin.

"Qu'est-ce que vous foutez ?!!"

Taehyung attrapa le col de Jin, l'attirant de toute sa force en arrière. Aussitôt, Jin grogna, se retournant vers lui avec une expression menaçante sur le visage.

"C'est quoi le problème ?! T'as jamais vu deux hom-..!
— LE VIRUS, BON SANG!"

Les sourcils de Jin se froncèrent.

"Il l'a déjà dilué en lui, je risque rien! De toute il gardera des traces, alors autant ne pas se priver à tout jamais sous ce prétexte là!
— Mais quand même !! C'est pas juste un mentos dans du coca ! Il est encore là, en faible quantité, mais c'est encore trop tôt ! Tu as entendu la même chose que moi !
— Quoi qu'il en soit, maintenant c'est trop tard ! Alors retourne compter les parpaings tranquillement dans ton coin et laisse moi deux minutes tranquille !"

Taehyung hésita franchement, puis repartit dans son coin sans savoir s'il faisait le bon choix.

Jin quant à lui soupira, et retourna poser son front contre celui, chaud, de Jimin. Leurs souffles se mêlèrent un instant, puis un nouveau frôlement de lèvres, bien plus timide que la première fois.

"Tu es sûr de toi..?
— Oui... A ce stade, ça ne changera plus rien... Alors j'aimerais autant ne pas regretter et pouvoir profiter franchement de tes lèvres...
— Quel casse-cou...", susurra cette fois Jimin avant d'avancer son menton, léchant les lèvres de son vis à vis de sa langue avant qu'elle ne rencontre sa consœur, leurs lèvres pressées, bougeant mielleusement les unes contre les autres, puis de plus en plus avidement, aussi avides que les mains de Jin qui atterrirent bien trop facilement sur la peau nue de son torse avant de se caler dans le creux de ses hanches.

Pour la première fois depuis le début de leur aventure, il était sûr de ses sentiments et de son envie d'honorer ce corps de ses baisers et caresses. Bon sang. Était-ce cette vision de Jimin, attaché, soumis à ses désirs qui l'excitait autant ?

En tout cas, la situation devenait embarrassante. Alors, à contre cœur, il rompit l'échange et déposa un dernier baiser, juste du bout des lèvres, avant de se lever.

"On revient te voir, demain...
— Rapportez un sandwich, alors...", fit Jimin, un léger sourire sur les lèvres.

Mais Jin savait que ce sourire révélait un fond de tristesse : celle d'être à nouveau seul, enchaîné. Il écarta cette pensée devant laquelle il était impuissant et se tourna vers Taehyung alors qu'il verrouillait la lourde porte.

"Ne dis rien à Namjoon."

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