44 - Deuxième départ
En média : Little Dragon - Twice
Pour un concours de nouvelles (Les jouttes wattpadiennes ; auxquelles je ne participe finalement pas) dont le sujet était : « Voyage ». 15 000 caractères maximum.
*
Prostrée sur sa chaise, les mains crispées l'une dans l'autre, son regard perçant ses longs cheveux blonds décoiffés retombés devant ses yeux comme s'ils n'existaient pas, elle le regarde.
Dans le lit d'hôpital, l'être aimé. Allongé sous les draps propres et soyeux, comme un mort dans son linceul déjà prêt à partir.
Il va la quitter.
Cette pensée l'effraie et fait frissonner sa peau.
Il va la quitter et elle ne peut rien faire. Les médecins non plus, ils le lui ont dit.
Il partira bientôt. Et elle partira avec lui. S'il part elle ne peut rester.
Elle frissonne à nouveau et pose sa main par-dessus la sienne. Si froide. Si pâle. La main d'un cadavre.
Un nouveau tremblement la fait se relever.
Elle ne peut rien faire.
Elle marche dans la pièce, sans but. Elle revient près du lit et replace la couverture pourtant bien bordée sur le corps inerte qui ne bronche pas. Ses gestes sont lents, mesurés, empreints de la tendresse résignée de celle qui a compris.
Y a-t-il quelque chose qu'elle puisse faire pour le sauver ?
Malgré son calme apparent, elle ne sait que fixer du regard. Où chercher ? Où trouver ?
Rien. Le néant. Dans ses pensées, dans ce qu'elle perçoit. Rien qui n'accroche son attention. Rien qui puisse le sauver.
Elle est impuissante. Sa situation la dégoûte. Elle renifle par à-coups. En écho à son marasme, une odeur pestilentielle dans l'air qui lui brûle les narines. Elle renifle à nouveau. Ça sent la mort et la souffrance.
Elle se retourne. Derrière elle, ce qui semble être un homme vêtu d'une toge noire, encapuchonné. Il est immobile, impassible, et semble la fixer depuis le gouffre sans fond qui lui sert de visage. Elle n'y discerne rien d'autre que le vide et l'incompréhension.
« Es-tu prête à tout ? »
La voix résonne dans la pièce étriquée. Sans ton, sans inflexion. Rien qui ne puisse la renseigner sur son identité. Une ombre sans âme. Ses pieds ne touchent pas le sol. D'ailleurs, ses membres ne sont pas apparents. Rien qu'une toge noire et le regard trouble de la mort. L'odeur est insupportable ; la présence, effrayante. Néanmoins, c'est la présence espérée. Dans le désespoir, c'est accompagné de l'extrême et du danger qu'il faut chercher la solution.
Elle hoche la tête.
« Celui qui cherche sans guide se perdra. »
Que veut-il dire ?
« Je sais où aller, et toi ? »
- « Avec vous. »
Il sera son guide dans le noir.
« Tu n'es pas la première à tenter ta chance. Sache qu'en cas d'échec il n'y a pas d'issue, pas de retour en arrière. C'est tout ou rien. »
Elle hoche la tête à nouveau.
- « Inutile de tergiverser. Je suis prête. »
C'est à son tour de hocher la tête.
« Assieds-toi. Raconte-moi ta mésaventure sans omettre de détails. »
Elle s'exécute, docile.
- « Hier soir, 21h. La pluie tombe drue dehors. Nous nous disputons avec violence. L'averse fait craquer les pans de la maison et couvre nos cris. Il se fâche et lève la main sur moi. Ces quelques verres d'alcool ont délié nos langues assoupies. Les propos sont incisifs, acides, et la vérité apparaît dans son éclat aveuglant. Cette dispute sera probablement la dernière, la marque sur ma joue sera là pour me le rappeler. Je me le promets. Je lui crache mon venin au visage et mes griffes lui lacèrent les avant-bras. Il hurle, vocifère de sa voix grave qui me rassurait jadis. Les clés enfermées entre mes doigts, je me précipite dehors. La voiture est à quelque mètres du portillon, je me précipite au volant et verrouille les portières. Il tambourine sur la vitre et montre la porte d'entrée de son index rageur. Son intention est claire : me faire rentrer. Dans son regard la lueur de la colère, et, plus discrète, celle du regret. Ses gestes malheureux auxquels il ne m'avait pas habitué. Son incompréhension face aux évènements. Le besoin de parler. Je le fuis sans hésiter, et j'écrase la pédale avec la force que ma peur me procure. La voiture bondit et les pneus mouillés crissant sur le goudron déchirent la nuit. Il me suit en courant. Dans le tournant du virage qui sort de la résidence, je le regarde en coin pour fixer dans mon esprit le souvenir qui ne fera pas revenir en arrière. Il court à toute allure et crie avec force. Son visage est rouge et sa sueur se mélange à la pluie. Je ne peux m'empêcher d'observer mon amour disparu. Il tourne la tête vers la gauche et s'arrête. Je ne peux plus voir son visage. Je tourne la tête à mon tour. Une voiture à quelques mètres de lui. Les pneus qui dérapent sur la route et les gestes hagards du conducteur pour reprendre le contrôle. Les freins qui hurlent. Les phares éclatants qui entourent mon mari dans un halo passager. Le blanc qui me recouvre les pupilles alors que le bruit de l'impact fait trembler mes tympans...
L'image lui revient en tête en un flash. Elle ferme les yeux, surprise.
...
Et les rouvre. Elle se trouve allongée sur un lit blanc, sur un îlot ensablé de quelques mètres de superficie. Autour, l'eau grise et le clapotis des vagues qui viennent s'échouer. L'homme est là, devant elle, dans la même posture.
« Allez-vous me dire qui vous êtes ? »
Aucune réponse. Il retire sa capuche. Un vieillard, avec une tignasse et une barbe blanche. Il lui montre une barque amarrée sur la rive, puis un point étincelant à l'horizon d'une grande clarté.
- « Le trajet sera long, et la chute fatale. »
Elle les scrute, lui et la barque. Ses traits lui sont familiers, aussi étrange que cela puisse paraître.
« Pour trouver l'arrivée, reviens au point de départ. »
Il s'assoit dans la barque et s'y allonge, sans un bruit. Elle se lève avec précipitation pour s'y installer. Aucune trace de sa présence. À la place, son mari, endormi, tel qu'elle l'a connu avant le drame. Il semble serein mais son teint est livide et ses gémissements témoignent de sa souffrance. Aucune blessure apparente sur son corps affaibli. Il murmure si bas qu'elle ne peut le comprendre.
Elle prend place et examinent les deux rames. Au loin, rien d'autre que l'eau sale et la houle agitée qui perturbe son avancée. Le point blanc minuscule paraît si lointain.
« Tu... Tu es revenue ?
Dans son délire, il a finalement réussi à murmurer.
- « Oui. »
Sa bouche esquisse un sourire triste.
- « Je ne les pensais pas... Les horreurs que j'ai dites. »
- « Moi non plus. »
Il tourne la tête sur le côté, apeuré.
« Où sommes-nous ? »
-« Je ne sais pas. Mais je sais où nous allons. »
Elle lui montre l'horizon puis les deux rames devant elle en souriant. Elle donne quelques coups dans l'eau. Plus la barque progresse, plus le courant les ramène vers l'îlot. Les vagues se font menaçantes et la puanteur des abysses remontent pour leur rappeler leur présence.
« Lui. C'était toi, plus vieux. »
Les rames redoublent d'effort.
« Je vais te ramener. »
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top