Stan

An 2117, 24 avril

— Je ne te laisserais pas faire, Stan ! hurla Elyris en pointant un doigt furieux devant son visage.

La jeune Duchesse n'en revenait pas. Sa proposition était tout simplement immonde. Après tous les sacrifices consentis par le roi et la reine, ce n'était pas possible d'en arriver à une telle extrémité. Le royaume ne tiendrait jamais...

Le chef de l'armée, droit dans ses bottes, ses cheveux noirs peignés en arrière, son costume deux pièces gris très classe, releva le menton en signe de défi. Il n'avait pas peur de la jeune femme et il souhaitait le lui faire comprendre. Il ferait passer sa proposition de loi, quoi qu'il lui en coûte. Même si cela mettait des années, un jour, il y parviendrait. Et il pourrait alors asseoir son autorité. Car il n'attendait que ça : devenir le chef incontesté de Norvden. Après tous les malheurs qu'il avait vécu, c'était bien la moindre des récompenses.

— Non Stan ! affirma le roi Stylis, assis sur son trône.

Le fauteuil, un magnifique objet d'art, était fait d'or et de pierres précieuses finement sculptées. Installés dans la salle de bal, le duc et la duchesse de Solvyre, les souverains et Stan, le chef de l'armée, discutaient d'un plan de relève pour Norvden. Le royaume était à nouveau touché par une catastrophe sanitaire, que les médecins n'avaient pas pu enrayer. Toute la partie Sud souffrait d'un étrange mal, qui les conduisait lentement vers une mort atroce, dans des douleurs indescriptibles. Personne ne pouvait rien faire. Tous étaient impuissants, devant la mort de leurs proches et familles.

Tout le royaume n'était pas encore protégé par les pouvoirs de l'Asténia malgré sa découverte, quatre ans auparavant, et n'avait pas reçu de dons. Le processus était extrêmement long. Ce qui expliquait que les maladies soient revenues en force. Et après la diminution considérable des épidémies et des tempêtes, les souverains pensaient qu'ils auraient un peu plus de temps.

Grâce aux Vents du Nord, un don issu des pouvoirs de l'Asténia, ils avaient eu la possibilité d'éloigner les catastrophes naturelles, qui menaçaient sans cesse le royaume. Mais ce n'était pas le cas de la « Tréornya », la terrible maladie qui sévissait dans la moitié sud du pays. Et qui toucherait bientôt le royaume tout entier. Il fallait l'enrayer au plus vite, sans quoi, Norvden allait vite devenir un immense charnier vivant.

— Vous ne comprenez pas, votre Majesté, insista-t-il en s'approchant de l'estrade royale, les mains en avant. C'est la magie qui est nocive. Elle ne nous a pas sauvés. Elle a juste retardé l'inévitable. Cette maudite fleur nous a dotés de maléfices...

— Je ne te permets pas, Stan ! tonna la reine en se levant d'un bond, les voiles de sa magnifique robe émeraude volant dans son sillage, alors qu'elle s'approchait d'un pas ferme et décidé, du chef de l'armée. L'Asténia a été notre salut à tous, affirma-t-elle en pointant un doigt accusateur dans sa direction. Elle a sauvé des milliers de vies. On ne peut pas le nier. Ses effets ont été bénéfiques pour tout Norvden. Comment peux-tu oser une seule seconde, douter de ses bienfaits ?

Vêtue d'une robe fourreau en soie verte, couverte de voiles scintillants et de dentelles, Eryca avait toute la classe et l'élégance d'une souveraine. Courageuse et sûre d'elle, elle n'avait pas hésité une seconde à mettre sa vie en péril, pour sauver son peuple, quatre ans auparavant. Ce n'était donc pas le chef de l'armée, qui lui dirait quoi faire. Elle avait su s'affirmer et prouver qu'elle était digne de diriger Norvden, malgré qu'elle soit orpheline, et son rang de simple comtesse. Stylis l'avait choisi elle, pour l'épauler dans son devoir royal. Et elle comptait bien montrer à tous qu'elle le méritait et qu'ils pouvaient être sûrs de sa dévotion envers le peuple.

— Mais, votre Majesté... tenta Stan, en essayant de s'approcher davantage.

— Reste où tu es, Stan. C'est un conseil ! lâcha Stylis sur un ton sans appel, en lui lançant un regard noir.

Le jeune homme de vingt-cinq ans, recula aussitôt, honteux. Son visage vira au rouge, alors qu'il baissait les bras. Il se sentait terriblement humilié.

A ce moment-là, Elyris intervint. La jeune femme restée silencieuse jusqu'à présent, ne pouvait plus retenir les mots qui lui brûlaient la langue. Elle se tourna vers les souverains pour s'adresser directement à eux.

— Il faut trouver une nouvelle source de magie, affirma-t-elle, en écartant une mèche de cheveux blonds de son champ de vision. Nous devons remédier rapidement à cette nouvelle crise sanitaire.

Stan écarquilla les yeux. La jeune duchesse lui mettait des bâtons dans les roues. Et il était certain qu'elle en prenait un malin plaisir. Il ne l'avait jamais apprécié. Il la détestait même, pour son audace et ses idées révolutionnaires. Elle était une jeune femme avec de la trempe et représentait une ennemie pour lui. Il aurait sa vengeance sur elle aussi. Un jour, elle paierait pour s'être mise en travers de sa route.

— Votre Altesse... tenta-t-il encore une fois. Je vous en prie. Je suis certain que ma proposition d'interdire la magie, peut sauver Norvden. On doit trouver une autre solution...

— Ça suffit Stan ! cracha Eryca, furieuse. Je ne sais pas pourquoi cette idée t'obsède autant. Mais tu ne feras passer aucune loi sur l'interdiction des dons sylvestres. Ils sont notre espoir et il est hors de question que le chef de l'armée me dise quoi faire, surtout par rapport à ça. Je ne veux plus te voir. Contente-toi de gérer l'armée. C'est tout ce qu'on te demande. Pour le reste, tu es banni du conseil royal ! Au moindre faux pas, dorénavant, tu seras également exclu du royaume pour toujours.

Offensé, Stan serra les poings, retenant un hurlement de frustration et de colère. Il tourna les talons et se dirigea vers la lourde porte en chêne massif. Un valet lui ouvrit, puis commença à refermer derrière lui.

— Un jour, la magie ne sera plus qu'un souvenir... et vous n'aurez plus que vos yeux pour pleurer... murmura-t-il, sans que personne ne l'entende, en jetant un dernier regard sur le petit groupe, avant de tourner la tête en direction du couloir.