3.
Elyris et Téone
An 2123, 19 Mai
La forêt était assombrie par l'orage imminent. Des ombres la rendaient effrayante. De nombreux éclairs dorés zébraient le ciel gris, recouvert de nuages épais d'une étrange couleur violet sombre. Une brume fraîche s'emparait progressivement des bois, la plongeant dans un nuage de coton blanc. Il ne pleuvait pas encore, mais ça n'allait pas tarder, songea le Duc, le regard fixé sur la voûte céleste.
Cela faisait plusieurs heures qu'ils marchaient sans relâche, à travers la brousse, dans la boue, entre les arbres et les ronces qui jonchaient le sentier de graviers beiges et de terre sombre. De minuscules arbustes, pourvus d'un feuillage de printemps, marquaient les abords du chemin. Ils leur arrivaient de croiser de petits animaux, à fourrure ou non, de différentes couleurs... Mais aucun ne restait assez longtemps, pour que le jeune homme ait le temps de mieux les observer.
Il connaissait cette forêt. Le moindre de ses recoins. Il avait parcouru ses sentiers des milliers de fois, étant enfant. Pourtant aujourd'hui, elle semblait souffrir d'un étrange mal. Les plantes avaient une couleur fanée, presque cendrée. Comme si elles se mourraient... Et le jeune noble ne pouvait l'expliquer que par la déchéance progressive que subissait Norvden, de nouveau. Il connaissait le nom du responsable de cette déliquescence. Lui qui avait toujours détesté la magie et qui prônait haut et fort son interdiction, malgré les paroles de bannissement à son encontre, prononcées par la reine.
Stan, pensa le duc, le cœur empli d'aversion.
Les gens avaient peur désormais, de se servir du moindre don magique. L'Asténia n'était plus que l'ombre d'elle-même, depuis qu'elle avait été vidée de ses pouvoirs. Eryca l'avait replanté dans les grottes de Féäls, mais les choses n'avaient fait qu'empirer. La fleur avait flétri et pris une étrange couleur brune. Comme si elle était empoisonnée... L'air des grottes était devenu irrespirable, les rendant ainsi dangereuses. Alors, les souverains en avaient fait interdire l'accès à quiconque, préférant la condamner. Il fallait donc dénicher une nouvelle source de magie, afin de protéger la population restante.
Les pieds de Téone le faisaient horriblement souffrir, malgré les chaussures de marche et l'endurance dont son corps pouvait faire preuve. Ses muscles se crispaient à chaque nouveau mouvement. Il avait l'impression que ses membres allaient exploser dans ses chaussures noires, que ceux-ci étaient bien trop serrés. Il n'avait qu'une envie, les quitter immédiatement. Ses orteils le démangeaient. Il les fit craquer.
Lorsqu'il reposa son regard entre les arbres, il vit que le petit groupe qui l'accompagnait, s'était arrêté brusquement. La forêt prenait fin sur une falaise, dont la chute était plongeante et vertigineuse. Son épouse, Elyris, jeune femme à la peau claire et aux cheveux blonds, couverte de brindilles marron et de boue, regardait quelque chose en contrebas. Le Duc s'approcha lentement pour ne pas glisser et se retrouver soudainement, dix mètres plus bas. Quelques graviers dégringolèrent, alors que son pied foulait la roche de granit blanc.
— Tout va bien ? demanda-t-il, passant une main rassurante dans le dos de sa femme.
Elyris, vêtue d'habits de marche de couleur plutôt sombre pour se fondre dans le décor, fixait la ville d'Entérine en contrebas. Les habitations de tuiles rouges et de briques beiges, paraissaient toute petites vues d'ici. Les champs et les plaines qui entouraient la Capitale, commençaient doucement à fleurir, recouvrant tout d'un joli tapis coloré. La température ne faisait que grimper ces dernières semaines. Et cela était propice à un bon développement de la Nature, normalement. Celle-ci avait une place de choix à Norvden, puisque la magie sylvestre qui lui était liée, était ce qui les avait sauvés, dix ans auparavant. Elle était rattachée à l'Asténia. Sans elle, le royaume n'existerait probablement plus...
— Oui, murmura-t-elle sans conviction, le visage peint d'une expression de contrariété.
Car sans ces pouvoirs, le peuple de Norvden risquait à nouveaude subir les assauts du temps, des maladies et des catastrophes naturelles. Il ne tiendrait pas très longtemps. Il fallait donc agir vite et avec efficacité. C'était pour cela que le roi les avait envoyé dans cette forêt, regorgeant de l'énergie de la magie sylvestre. Il fallait trouver une deuxième source, pour que le royaume ne soit pas pris au dépourvu, un jour.
— Quelque chose cloche, murmura soudain la duchesse, en se tournant brusquement en direction des bois.
Elle scruta la forêt d'un œil perçant et précis. Leur petit groupe de cinq personnes se trouvait en bord de falaise et donc vulnérable. Ils seraient piégés, si jamais ils devaient fuir pour sauver leurs vies, face à une menace arrivant de derrière les arbres. La jeune femme d'une trentaine d'années, n'aimait pas cela du tout. Ses longs cheveux blonds étaient attachés en chignon serré sur le dessus de sa tête. Cela n'empêchait pas quelques mèches plus foncées, de se frayer un chemin jusqu'à ses joues, se recourbant contre son menton. Ses yeux bleus étincelaient d'une peur grandissante, à mesure qu'elle écoutait les bruits que produisait la forêt. Elle avait ce don-là, celui de pouvoir détecter le moindre intrus, la moindre fausse note dans l'environnement naturel qui l'entourait. Et là, elle sentait la présence d'un groupe non identifié qui grimpait jusqu'à eux. La Nature lui affirmait qu'ils étaient dangereux...
— Quelqu'un vient, chuchota-t-elle à l'attention de son mari.
Les cheveux châtains, le visage fin mais taillé avec dureté, les prunelles d'un vert aussi vif que celui du feuillage des arbres, le duc acquiesça et fit signe à tout le monde de se taire. Ils ne devaient pas se faire repérer. Car ils ignoraient de qui il s'agissait. Sous forme de gestes, la duchesse expliqua qu'il fallait qu'ils se cachent. Mais ils n'en eurent pas le temps. Ni le besoin au final. Car les visages qui émergèrent de derrière les arbres, étaient connus et de premier abord, non dangereux.
— Nor ! Bon sang, vous nous avez fait peur, lança le duc en soupirant, se passant une main dans les cheveux pour repousser une mèche qui cachait son champ de vision.
Téone inspira fortement pour réguler l'angoisse qui s'était installée dans son cœur. Depuis que Stan avait juré la perte de la magie, les deux nobles se sentaient menacés et observés. Ce qui expliquait qu'ils soient aussi méfiants.
Le premier lieutenant du roi se tenait immobile, entouré de cinq gardes en armures blanches et argentées, à l'orée de la forêt. Son visage était impassible et n'exprimait aucun sentiment. Pas la moindre lueur dans son regard noisette.
— Pourquoi aviez-vous donc si peur, mon cher Téone ? susurra le Lieutenant d'une voix mièvre, qui détonnait franchement avec son comportement. Avez-vous quelque chose à vous reprocher ?
Le duc fronça les sourcils, devant cette attitude qui ne lui ressemblait pas. D'ordinaire, Nor était un homme charmant, obéissant aux ordres, et très bien éduqué. La duchesse prit soudain la main de son époux, lorsqu'elle sentit l'odeur âcre du danger. Elle flottait dans l'air comme un poison, embrouillant les sens aiguisés de la jeune noble. Elle ne dit rien pour n'alarmer personne, mais Téone comprit que quelque chose clochait. Il avait appris à faire confiance au don de sa femme. Celui-ci les avait déjà tirés de plus d'une situation périlleuse.
— Nous sommes ici en mission secrète, sur ordre du Roi, affirma Téone avec confiance, en se plaçant devant le petit groupe, entouré de deux de ses soldats, armés d'épée en acier. Vous n'avez pas à nous suivre, ni à nous demander de quoi il retourne.
Son ton était sans appel et si dur, que les gardes du Lieutenant frémirent. Ils reculèrent d'un pas, impressionnés par la prestance du duc de Solvyre. Cet homme était éminemment respecté à la cour. Lui désobéir pouvait déchaîner les foudres du roi, avec lequel ils étaient très amis.
Mais Nor resta impassible, le visage empreint d'une expression cruelle, désormais.
— Vous êtes des hors-la-loi pour lui ! tonna-t-il en fixant froidement les deux nobles. Et pour cela, mourrez ! cracha-t-il en les pointant du doigt.
Sur ces mots, lui et ses cinq gardes se précipitèrent sur le petit groupe. Là, les soldats n'hésitèrent pas une seconde. La duchesse eut juste le temps de hurler, en voyant ses compagnons être poussés du haut de la falaise. Des cris percèrent d'abord la brume, puis des bruits mats d'atterrissage violents, signifiant une mort atroce. Bousculée à son tour dans le précipice, la jeune femme fit pousser une liane depuis le granit de la falaise, qui entoura son bras fin et blanc, alors qu'elle tombait dans le vide. La plante grimpante, d'une grande solidité, la retenait fermement, alors que son corps était calé contre la pente abrupte. La duchesse tenait son mari par son bras libre, l'empêchant ainsi de faire le grand saut. L'expression de terreur qui peignait le visage du duc, signifiait un grand désespoir.
— Nor ! hurla-t-elle, furieuse et désespérée, le cœur battant. Pourquoi cette trahison ?
Le premier lieutenant se pencha en avant, s'accroupissant pour mieux les voir, observant les deux êtres humains s'agripper de toutes leurs forces, pour sauver leurs vies. Leurs visages étaient pâlis par la mort imminente qui les attendait et la peur consciente de celle-ci.
— Parce que quelqu'un souhaitait votre mort. Tout simplement, conclut-il avec un sourire machiavélique, dévoilant ses dents d'une blancheur impeccable.
Puis d'un coup d'épée puissant, il trancha la liane verte.
A nouveau, des cris perçants résonnèrent dans toute la vallée, avant qu'ils ne s'éteignent définitivement, comme les premiers.
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