MARS
- Alors, qu'est-ce que t'attends ?
Je dévale les marches de bois en enfilant un bonnet en laine vert sapin sur mes cheveux platine. Rye était adossé au mur, déjà emmitouflé dans sa veste. Je lui donne une tape amicale sur l'épaule tandis que nous sortons de la maison. Le froid nous mord les joues et je ne peux m'empêcher de sourire discrètement. Dieu que j'aime cette vie.
- J'espère que Maja ne nous en voudra pas trop d'être partis sans elle.
- Tu parles, elle ne s'en rendra même pas compte. Trop occupée à galocher son mec.
Rye s'esclaffe, un nuage blanc sortant de sa bouche.
- Et puis, ça nous laisse un peu de temps pour nous, ajouté-je en effleurant ses doigts.
Il tourne son visage vers moi et plante son regard sombre dans le mien.
- Tu as raison, murmure-t-il avant de m'approcher un peu plus près de lui.
Un silence s'installe, il fixe mes lèvres.
- Je ne l'ai pas encore dit à mon père alors si on pouvait éviter de s'embrasser devant la maison, ça m'arrangerais, lui glissais-je avec un sourire un peu coupable.
Le garçon me plaque un baiser sur la joue en riant. Un peu paniqué, je scrute les alentours en priant pour que personne ne nous ait vus. Heureusement, la maison est assez reculée et mon père devait être enfermé dans son bureau. Je m'élance à la poursuite de mon meilleur ami et depuis peu, petit copain. Ce soir-là, nous avions grimpé un peu plus haut sur la falaise, traversant la forêt qui entourait la maison. Nous avions ri, des dizaines de fois. On s'est embrassés, presque tout le temps. Personne ne pouvait nous voir, cachés par les arbres. Ce soir-là, Rye m'a dit qu'il m'aimait depuis longtemps. Que ça durait depuis un an déjà. Ce soir-là, je suis tombé amoureux.
*****
Je suis tiré de ma sieste par des bruits de fracas provenant du rez-de-chaussée. Ça ne peut être que Maja. Je reste longtemps immobile dans mes draps défaits, me demandant pour quelle putain de raison je me lèverai. Je n'ai aucun but. Je n'ai envie de rien, pas même de mourir. Toute action me semble vaine. Je ferme les yeux. Je reconnais ces jours où je m'enfonce un peu plus dans l'indifférence. A chaque nouveau palier franchi, je vois mes chances de vivre comme avant se réduire. C'est pire que la mort. C'est pire que tout.
- Antarès !
Je sursaute. Maja m'appelle. Sa voix est légèrement éraillée. C'est ce qui me pousse à me lever et sortir de la chambre. Ma sœur me regarde depuis le salon, le téléphone collé contre sa poitrine pour empêcher son interlocuteur d'entendre notre échange.
- Tu peux m'expliquer pourquoi l'hôpital cherche à te joindre ?
Je fronce les sourcils et m'empresse de la rejoindre. Je plaque le combiné contre mon oreille.
- Allo ?
- Antarès Jarvinen ?
- Lui-même. Pourquoi est-ce que vous m'appelez ?
- C'est au sujet de votre frère...
- Mon frère ? la coupais-je en lançant un regard d'incompréhension à Maja qui se rongeait les ongles devant moi.
- Orion Jarvinen. Il est hospitalisé suite à une tentative de suicide et a indiqué que vous étiez la personne à contacter en cas de besoin. Votre présence est requise de toute urgence.
Je reste silencieux quelques secondes, sous le choc des informations que je venais d'apprendre.
- J'arrive tout de suite, finis-je par articuler avant de raccrocher.
Ma sœur me dévisage, les yeux remplis d'inquiétudes.
- Je peux emprunter ta voiture ?
*****
Je conduis comme un dingue jusqu'à l'hôpital. Je ne sais même pas pourquoi. J'ai une sorte de mauvais pressentiment. Comme si j'avais toujours su ce qui allait se passer et que je n'avais rien fait pour empêcher ça. Au fond de moi, je ne veux pas qu'il arrive quelque chose au garçon de la boulangerie. Je ne sais pas grand-chose de lui. Seulement son nom, la couleur de ses yeux, le son de sa voix, qu'il ne va pas bien.
J'ai garé la voiture de ma sœur et me suis approché du hall à grandes enjambées, sans même prendre la peine de la verrouiller. On est en Vendée, personne ne vole de voiture ici. J'ai rapidement rejoint le comptoir et l'hôtesse d'accueil m'a indiqué le numéro de chambre d'Orion. J'ai pris l'ascenseur, réajustant mon le col de ma chemise qui dépasse de mon pull, puis je suis sorti. L'ambiance des couloirs est feutrée, quelques aides-soignants circulent. Bizarrement, c'est très silencieux. Je ne sais plus vraiment si c'était une bonne idée de venir ici. Je connais à peine Orion. Il a beau m'attirer, nous ne sommes rien l'un pour l'autre. Nous partageons le même air une heure par semaine et ça s'arrête là. Pourtant, c'est mon nom qu'il a donné. Dix-neuf heures cinquante huit. J'entre dans la chambre que m'a indiquée la jeune femme tout à l'heure. Il est là. Allongé sur un lit aux draps bleus ciels, le teint plus pâle qu'à son habitude, mais pas autant que le mien. L'infirmière se retire mais je la remarque à peine lorsqu'elle me frôle. Mes yeux sont braqués sur le garçon qui a tenté de mettre fin à ses jours.
Orion se redresse après que nous nous soyons dévisagés longuement, puis se racle la gorge avant de prendre la parole.
- Désolé d'interrompre ta soirée. Mais je suis dans une situation délicate, vois-tu, il n'y a personne d'autre que je puisse appeler.
Je ne dis rien pendant quelques instants, me demandant à quel point ce garçon devait être seul pour n'avoir personne d'autre à appeler qu'un gars arrogant qu'il croise en thérapie une fois par semaine, alors qu'il est allongé sur un lit d'hôpital. Je m'avance finalement vers lui, mes yeux braqués sur le sol avant de les lever vers lui.
- Je devrais t'insulter rien que pour m'avoir tiré de ma sieste.
Techniquement, j'étais déjà réveillé avant que l'hôpital ne téléphone chez nous. Mais il ne doit pas croire que parce qu'il est mal en point, je vais subitement devenir doux avec lui. Contre toute attente, Orion se mord la lèvre et esquisse un sourire sincère.
- Merci de t'être levé pour moi. Je dois dire que mon ego est flatté.
Il se tait pendant quelques secondes, observant rapidement la pièce.
- Maintenant sors-moi de là, Antarès.
Alors c'est donc ce qu'il attend de moi. Que je le sauve. Je souris à mon tour et tire une chaise près de son lit. Je m'installe en plaçant mes coudes sur le matelas, le menton sur mes phalanges croisées.
- Dis-moi d'abord comment t'es arrivé ici.
Ma question semble le perturber. Il croise ses bras devant sa poitrine, sembler chercher ses mots.
- Je n'ai pas essayé de me tuer. J'ai dérapé, c'est tout. Overdose.
- Qui me dit que si je te sors de là, tu ne recommenceras pas ? Tu m'as l'air d'un gars qui dérape plus que la normale, soupiré-je après avoir pesé le pour et le contre.
- Deux choix s'offrent à toi. Et comme tu m'as l'air d'être un gars intelligent, tu feras le bon. Le premier : me laisser pourrir ici, jusqu'à ce qu'éventuellement ils me virent pour laisser le lit à un énième petit vieux qui se sera cassé la gueule dans son escalier, ou pire, qu'ils découvrent que mon père bosse ici et qu'ils le sortent de son week-end à Paris pour récupérer son gosse dérangé. Histoire d'ajouter une couche à la déception que je suis déjà. Le second : me faire sortir et m'éviter de gros problèmes, tout en notant dans ta réflexion profonde que non, je. N'ai. Pas. Essayé. De. Me. Suicider.
Le jeune homme se redresse et se penche vers moi.
- J'ai une petite préférence pour la deuxième option. Je ne sais pas toi.
Je suis un peu déstabilisé par cet Orion bavard. Je n'avais jamais entendu autant de mots sortir de sa bouche à la suite. Et ce soir, j'ai appris plus de choses sur lui qu'en trois mois de thérapie groupée. Encore une preuve de l'incompétence d'Aline Weil. Je lance un regard espiègle au jeune homme et fait semblant de porter un grand intérêt aux draps.
- C'est clair que la deuxième option me ferait passer pour un héros. Sauf que moi, je suis le méchant de l'histoire. Qu'est-ce que je gagne à ta rendre ce service ?
- Ma sincère reconnaissance. Voire une pizza.
Mon sourire s'agrandi encore. Je me lève de ma chaise et m'approche un peu trop près du garçon, le forçant à se coller au fond de son lit s'il souhaite garder une distance raisonnable entre nos deux visages. J'observe ses traits en silence, inspirant son parfum naturel. Roche, miel et sapin.
- Va pour la pizza alors. Chez toi, dans une semaine, finis-je par murmurer d'une voix rauque.
Il glisse un « parfait » dans un souffle, les joues colorées. Je me redresse et fais quelques pas en arrière.
- Maintenant, laisse faire l'expert.
Je m'apprête à sortir mais me retourne vers lui et regarde Orion sur son lit d'hôpital. Sa blouse bleue découvre l'une de ses clavicules. Dieu qu'il est sexy.
Je m'engage dans le couloir et cherche rapidement des yeux la secrétaire du niveau. Lorsque je l'aperçois, ses doigts nouant ses cheveux devant un miroir de poche, j'humidifie mes lèvres et m'approche d'elle.
- Si j'étais vous, je les laisserais détachés.
Elle relève la tête dans un sursaut.
- Pardon ?
- Ils sont d'une brillance... Comment faites-vous pour les garder en si bonne santé, malgré leur longueur ?
- Oh vous savez, c'est seulement une petite routine à prendre. Et euh... C'est votre vraie couleur ?
Je lui décoche mon plus beau sourire.
- Devinez. Approchez, si vous voulez.
Timidement, elle se lève et tend sa main vers ma masse capillaire. J'en profite pour passer mes bras des deux côtés de son corps et l'encercler.
- Ils... Ils sont très doux.
- Vos lèvres ont l'air d'être douces, elles aussi. Permettez ?
Bouche bée, elle me regarde approcher mon visage du sien, l'embrassant doucement. Le contact de mes lèvres sur les siennes semble la ravir et elle m'entraîne dans une pièce à côté de son bureau. Sans lâcher ma bouche, elle pousse quelques cartons et se colle contre un mur. Je défais la fermeture éclair de sa jupe et joue mon petit numéro de sensualité.
Je m'empresse ensuite de rejoindre Orion dans sa chambre, abandonnant la secrétaire chamboulée dans le local que j'ai pris soin de verrouiller de l'extérieur. Je m'aperçois qu'il s'est changé (dommage) et qu'il m'attend patiemment. Il fait une grimace en examinant mon apparence mais je n'y prête pas attention.
- La secrétaire se rhabille, on a cinq petites minutes alors dépêche-toi.
Il se lève et une fois placé à ma hauteur, il me lance d'un ton joueur :
- Tu ne sais pas te tenir, pas vrai ?
Je lui adresse un clin d'œil puis baisse machinalement les yeux vers ses pieds qui sont à ma plus grande surprise, nus.
- Je peux savoir ce que t'as foutus de tes chaussures ? Non, tu sais quoi ? On a pas le temps de les trouver. Allez viens.
- J'en avais p...
Je lui attrape le poignet et l'entraîne derrière moi, l'empêchant de terminer sa phrase. Je fais diversions et agis comme si tout était parfaitement en règle. Une fois dans la cabine d'ascenseur, j'appuie frénétiquement sur le bouton qui indique le rez-de-chaussée. Lorsque les portes se sont refermées, j'en profite pour me recoiffer et réajuster mon col dans le miroir, comme à mon premier passage dans cette cabine.
- A partir de là, tu ne dis rien, tu baisses la tête et tu me suis. T'as compris ?
- Je suis puceau.
Il a dit ça en haussant les épaules, toujours avec cet air nonchalant, adossé à l'une des parois. Je me retourne vers lui, surpris par sa réponse. Je l'examine de haut en bas avant de murmurer :
- Un corps pur et un esprit innocent. Encore plus intéressant.
Les portes s'ouvrent. Je fais signe à Orion de me suivre en suivant mes ordres et traverse le hall, lui sur mes talons. Nous disparaissons parmi la foule qui attend de recevoir des soins des Urgences. Très vite, nous atteignons les portes vitrées. Je râle silencieusement en m'apercevant qu'il pleut des trombes d'eau dehors. J'ai toujours détesté les giboulées de mars ici. Je regarde le jeune homme presque tremblant à côté de moi, ses pupilles dilatées et la respiration bruyante. Et puis, ses pieds nus.
- Bon allez, grimpe sur mon dos, soupiré-je.
- Pardon ?
- Tu tiens à peine sur tes deux jambes, t'as même pas de chaussures et il pleut des cordes dehors. Je préfère te porter maintenant plutôt que de devoir te ramasser dans quinze mètres.
Je vois qu'il hésite mais il finit par capituler et monte sur mon dos en soufflant :
- Dépêche.
Les portes automatiques s'ouvrent et je m'élance dehors. Je ne fais pas attention à mes cheveux qui se plaquent contre mon crâne ni au vent qui me mord la peau, mais m'inquiète plutôt pour le garçon qui grelotte contre mon dos. Je repense au fait qu'il y a une heure de ça, j'étais en train de me morfondre dans mon lit. Là, je cours sur un parking sous une pluie battante, Orion accroché à moi. J'éclate de rire sans vraiment savoir pourquoi. Je me sens vivant. J'ai mal aux épaules, j'ai froid, Orion est lourd. Et je ris. La cage thoracique d'Orion vibre à son tour contre mes omoplates, entraîné par mon rire spontané. Il essaie de me protéger de la pluie en plaçant ses mains au-dessus de mon front mais c'est trop tard, l'eau ruisselle déjà sur mes joues blanches. J'ouvre la portière côté passager pour déposer Orion sur le siège. Heureusement que je n'avais pas verrouillé la voiture. Je m'installe rapidement derrière le volant et claque ma portière. Nous reprenons notre souffle, le jeune homme riant encore à côté de moi. Il s'arrête un instant, tourne la tête vers moi puis rit à nouveau.
- T'es dans un sale état mon gars.
Je vois, maintenant ça se moque. Je l'admire quelques secondes lorsqu'il rejette la tête en arrière, riant à en perdre haleine.
- Si tu commences, je te ramène là-bas.
- T'oserais pas, me défit-il.
- Tu ne sais pas de quoi je suis capable, dis-je en allumant le chauffage.
Il semble inspecter ma voiture avec une certaine crainte de le regard avant de me demander d'une voix étranglée :
- Tu as ton permis ?
- Je sais que j'ai l'air de faire beaucoup d'entorses aux règles mais crois-moi, j'ai mon permis et je sais parfaitement conduire.
- J'ai pas vraiment d'autres choix que de te croire.
Il approche ses mains des grilles d'aération pour se réchauffer.
- Dix-huit ans c'est ça ?
- Ouais, c'est ça. Et toi dix-sept ?
- Exact.
Il se mord la lèvre inférieure, apparemment en proie à des débats intérieurs.
- Allons-y, tu veux ?
Je l'observe attacher sa ceinture en vérifiant qu'elle soit bien à plat contre sa poitrine et je fais de même. Je met le contact, puis démarre. Je cesse de le fixer pour jeter un coup d'œil à mes rétros et m'engage sur la route.
- Tu veux que je te dépose chez toi ou autre part ?
- Tu as une idée en tête ?
- J'en sais rien, et toi ? D'après ce que j'ai compris, ton père est à Paris et ça n'a pas l'air d'être la fête tous les jours entre vous.
- Il fait ce qu'il peut, j'imagine.
Je sens qu'il m'analyse silencieusement.
- Ils ont pris le week-end. Pour la première fois depuis... longtemps. La maison est vide.
Cela sonne étrangement comme une invitation.
- Tu veux... commence-t-il.
- Je suppose que ce n'est pas raisonnable de te laisser seul ce soir. Tu peux venir chez moi si tu préfères, ma sœur sera là, le coupé-je, évoquant Maja pour lui faire comprendre qu'il n'y avait pas de sous-entendus malsains dans cette proposition.
Il ne dit rien, alors je rajoute :
- Elle est plutôt cool. Un peu chiante, mais tu devrais bien t'entendre avec elle.
Il finit par hocher la tête avant de lancer avec sarcasme :
- Tu comptes me présenter comment ? « Juste un mec taré d'une bande de tarés que je rejoins une fois par semaine » ?
- Oh tu sais, les gars un peu bizarres, elle a l'habitude. On vit ensemble depuis dix-huit ans, souris-je franchement.
Il rit doucement.
- Merci. D'être venu. Vraiment.
J'hausse les épaules, soudainement mal à l'aise.
- C'est pas comme si j'avais eu le choix, Maja m'aurait tué et traité d'égoïste narcissique jusqu'à la fin de mes jours si je ne l'avais pas fait. Maintenant, arrête de me remercier sinon j'te jure que je te laisse sur le bord de la route, chaussures ou pas.
Il ne répond pas tout de suite, regardant les maisons encore allumées défiler derrière la fenêtre. Nous arrivons bientôt dans la rue de notre maison et c'est le moment qu'il choisit pour s'exprimer à nouveau.
- T'as eu les mercis de toute une vie, t'entendras plus jamais ces mots de ma bouche, rassure-toi.
Je gare la voiture sur les graviers.
- Allez, le monstre nous attend à l'intérieur. Prépare-toi à un interrogatoire musclé.
Nous claquons nos portières en même temps.
- ça ne peut pas être si terrible.
A l'instant où il prononce ces mots, Maja sort en trombe de la maison, un plaid sur les épaules.
- Antarès ! commence-t-elle à crier, visiblement énervée.
Son regard glisse jusqu'à Orion et son expression s'adoucie. Elle cale une mèche de ses cheveux derrière son oreille, vérifie discrètement sa tenue et lui adresse un sourire chaleureux. Ça y est, ma sœur est sous le charme.
- Oh, salut. Bon, rentrez les garçons. Merde, vous êtes trempés ! Allez vous changer, Antarès te prêtera des vêtements, n'est-ce pas ? Bien. On va te trouver un coin où dormir. Attend, c'est quoi ton nom ? T'as quel âge ? C'est toi qui étais à l'hôpital ? Mon dieu, ça va ?
Ma sœur débite ces paroles à la vitesse de la lumière, assaillant Orion de questions. Doucement, je la prends par les épaules et la pousse pour qu'elle nous laisse passer.
- On verra ça demain. Bonne nuit Maja.
Je lui embrasse le front, pour la première fois depuis longtemps, puis fait signe à Orion de me suivre.
- Orion, bonsoir, se présente-t-il à ma sœur avant de presser le pas pour me suivre.
Nous montons les premières marches des escaliers tandis qu'il me pose une question qui me fige.
- Vous vivez seuls ?
Ne t'aventure pas de ce côté-là, Orion. Je risquerais de te foutre dehors.
- Ouais. Bon, ça te dérange de dormir dans le même lit que moi ou tu préfères que j'aille sur le canapé ?
- Peu importe.
Il s'avance dans ma chambre, explore la pièce du regard.
- Ne t'embête pas, ajoute-t-il.
J'ouvre mon armoire et lui lance des vêtements de rechange.
- Ma chambre donne sur la salle de bain, tu peux aller te changer et prendre une douche si tu veux, dis-je en commençant à retirer le tee-shirt qui me collait à la peau.
Il disparaît très vite dans la pièce à côté et quelques minutes plus tard, je peux entendre l'eau couler. Je mets des vêtements secs et confortables avant de me glisser sous les draps, exténué. Il ressors une dizaine de minutes plus tard, apportant un parfum agréable jusqu'à mes narines. Il marche vers le lit tout en enfilant le tee-shirt que je lui ai prêté, me laissant apercevoir son torse un quart de seconde.
- A en juger par les affaires féminines lâchées un peu partout dans ta chambre et dans la salle de bain, ma théorie à ton sujet se confirme.
Les yeux fermés, allongé sur le dos et la tête reposant sur mes bras croisés, je lui demande d'une voix traînante :
- Quelle théorie ?
Je le sens s'installer près de moi, le lit s'affaissant un peu de son côté.
- T'es nymphomane.
Je m'étouffe avec ma propre salive, ouvre brutalement les yeux avant d'éclater de rire. Orion est imprévisible.
- Merde, je m'y attendais pas. Alors c'est vraiment ce que tu crois ?
- Je ne vois pas d'autres options. T'as jamais ouvert ta gueule sur toi-même. Et tu sembles sauter sur tout ce qui bouge.
Je réfléchis, tenté de tout lui dire, là, dans la nuit de mars. Il n'a pas tort. En trois mois, je n'ai rien dit d'autres que des reproches à Weil ou des moqueries autres.
- Tu ne crois pas que je t'aurais déjà sauté dessus si je l'étais vraiment ? Pour être nympho, il faudrait éprouver du plaisir. Et moi... je n'en ressens aucun. C'est une sorte de quête de... une quête de sensations. Je suis anhédonique. Je suis incapable de ressentir quelque chose de positif, tu vois ? Alors j'essaie juste de retrouver ce que j'ai perdu. Je ne pense pas qu'on puisse m'en vouloir pour essayer de m'en sortir.
Je sens qu'il m'observe en silence, m'analysant encore une fois.
- Mais à trop vouloir ressentir, peut-être que tu ne ressens pas de la bonne façon. Que tu ressens trop. Ma sœur m'a toujours répété de préférer la qualité à la quantité.
Alors comme ça, il a une sœur. Ses mots semblaient trouver leur sens au fond de moi, bien que je ne sois pas encore totalement convaincu.
- Peut-être. De toute façon, je crois que c'est trop tard.
Je lui tourne le dos, collant ma joue contre l'oreiller.
- Bonne nuit, bel Orion, murmuré-je.
- Bonne nuit, Antarès.
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