Another Way To Die
Shizuo écrasa sa cigarette sur le talon de sa chaussure. Une veine battait sur sa tempe, ses sourcils étaient terriblement froncés. La journée avait été longue, trop longue, et de trop nombreux endettés l'avait énervé. Tom avait soupiré trop de fois, et l'avait sermonné trop de fois aussi. C'était le genre de journée qui n'arrive que rarement, et que l'on aimerait fuir à jamais, tellement elles sont épuisantes. C'était l'une de ces journées de trop où l'on maudissait le soleil de s'être levé, et l'on aurait préféré que rien ne nous tire du lit au moment fatidique du réveil.
Ikebukuro baignait dans le crépuscule orangé du soleil, et l'homme remit ses lunettes de soleil en place. La foule de gens gris avançait froidement, d'une monotonie digne d'un automate, même si l'on pouvait croiser parfois un rêveur perdu dans un monde dont lui seul connaissait l'existence. Shizuo soupira. Il était morose, et avait une rage dévorante qui lui tiraillait l'estomac. Il serra les dents et senti un hurlement dément se coincer dans sa gorge. Il avait envie de ravager la ville entière, car même s'il l'aimait de toute son âme, il la détestait tout autant.
Il la détestait parce qu'elle le considérait comme un monstre, il l'aimait parce qu'il était devenu un élément du décor. Mais à cet instant précis, la foule monotone sentait l'eau bouillir dans celui que l'on disait être le plus fort d'Ikebukuro, et prenait peur petit à petit. Finalement, Shizuo se retrouva seul, au beau milieu de la rue la plus fréquentée de la ville. Perdu dans ses pensées, il ne le remarqua même pas, et se laissa guider par ses pas jusqu'à son appartement. Il ne pensait à rien en vérité. Peut-être juste à demain, ou peut-être juste à maintenant, lui même n'en savait rien.
Shizuo ne vit pas le van foncer droit sur lui.
Un rire à la fois cristallin et diabolique s'éleva dans la lueur crépusculaire où baignait les immeubles, au beau milieu des hurlements des gens terrifiés à l'idée d'avoir assisté à un meurtre sanguinaire. Shizuo venait de valser disgracieusement sur plusieurs mètres, avant de se relever, fulminant et grondant, comme un animal prêt à attaquer et à déchiqueter son ennemi d'un seul coup de croc. Il regarda le conducteur du van, un inconnu sans importance, raide et terrifié, les mains crispées sur son volant. Le conducteur savait qu'il n'aurait jamais dû accepter cette mission, aussi bien payée soit-elle.
Tout en voyant l'homme habillé en barman s'approcher dangereusement de lui, sa vie défilait devant ses yeux. Même s'il savait que personne n'était mort de sa main, il se voyait déjà disloqué et démembré à cause de la force herculéenne de l'homme qu'il venait de tenter de tuer. Dans un ultime sursaut de survie, le conducteur abandonna le van au moment où Shizuo venait d'attraper le par-choc pour l'envoyer voler, avant qu'il ne s'écrase quelques mètres plus loin, dans un immense nuage de poussière. L'inconnu se mit à hurler de terreur avant de disparaître en courant, en suppliant Shizuo de ne pas le tuer.
Le blond le regarda s'enfuir, toujours aussi fulminant, sans pour autant tenter de le poursuivre. Il était trop fatigué, il voulait juste rentrer chez lui et se coucher pour ne pas se réveiller. Shizuo tira un paquet de cigarettes de sa poche, pour en attraper une et la coincer entre ses lèvres. Il l'alluma en un coup de poignet avec un briquet caché dans l'autre poche, et reprit sa route, sous le regard de la foule monotone, incrédule de ce flegme devenu légendaire. Mais dans la foule, un homme n'était pas aussi monotone et gris que ceux qui l'entourait.
Il avait un sourire moqueur sur le visage, qui s'était assombri envoyant le blond partir sans faire attention à lui, alors qu'il avait rit tellement fort que les immeubles se le renvoyait encore. Même s'il avait son éternel grand sourire, Izaya enrageait que Shizuo ne se soit pas retourné vers lui à l'instant même où il s'était relevé. C'était pourtant évident que c'était lui qui avait commandité cet accident. Ou bien était-ce une tentative de meurtre ? Toujours est-il qu'il n'y avait que lui pour avoir ce genre d'idée, aussi audacieuse que folle. Izaya était le seul être sur Terre à être capable de provoquer Shizuo sans crainte ou danger. Après tout, il était peut-être aussi fort que celui avec les cheveux décolorés.
─ Et bien Shizu-chan ? On part sans me dire bonjour ?
Izaya s'était déplacé avec son agilité et son élégance habituelle, pour se retrouver juste derrière le barman. Même si c'était un mouvement d'une imperceptibilité incroyable, Izaya sentit le dos de Shizuo se contracter au son de sa voix. Chacun de ses muscles étaient tendus jusqu'à la rupture, et quiconque passant par là aurait sentit le danger émaner de lui. Car effectivement, rester sur le chemin du blond quand le brun était dans les parages était plus que dangereux. Shizuo venait d'entrer dans une colère noire, et la ville se paralysa un court instant en entendant le hurlement animal qui s'élevait dans le ciel de plus en plus crépusculaire d'Ikebukuro.
La partie du chat et de la souris commença.
Il était impensable que l'un des deux gagne cette fois encore, malgré l'esprit particulièrement joueur d'Izaya, et l'humeur massacrante de Shizuo ce jour là, et pourtant, les deux hommes se mirent à jouer. Un jeu dangereux, où Shizuo arrachait panneau de circulation à l'asphalte, et où Izaya évitait burlesques lancers de voiture. N'importe qui de normal aurait appelé la police pour les arrêter, mais Ikebukuro était une ville de fou où ces scènes étaient devenues habituelles. La foule grise et monotone reprit sa route sans faire réellement attention au cirque des deux ennemis de la nuit des temps.
Il fallait dire que ce n'était pas qu'une ville de fou. C'était aussi une ville de monstre, attirant à elle, comme un aimant géant à bizarreries, d'autres monstres, qui se perdaient au milieu de ces gens gris qui n'avait rien de particulier, à part peut-être leur absence flagrante d'existence. De cette jeune demoiselle aux yeux rouges, à ce médecin illégal, tous ceux qui sortaient de l'ordinaire s'étaient, par un étrange coup du destin, retrouvés dans cette ville où crépuscule rimerait sans doute toujours avec mystère. Quelque part, un hennissement silencieux transperce une nouvelle fois la route.
Parmi ces nombreux, et sans doute innombrables monstres, Shizuo et Izaya faisaient office de représentants. Si certains étaient insaisissables, comme ce motard noir que l'on disait sans tête, ils faisaient parti de ceux de la vie quotidienne, que l'on croise un jour comme les autres au détour d'une rue en étant surpris, voir même heureux, et que l'on peut recroiser le lendemain sans y faire attention une seconde fois. Ils étaient de ces monstres là, ceux du quotidien dont les éternelles rixes étaient presque devenues le gagne pain de certains journalistes avides de charognes pour ne produire que des torchons sans le moindre intérêt.
Tout le monde était persuadé que Shizuo et Izaya étaient et seraient toujours des ennemis mortels. Tout le monde pensait que l'un allait tuer l'autre un beau jour, mais personne n'était capable de dire lequel serait vainqueur, puisque même s'ils n'étaient que des monstres du quotidien, ils étaient tous les deux des monstres invincibles, sans doute capables de défier Dieu lui-même s'il existait. Voilà ce dont tout le monde dans cette ville de fou et de monstres pensait de ces deux hommes détruisant jour après jour bitume et voitures.
Mais ce que personne ne savait, c'est qu'aucun des deux ne se détestaient vraiment. Oui, l'un comme l'autre, ils voulaient que la souffrance règne, mais une souffrance partagée, et jouissive dans la plupart de leurs fantasmes les plus inavouables. En vérité, ces courses poursuites étaient comme un jeu de séduction étrange et même incompréhensible. Il fallait dire que ce n'était pas l'idée que beaucoup se font du rendez-vous romantique. Les deux hommes étaient loin du dîner aux chandelles, ils préféraient cette espèce de jeu mortel.
Ils le préféraient peut-être, parce que même s'ils étaient ravagés de sentiments, ils étaient pétris d'une haine sans pareil. Peut-être que c'était cette haine qui les avaient fait s'aimer, ou alors c'était cet amour qui les avaient fait se détester. En vérité, ils se fichaient de savoir d'où venait les sentiments qui brûlaient en eux, le fait est qu'ils étaient là, depuis sûrement des années. Et même si Izaya s'était maudit d'aimer autant cet homme, il avait fini par accepter de se laisser aller, allant jusqu'à s'abandonner rien qu'au murmure solitaire de son prénom.
Car oui, Izaya s'était détesté de se rendre compte de cet amour qu'il pensait improbable. Les battements de son cœur n'avaient plus le moindre sens dès qu'il voyait le blond avec son éternelle cigarette. Ses sentiments aussi ahurissant que dénués de logique étaient apparus au lycée, il en était plus que certain, mais ce n'était quand étant devenu adulte qu'il s'était rendu compte du secret que contenait sa boîte de Pandore. Il en avait eu honte, avait voulu s'oublier dans les bras de n'importe quelle femme, même ceux de sa froide assistante, mais rien ne lui avait permis de passer à autre chose.
Il fallait dire qu'il était fou du blond. C'était sans doute pour cela qu'il lui avait donné ce surnom aussi ridicule qu'affectueux, comme un indice lancé au vent, avec l'espoir qu'il arrive à destination un jour. Il se serait presque désespéré de voir que ce tout ce qu'il envoyait, jusqu'à ses appels de phares les plus évidents, se perdaient dans une mer de colère d'une fantastique puissance. Izaya s'était presque persuadé qu'il était condamné à vivre dans le plaisir solitaire, à jouir seul, sans lui. Et de ce désespoir frustré renaquit la haine et la colère.
Les tentatives de meurtres se mirent à pleuvoir sur Ikebukuro et Shizuo. Si Izaya ne pouvait pas avoir le blond pour lui seul, alors personne ne l'aurait jamais, il en avait été décidé ainsi. Mais malgré ces avalanches de haine et de colère, Shizuo était toujours vivant, toujours plus déterminé à survivre, et toujours plus en colère que la veille, parce qu'en vérité, Izaya était incapable de le tuer. Izaya était tombé sous le charme de la Violence elle-même, et, il fallait s'en rendre compte, il avait prit un goût certain à cette sensation de danger quand il était près d'elle.
C'était vrai. Izaya avait finit par rechercher cette sensation d'excitation qui le parcourait dès qu'il devenait une souris pourchassée par le grand méchant loup qu'était Shizuo. Cette excitation qui le prenait aux tripes dès qu'il échappait à la mort de peu, c'était peut-être ce qui l'avait rendu éternellement fou du blond aux lunettes de soleil. Il n'en savait rien, il aimait ça et c'était tout, c'était devenu comme une drogue dont il ne pouvait plus se passer. Ou bien était-il devenu accro à la source du danger ? Dans tous les cas, c'était aussi pour cela qu'il continuait le bal des monstres. Parce que non seulement il était fou de Shizuo, mais parce qu'il apportait à sa vie bien morne une touche d'adrénaline qui ne pouvait, et ne risquerait pas le décevoir.
C'était pour ça qu'encore une fois aujourd'hui il avait demandé à ce chauffeur de lui foncer dessus, pour avoir sa dose de camé, parce que c'était ce qu'il était devenu. Un dépendant du danger, et surtout de l'amour qui avait prit possession de lui, de sa cruauté, et, il allait le reconnaître plus tard, de son univers entier. Izaya était amoureux de Shizuo, il l'avait enfin accepté.
Quant à Shizuo, il ne s'était pas réellement embêté avec la question. Enfin, il fallait reconnaître qu'il s'était mit en colère contre lui-même. Le jour de cette désagréable découverte, il avait erré dans toute la ville, sans doute à la recherche de l'informateur, comme pour se venger du sort qu'il lui avait lancé. Il avait ravagé une bonne partie de la ville, arrachant panneaux de circulation, distributeurs, et autres feux de circulation. Il en avait même été arrêté par la police, tant il était devenu dangereux, pour les autres comme pour lui.
Pour tout dire, Shizuo était persuadé que c'était l'un des plans détraqué d'Izaya pour lui prouver qu'il était faible, abruti et qu'il n'avait décidément rien d'un humain. C'était pour ça qu'il s'était mit en colère, parce qu'il s'en voulait d'être tombé aussi facilement dans ce qu'il pensait être le piège d'Izaya. Et c'était aussi pour ça qu'il s'acharnait encore plus à le tuer, comme pour lui prouver qu'il était plus fort que lui, plus fort que son intelligence détraquée, comme pour lui montrer qu'il était plus fort que lui sur absolument tous les points, malgré les sentiments qui lui enchaînaient le cœur.
Parce que Shizuo était tiraillé entre deux sentiments contraires. Il y'avait celui de la haine, où il ne réfléchissait plus que part le spectre du meurtre, et où il n'était plus qu'une bête sauvage assoiffée de sang, prête à sauter à la gorge de sa proie pour la déchiqueter et la dévorer, toute vivante qu'elle pouvait être. Parce que c'était ça, que Shizuo ressentait en permanence. Une folle envie de meurtre, de tuer Izaya lentement et douloureusement, pour se venger de tout ce qu'il lui avait fait subir. Shizuo voulait tuer Izaya en commençant par lui arracher les ongles.
Et puis il y avait ce sentiment amoureux qui lui faisait perdre toute constance, celui où quand il se retrouvait plongé dedans, il était incapable de ressentir la moindre fureur, juste un sentiment puissant, sincère et parfois presque dément. Parce que si Shizuo entrait dans une colère noire dès qu'il entendait la voix d'Izaya, terriblement agaçante et mélodieuse, il entrait aussi dans l'apothéose de son désir pour lui, une puissante vague destructrice, un tsunami assassin qui mettait fin à son existence de colère et de haine. Shizuo voulait dévorer Izaya en commençant par ses fines lèvres.
C'était devenu un paradoxe perpétuel dans l'âme de Shizuo, un étrange mélange de haine pure et d'un amour sincère. Il se perdait de plus en plus dans ces émotions qui le contrôlait plus qu'il ne les maîtrisaient. Mais c'était un paradoxe dans lequel il avait finit par se plaire et par apprécier cette sensation si particulière qui s'emparait de son ventre quand il était proche d'Izaya. Shizuo n'avait peut-être pas réussi à dresser le tigre qu'étaient ses sentiments, mais il avait réussi à vivre avec eux dans l'harmonie la plus parfaite. Finalement, il avait tout accepté, quitte à se faire effectivement rouler par Izaya.
Ils ne savaient plus vraiment comment ils s'étaient rendu compte de leurs sentiments aussi évidents qu'illogiques. Ils s'en étaient peut-être aperçus lors d'une de leurs courses-poursuites endiablées, ou alors simplement en réfléchissant au sens de tout ce cirque, chez eux, allongés sur un canapé ou un lit défait. Le plus important était de savoir qu'ils s'en étaient aperçus, la façon n'avait en vérité pas la moindre importance.
Mais même s'ils s'en étaient enfin rendu compte, le doute était toujours le roi dans leurs royaumes de pensées. Si la certitude était reine dans leurs sentiments, ils n'avaient pas la moindre idées de ce qu'il en était pour l'autre. En vérité, ils étaient tous les deux persuadés que la haine était trop violente chez l'autre pour que l'amour puisse se frayer un chemin jusqu'à leur cœur corrompus par les envies de meurtre et de sang.
C'était pour ça qu'ils ne s'étaient rien avoués, et qu'ils continuaient leur jeu, ou plutôt leur bal de mort à travers Ikebukuro, parce que c'était les seuls moments où ils étaient ensemble, et où ils ne devenaient finalement qu'une seule et même personne. C'est ce qui avait fait que l'un ne pouvait pas exister sans l'autre. Ils étaient indissociables, le genre de duo que l'on imagine pas se fracturer un jour. Même si c'était à se demander si ce n'était pas la fracture qui avait fait le duo, au vu de la violence et de la haine qui les avait réuni.
Ou alors ils attendaient simplement que l'autre avance le premier, tellement ils ne savaient pas quoi faire de ces sentiments qui leur étaient tombés dessus sans même un avertissement précurseur. Oui, c'était sans doute pour ça qu'ils ne faisaient que jouer au chat età la souris. Parce qu'ils attendaient un mouvement de l'adversaire. Peut-être une main tendue, un sourire, ou même un baiser volé au coin d'une rue. Les deux amants de l'ignorance attendaient n'importe quel signe pour que le jeu prenne fin.
Mais même s'ils attendaient ce signe, ils voulaient aussi être le premier à le donner. Parce que c'était une question d'ego, une question de victoire. Le premier à oser tout avouer serait le vainqueur de ce jeu où ni l'un ni l'autre ne savait réellement si son adversaire participait. C'était la peur au ventre qu'ils se disaient qu'ils étaient peut-être seuls à aimer, et qu'ils resteraient peut-être seuls dans cette mer déchaînée qu'était leurs émotions dès qu'ils étaient seuls avec eux même. Alors oui, ils voulaient être le premier à se déclarer, pour calmer la tempête qu'il y avait dans leurs têtes.
Mais être le premier à faire le pas était aussi avoir la peur de se prendre un coup toxique en plein cœur. C'était aussi pour ça qu'ils n'avaient rien tenté, voulant d'abord savoir ce qu'il y avait au plus profond de l'adversaire. C'était une mission difficile, presque impossible. Mais devant les sentiments tiraillés et leur puissance formidable, il était impensable qu'ils restent sans rien faire, à simplement jouer à chat. Tout avait un but après tout, c'était ce qu'il fallait retenir de ce jeu dont ils ne lassaient pas.
Alors à longueur de temps, ils se scrutaient, se regardaient, cherchaient un moyen de savoir ce que l'autre ressentait en secret quand les pulsions de meurtre prenaient le dessus sur leurs raisons. Tout se faisait dans un échange de regard discret que même eux ne devaient pas saisir devant sa furtivité abusive. Ou alors c'était de la timidité un peu trop marquée de la part des deux Némésis qui ne savaient pas vraiment comment il fallait faire quand on se retrouvait amoureux. Mais c'était à se demander qui aurait su quoi faire dans leur situation. Qui s'était déjà retrouvé amoureux de son ennemi mortel dans l'univers ?
Mais c'était à ça que ressemblait leur quotidien. Un mélange de doute, d'angoisse et d'un peu d'espoir malgré tout, c'était à avouer des deux côtés. C'était un jeu douloureux et presque risqué pour eux, s'aventurant dans le territoire inconnu des sentiments et du cœur de l'autre, mais c'était un jeu qui en valait la chandelle : il n'y avait à sa clef qu'une fin heureuse pour les deux amants de la Haine.
Le jeu du chat et de la souris touchait à sa fin.
Izaya avait entraîné Shizuo dans les méandres de la ville. Ils avaient couru pendant une longue heure, terrifiant les habitants de la ville qu'ils avaient, cette fois encore, particulièrement bien amochée. Mais si pour le monde, monstres ou lambda, cet énième combat n'était qu'un combat de plus parmi tous les autres, les deux hommes savaient. Ils savaient que quelque chose avait été différent, plus particulier que les autres fois. Ils ne savaient pas vraiment ce qui avait changé, mais ils l'avaient ressenti jusque dans leurs tripes.
C'était un imperceptible changement dans l'air et dans les regards. Izaya avait saisi la subtilité du moment, voyant son visage se fendre de son sourire moqueur, ce même sourire qui avait tant fait enrager Shizuo. Et si le blond décoloré n'avait pas décidé d'agir à cet instant présent, l'informateur allait sceller le futur proche en réfléchissant à faire de ce moment celui de sa victoire, malgré le doute et la peur qui commençaient à douloureusement lui tirailler le ventre.
Izaya bifurqua soudainement dans une allée donnant sur un mur haut de plusieurs mètres. Rien ne pouvait lui permettre de s'enfuir, pas même une poubelle abandonnée pour s'évader par les airs. On aurait pu le penser condamné en voyant arriver Shizuo dans cette ruelle donnant sur rien, fulminant comme il l'avait rarement fait, babines retroussées pour dévoiler des canines acérées, prêtes à dévorer la peau blafarde d'Izaya. La phase finale du combat de l'éternel venait de s'entamer, malgré cette angoisse qui restait toujours la même . Si l'un venait à mourir, lequel des deux Némésis allait être la victime de la fureur vengeresse qui les dévorait depuis tant d'années maintenant ?
Ils restèrent là, à se fixer, se jauger. Si une seule minute s'était écoulée, c'était une heure entière qui venait de passer pour les deux hommes qui sentaient que le sol se dérobait sous leurs pieds. Ils se regardaient dans les yeux, sachant que l'adversaire avait quelque chose en tête sans savoir quoi exactement. Mais ce qu'ils savaient, c'est que ce moment était unique, que jamais il ne s'était produit avant, et que jamais il n'allait se reproduire. C'était comme si les astres avaient décidé de s'aligner afin de mettre un terme au règne tyrannique du doute qui avait réussi son coup d'État depuis bien trop de temps.
Comme d'un commun accord, Izaya et Shizuo firent un pas vers l'autre. On ne savait plus vraiment si la tension qui se dégageait de la ruelle était une tension de meurtre qui avait envahi l'air il y avait seulement encore quelques secondes, ou une peur grandissante qui se faisait tellement insistante qu'Izaya sentait ses mains trembler légèrement dans les poches de son manteau. L'angoisse montait tellement qu'il s'étranglait en respirant. Izaya avait presque envie de prendre ses jambes à cou de peur de n'avoir droit qu'à la fureur vengeresse qui habitait Shizuo depuis des années. De n'avoir droit qu'à un rejet violent et destructeur.
Izaya soupira. Il refit un pas en avant, tandis que Shizuo ne bougeait pas. D'un mouvement théâtral du revers de la main, il balayait la peur qui l'étouffait. La veine frontale de Shizuo battait un tempo régulier. Un vent froid balaya la ruelle, et si l'on passait par là, on aurait pu se croire dans l'un de ces westerns de mauvaise qualité où le héros fait enfin face au brigand dans un duel de regard tendu, jusqu'à ce que le premier dégaine son arme pour tirer et tuer son adversaire. Shizuo et Izaya étaient dans la même situation, à la différence qu'ils n'étaient ni au far-west, ni des cow-boys endurcis, et qu'ils n'avaient pas le moindre révolver.
Mais même sans armes, l'un des deux allaient devoir dégainer quelque-chose, n'importe quoi, tant que c'était efficace, quitte à avoir un temps de retard et se faire tuer. Izaya se retint de rire. C'était drôle et très stupide comme situation, il fallait vraiment le reconnaître. Qui aurait cru qu'ils se retrouveraient là, comme ça. Ils avaient tous les deux eu milles occasions de se tuer, mais ils ne les avaient pas saisies. Pourquoi ne s'étaient-t-ils pas encore égorgés avec cruauté ? En vérité, ils étaient en train de réaliser que l'un comme l'autre, ils étaient en train de participer au même jeu, et que c'était pour ça qu'ils ne bougeaient pas d'un millimètre, qu'ils n'avaient même pas cherché à entamer le combat finalisant le bal dansant qu'ils venaient de faire.
C'était une déclaration silencieuse, d'une logique à la fois inexistante et terriblement évidente. Shizuo avait saisi, son regard voulait tout dire. Un mélange de surprise, de colère et étrangement, d'amour. C'était assez pour Izaya, assez pour que sa décision soit finale. Il ne pouvait pas passer à côté d'une aussi belle invitation. D'un mouvement aussi élégant que rapide et rieur, il s'élança vers Shizuo lui ouvrir sa boîte de Pandore dont il avait si jalousement gardé le secret pendant de si longues années.
Quand Shizuo sentit les lèvres d'Izaya se coller sur sa joue, il se paralysa dans l'instant. Il l'avait eu, ce signe tant attendu et tant redouté. Le doute s'était définitivement enfui, et la victoire venait de lui glisser entre les doigts. Et tandis qu'Izaya s'échappait du cul de sac où ils s'étaient engouffrés, un doux sourire sur les lèvres, le hurlement dément qui était toujours coincé dans la gorge de Shizuo s'éleva dans le ciel d'Ikebukuro, qui devenait enfin noir. Un hurlement qui trahissait joie, rage et sans aucun doute une fatigue assassine.
Car c'était l'une de ces journées de trop où l'on se dit que si ce n'était pas un avant-goût de la mort, ce n'était qu'une autre façon de mourir.
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