06 - Un obscur éclair

Suzy. Elle pleurait.

À ce moment-là, mon cerveau décida d'arrêter de fonctionner. Je savais très bien que je devais l'aider, en tant qu'adulte, professeur et être humain. Mais j'hésitais quand même. Elle avait caressé le bras de mon petit ami sous mes yeux il y a seulement quelques minutes, et sa façon de me parler, tous les jours, était répugnante. Je n'étais pas obligée de rester lui demander de me raconter ses soucis et sécher ses larmes. Je pouvais juste finir tranquillement mon café, partir, traîner un peu et rentrer chez moi. Sauf qu'il y avait un petit quelque chose qui me forçait à lui adresser la parole pour tenter de la réconforter, même si j'étais fâchée et ne savais pas pourquoi elle était en pleurs. Je ne pensais pas que Bae Suzy aurait pu avoir une quelconque raison de pleurer.

— Hé, murmurai-je en m'approchant d'elle. Ça va ?

Ses sanglots se stoppèrent un instant et elle releva la tête vers moi, les sourcils froncés.

— Ça a l'air d'aller, Prof Lim ? répondit-elle.

Ouais... Sur ce coup-là, je n'avais pas assuré.

— Qu'est-ce qu'il y a, Suzy ? Pourquoi pleures-tu ?

Elle hésita un instant, comme moi quand je m'étais demandé si je devais lui parler, puis finit par cracher le morceau.

— Je... Taecyeon m'a plaquée.

Je ne pus m'empêcher de souffler. J'étais soulagée. Il ne s'était rien passé de grave. Et puis, honnêtement, je trouvais le fait qu'elle verse des larmes pour ce garçon totalement inutile et ridicule. Tout le monde savait qu'ils n'étaient pas réellement en couple, qu'ils étaient ensemble juste parce qu'ils étaient tous les deux parfaits et que tout le monde les voyait bien, en couple. De plus, Suzy avait absolument tout pour être heureuse. Elle n'avait pas à se déshydrater comme ça.
Mon soupir sembla la déranger et elle fronça encore plus les sourcils.

— Pourquoi avez-vous soufflé ? demanda-t-elle sèchement
— Parce que... ben... Je suis soulagée. Je pensais que tu étais blessée, ou quoi et...
— Mais je suis blessée, Prof Lim !
— Voyons, Suzy, ce n'est pas tellement grave... Tu peux avoir tous les garçons que tu veux, de toute façon.
— Ce n'est pas tellement grave ?

Son ton venait de monter d'un cran, et son regard me faisait presque peur. Avais-je dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? N'avais-je pas raison ?

— Qu'est-ce qui serait grave, alors ? Qu'est-ce qu'un vrai problème pour vous, Prof Lim ?
— Mh... Par exemple, être en retard dans le paiement de son loyer ! m'écriai-je presque. Ou ne pouvoir rendre visite à sa famille qu'une seule fois par an parce qu'on habite à dix-mille kilomètres du foyer, ajoutai-je, me mettant à mon tour en colère. Ou, je ne sais pas, ne pas réussir à calmer ses élèves dans leurs moments de folie car on n'est pas assez autoritaire et se réveiller avec une grosse migraine le lendemain ! Ce genre de choses, tu vois. Mais tu ne comprends sûrement pas, vu que tes soucis ne sont que des broutilles, comparés aux miens.
— Que mes soucis ne sont que des broutilles ?! Mais vous voulez dire quoi, par là ?!
— Suzy. On sait toutes les deux que ta vie est très facile. Tu as à peine besoin de faire des efforts.

Le visage de Suzy était complètement rouge, rouge tomate, même rouge piment. J'avais l'impression qu'elle allait exploser à tout moment, et je regrettai presque ce que je venais de dire.

— Comment pouvez-vous dire cela alors que vous ne savez rien de moi ?

Après avoir terminé de prononcer cette phrase, une larme avait coulé le long de sa joue. J'aurais aimé m'excuser, mais ma fierté prit le dessus, et j'ajoutai une couche en transformant notre petite dispute en débat furieux. On aurait pu nous comparer à deux politiciens que tout séparait... Nous nous engueulâmes pendant près d'une demi-heure. Plusieurs passants nous jetaient des regards agacés, mais aucune de nous deux ne cédait.

— Mais Suzy ! criai-je si fort qu'un chiot se retourna vers nous. Regarde-toi ! Tu es belle, intelligente, populaire et riche ! Tu as un tas d'amis et des parents qui sont à tes côtés ! Qu'est-ce que tu veux de plus ?!
Une vie comme la vôtre, professeur ! Une vie où je ne dépendrai plus de mes parents, où je suivrai ma propre voie ! Comme vous ! Vous êtes tellement... Libre !
— Tu le seras aussi, Suzy, et tu verras que ce n'est pas la liberté de tes rêves que tu auras ! Tu es en terminale et tu seras majeure dans quelques mois, alors attends un peu, bon sang. Tu pigeras que la vie de jeune adulte, c'est de la merde.
Non, vous ne comprenez pas ! Même en devenant adulte, je ne pourrai pas m'échapper des griffes de mes parents.
De leurs griffes ?! m'offensai-je. De leurs griffes, Suzy ?! Mais tu ne comprends pas à quel point ils te rendent la vie facile ?! Sans compter le fait que grâce à l'argent de ton père, tu n'auras pas à te casser les pieds à courir d'un job à l'autre pour payer tes études !
— Peut-être, mais ce n'est pas pour autant que je suis la plus heureuse des filles du monde ! Admettez que votre vie est meilleure que la mienne !
— Non, toi ! C'est toi qui devrais admettre que la tienne est meilleure ! Tu n'as pas à te casser le cul une seule putain de minute !
— TU NE COMPRENDS RIEN, JE VEUX TA VIE ! criâmes-nous en même temps.

Suzy et moi nous tûmes tout de suite, nous regardant d'un air ahuri. Notre synchronisation si parfaite nous avait toutes les deux étonnées. Et là, une chose à laquelle ni elle, ni moi nous attendions arriva. Un éclair déchira le beau ciel bleu en deux et foudroya la fontaine, entrant en contact avec l'eau. Cette dernière ne nous toucha pas, mais je sentis mon corps entier s'électrocuter, et ce devait être de même pour Suzy, puisque nous nous écroulâmes au sol au même moment. Un bruit insupportable résonnait dans mes tympans, je sentais mon cerveau fondre, et mon âme s'en aller. Les paupières closes de Suzy furent la dernière chose que je vis avant de m'évanouir.


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