05 - Larmes à la fontaine
Après encore trois heures de cours ennuyants, ma journée se termina, et mes muscles se firent d'un seul coup beaucoup plus lourds. J'étais morte de fatigue, mais, comme à chaque fin de journée, je devais repasser au QG des enseignants. Mr. McKlein, le professeur de géographie, était en train de s'acheter du soda au distributeur pendant que la prof de mathématiques, Mme Liu, s'acharnait sur les copies de ses élèves – la pauvre, on lui avait donné les pires classes de seconde – en tapant nerveusement du pied sous la table ronde et que moi, j'entrais en expirant bruyamment pour signaler que j'étais crevée et qu'il valait mieux ne pas me parler. Deux secondes plus tard, j'avais déjà activé le mode asocial, les écouteurs dans les deux oreilles et complètement plongée dans la lecture des documents que la directrice était passée distribuer juste avant que je n'arrive. Chouette, une réunion des parents dans trois semaines, juste avant les examens... Je ne voyais vraiment pas l'utilité d'en organiser une juste avant les examens plutôt qu'après, mais bon, j'imagine que mon avis importait peu... Je sortis mon agenda de mon vieux sac pour y noter la date de la réunion. En le rangeant, mes yeux dérapèrent vers l'imprimante où je vis Howon, mon Howon, photocopier des feuilles pour Suzy. Pourquoi cette petite avait-elle demandé au prof de sport de lui rendre ce service ? Il lui tendit le bloc étonnamment épais de feuilles qu'elle lui prit des mains en souriant. Elle ne s'en alla pas pour autant, et la conversation se prolongea un peu trop à mon goût. Mes sourcils se froncèrent et je ne pus détacher mon regard d'eux, ce que Suzy remarqua très vite. Dès qu'elle vit mon air sérieux, elle sembla avoir capté quelque chose et avec ce sourire de je-suis-la-princesse-du-lycée, elle posa une main sur le bras musclé de mon copain. Ça ne sembla pas déranger Howon qui souriait angéliquement en répondant aux questions probablement très idiotes de mon élève, mais cette dernière – heureusement pour elle – n'en rajouta pas pour autant et retira sa main de bourgeoise avant de s'en aller en faisant ce mouvement très chiant qui faisait voler ses cheveux. Je décidai de reporter mon attention à autre chose avant que Howon ne se soit rendu compte que je les scrutais (comme des messages datant d'il y avait plusieurs mois qui étaient restés dans mon téléphone, par exemple). Mais je ne pus me retenir de relever les yeux vers lui pour vérifier ce qu'il faisait, mes sourcils étant restés froncés peu importe mes efforts pour paraître plus détendue. Nos regards se croisèrent, il me fit un doux sourire et sortit son propre téléphone de sa poche pour pouvoir communiquer en toute discrétion avec moi.
« Tu es jalouse, chérie ? ». Non, pas le moins du monde, j'étais juste très dérangée par le fait qu'il se laisse faire charmer par une fille si... renardesque. « Tu es sûre ? ». Absolument. « Tu es fâchée contre moi, alors ? ». Oui, je l'étais un peu mais bien sûr, je ne lui avais rien dit. On venait de sortir d'une période de presque deux semaines de crises ménagères alors, si je lui disais que je m'étais énervée contre lui, le pauvre serait parti dormir sur le canapé sans même que je ne le lui dise.« Tu serais fâchée si je te disais que je passerai sûrement la soirée chez Gyu et DongWoo ? ». Cette journée m'avait beaucoup épuisée, alors même s'il était resté à la maison, je lui aurais à peine adressé la parole avant d'aller me coucher. Et puis, ses amis me plaisaient beaucoup, j'adorais les soirées qu'on passait à boire de la bière ensemble. « Tu les aimes beaucoup, genre plus que moi ? ». Seulement s'il aimait Suzy plus que moi. « Idiote. ». Merci beaucoup, chéri. Je lui dis, finalement, que j'allais m'en aller et me dépêcher de boire mon latte aux épices avant de m'évanouir. Il me fit un signe de la main, je lui rendis le salut et sortis enfin du lycée.
Je marchai tranquillement vers le Nine, le café dont je vous avais parlé il n'y a pas très longtemps. Les employés de ce café me connaissaient tellement bien que j'avais à peine besoin de discuter avec eux. Dès qu'il me vit entrer, Mark cria à April de faire mon café. Deux minutes plus tard, je posai trois dollars sur le comptoir, pris ma boisson et saluai quelques connaissances avant de sortir du café. Mon latte encore chaud en main, je marchai quelques mètres de plus jusqu'à arriver au petit parc de notre quartier. Comme à mon habitude, j'allai tout de suite m'asseoir sur la belle fontaine de pierre. Je posai mon gobelet à côté de moi et fermer les yeux, humant la douce odeur des arbres en pleine floraison autour de moi.
J'allais presque tous les jours dans cet endroit. Le parc de Woodbury était tellement propre, joli et bien entretenu que j'étais incapable d'y résister. Parfois, je m'asseyais sur un des bancs en bois et corrigeais les devoirs de mes élèves là. Aussi, je l'aimais parce qu'il me rappelait à chaque fois mon enfance, quand j'étais encore une toute petite princesse et que maman m'emmenait, tous les soirs, jouer dans le parc du quartier.
Ma famille presque toute entière vivait en Corée. Nous habitions une petite maison à Ulsan, à la côte. Mon père était un talentueux pêcheur qui passait ses journées à « chasser », et ma mère vendait ce qu'il avait réussi à saisir au marché. Le soir, nous nous rassemblions dans la terrasse de notre maison, souvent en la présence de mes grands-parents. Ma famille m'a toujours dit que j'étais une fille très intelligente et que je pouvais, en grandissant, avoir un métier d'enfer. Ils ne voulaient pas me voir passer mes journées à nettoyer et vendre des poissons. Alors, quand j'ai eu 16 ans, mon papa, plutôt que de m'envoyer à Séoul où je me serais retrouvée toute seule, a demandé à ma tante Byul de m'accueillir chez elle, aux États-Unis. Elle a accepté et, toute heureuse, je me suis installée dans son énorme appartement à New York. J'ai fait mes études et ai travaillé à mi-temps là-bas, et puis, quand j'ai eu assez d'argent pour me débrouiller toute seule, j'ai déménagé dans le Minnesota, à Woodbury.
Mes proches me manquaient souvent, mais j'essayais de ne pas trop y penser. Une fois par mois, Howon et moi rendions visite à tante Byul et chaque été, nous prenions ensemble l'avion pour aller en Corée : lui à Busan, et moi à Ulsan.
En buvant quelques gorgées de mon café, j'eus la vague impression d'entendre des sanglots. Je jetai un rapide coup d'œil aux enfants qui jouaient dans la pelouse, mais aucun d'entre eux ne pleurait. Et puis, ces sanglots, ils n'avaient franchement pas l'air d'être ceux d'un petit de sept ans. Alors, je me tournai vers ma gauche, ressentant une légère appréhension.
C'était une adolescente aux cheveux bruns, le visage caché entre ses mains, elle aussi, assise sur la fontaine. Elle pleurait. De la tête aux pieds, je la reluquai. Ses vêtements étaient impeccables, visiblement coûteux, et sa voix me sonnait familière. Un instant plus tard, je compris qui était cette jeune fille.
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