Chapitre 26

- ALIX -

Je ne sais combien de temps s'est écoulé lorsque je me relève. Je pourrais regarder sur mon téléphone mais je n'en ai pas la moindre envie.
Tout ce que je sais c'est qu'au bout d'un moment je me suis dressée sur mes deux jambes et me suis placée face au miroir des toilettes pour contempler l'amas de dégâts qui recouvre mon visage. Et c'était pas beau à voir.
Mes yeux sont encore à présent cernés de rouge, mon nez pourrait faire concurrence à celui de Rudolph au niveau de sa couleur, mes lèvres sont complètement gercées et je suis aussi pâle qu'un cachet d'aspirine. Je suis totalement ridicule.
Un instant un rire nerveux secoue mes épaules et celui d'après, des larmes affluent de nouveau dans mes yeux. Je les refoule alors du mieux que je peux et je prends une grande inspiration pour me calmer.
Inspire. Expire.
Je prends de l'eau dans mes mains et me les plaque sans hésiter sur le visage pour tenter de reprendre à peu près forme humaine. Peine perdue si vous voulez mon avis mais je ferais avec.
Puis, j'attrape mon sac, regarde enfin mon portable pour constater que j'ai manqué les deux premières heures et sors des toilettes. Je suis d'ailleurs étonnée qu'on ne soit pas venue me chercher.

J'avance presque à reculon jusqu'à ma salle de physique et je prends une autre grande inspiration avant de poser ma main sur la poignée.
Ensuite je toque de mon autre main et j'entre calmement. Le prof me regarde quelques instants mais ne fait aucun commentaire et me fais signe d'aller m'asseoir. Je baisse la tête et laisse mes yeux se river au sol avant de passer la porte. Puis j'entends les chuchotements. Encore et toujours eux. Mon souffle manque de se couper lorsque j'entends un rire.
J'ai l'impression que des années lumières me séparent encore de ma place. Mon chemin est long et laborieux. Allez ma fille. Un pied devant l'autre. Un pas suivant le précédent.
Je finis par relever légèrement les yeux pour voir combien de mètres me séparent encore de ma chaise - pourquoi me paraît-elle encore si lointaine d'un coup ? - et je croise le regard de Lila, assise à sa table, juste derrière la mienne. Ses yeux me reflètent alors toute son envie de courir vers moi pour me consoler et en quelques centièmes de secondes ils me font aussi retomber sur terre. C'est vrai. Je ne suis pas seule.
Ne les laisse pas t'atteindre. Ne les laisse pas t'atteindre.
Alors, je fais une des choses qui m'a probablement demandé le plus de courage dans ma vie.
Je rassemble toute la fierté qu'il me reste et qu'ils ne m'ôteront jamais et je relève les yeux. Je redresse mon menton puis mon dos. Je ne tremble plus.
Je les regarde tous un par un, droit dans les yeux. Et je leur hurle, je leur hurle silencieusement : "Allez-y ; critiquez moi. Frappez-moi avec vos mots, faites vous plaisir. Vous ne m'abattrez pas comme ça."
Pendant quelques secondes, je peux presque entendre la chanson Titanium de Sia dans mes oreilles et je me dis que c'est exactement ça ; je suis en titane. Ou tout du moins j'essaye de m'en convaincre.
Je remonte alors fièrement l'allée et un instant je croise le regard de Marchal.
Pour la première fois, je peux y lire un soupçon de compassion et peut-être aussi une pointe de respect. Enfin si tant est que je ne l'ai pas imaginé, bien sûr.

- GLENN -

Comment fait-elle ? Comment fait-elle pour me surprendre un peu plus à chaque fois ?
Après un épisode comme celui qu'elle a vécu ce matin elle devrait être en morceaux et chez elle à l'heure qu'il est. Au lieu de ça la miss est assise à sa table, dans une étonnante position de fierté et ses yeux ne quittent le tableau que pour voguer jusqu'à son livre. Et si, par une malencontreuse manœuvre son regard croise celui de quelqu'un d'autre, elle se contente de le fixer jusqu'à ce que la personne détourne les yeux.
Et là je dois bien le reconnaître. J'ai beau être un enfoiré qui déteste perdre ou reconnaître sa défaite, aussi minime soit-elle, je dois bien avouer que cette fille force le respect. N'importe qui d'autre aurait juste abandonné. On dirait presque une sorte de héros suicidaire(*)... En attendant, on peut au moins lui reconnaître que bien que débile, sa présence en cours est quand même courageuse.
Autant la laisser tranquille aujourd'hui ; elle a déjà pris assez cher comme ça.

Le cours se termine ainsi sans encombres ; les chuchotements se sont tus au fur et à mesure que le temps passait et toute la classe semblait alors écouter la leçon du jour. Comme dans n'importe quel bahut, quoi.
Il n'y a qu'à la sortie que tout semble recommencer et reprendre vie comme si on avait mis le reste sur pause le temps d'un demi cours.
En effet, après que le prof soit partit au labo et alors que je sors tranquillement, suivis de près par mes "amis", l'une des filles - que je pense sincèrement rebaptiser Cruella au vu de son teint cadavérique et de sa maigreur presque squelettique - bouscule Alix (qui essaye visiblement de sortir discrètement) en l'insultant copieusement.
Cette dernière se contente alors de lui lancer un regard mauvais en faisant la sourde oreille. Tout du moins en faisant semblant. Car si les autres se laissent prendre au piège et se mettent à l'insulter aussi pour obtenir une réaction de sa part, moi elle n'arrive pas à me duper. Parce que son poing serré qu'elle a rangé dans ses bras croisés, ses dents qui ne se dessèrrerent pas non plus, la tension qui émane de tout son être et enfin ses yeux, ses yeux à la limite de l'orage qui menace à tout instant d'exploser et qui semblent pourtant abriter quelques larmes, sont autant d'indices pour moi que si elle leur hurlait clairement d'arrêter.
Et, pour la première fois de ma vie, je suis pris de pitié. Mais véritablement je veux dire ; je n'ai pas envie d'achever cette personne qui pourtant semble à bout. Ou plutôt, je ne peux pas m'y résoudre.
Parce qu'elle ne mérite pas d'en reprendre une couche sur le dos alors qu'elle semble prête à basculer dans un gouffre.
Alors, pour la première fois depuis longtemps - comprenez par là, TRÈS longtemps - j'interviens et je lâche :
"Bon, c'est bientôt fini vos conneries ? J'ai la dalle là."
Tous mes camarades se retournent d'un seul mouvement et me fixent avec stupéfaction. Même Alix, me regarde totalement choquée que j'interrompe ce qui commençait à ressembler de plus en plus à une forme de torture publique.
"Alors ? je reprends. Vous venez ou pas ? Non parce que j'ai autre chose à foutre là donc soyez mignons tous et insultez la plus tard."
Sur ces derniers mots, je prends un air blasé et je sors tranquillement de la classe tout en sachant parfaitement qu'ils vont me suivre. Malheureusement je sais aussi que je ne vais pas couper à leur fourmillement de questions - et j'en ai déjà mal à la tête d'avance. Et effectivement, ça ne coupe pas puisque dès que nous nous retrouvons dans la queue du self, tous se mettent à m'interroger en même temps.
Ne comprenant rien à leur brouhaha, je me contente de lancer un simple "J'ai faim. J'espère qu'il y aura du pudding." (*2) pour interrompre leur interrogatoire et leur faire comprendre que la discussion est close. Et bien que paraissant réticents au début, tous finissent par se taire et accepter mon mutisme.
Nous mangeons alors dans le silence jusqu'à ce que je termine mon assiette et que je me lève, les laissant derrière sans aucunes explications. Et si j'allais faire une sieste ?

- ALIX -

Après cette interruption pour le moins surprenante, je marche le plus rapidement possible jusqu'à la salle d'art plastique afin d'y manger tranquillement mon déjeuner. Tout le long de mon trajet, de nombreux élèves chuchotent sur mon passage et je peux presque voir le flot de rumeur dont ils parlent tous sortir de leurs bouches alors que je serre les poings, mes ongles s'enfonçant profondément dans ma peau et manquant de l'écorcher bien qu'ils ne soient pas longs. Inspire. Expire.
Ce n'est que lorsque je pénètre dans mon refuge que je desserre lentement les mains.
Inspire. Expire. Lentement. Bien, recommence.
Peu à peu je me calme et finis par m'asseoir sur un tabouret pour picorer mon sandwich plus par besoin que par réelle envie de manger. En effet, mon ventre est noué depuis ce matin et y glisser un peu de nourriture représente un réel défi.
Voyant que je n'arriverai pas à avaler un bout de plus, je jette le reste de mon repas et je retourne m'asseoir sur mon tabouret après l'avoir posé contre un mur. Je mets ensuite les écouteurs de mon mp3 dans mes oreilles et je fais défiler les chansons jusqu'à trouver celle que je veux écouter en boucle ; celle qui me fait sourire même dans les pires moments de ma vie tant elle a bercé mon enfance. Je finis par fredonner doucement la mélodie qui passe en posant ma tête sur mes genoux que j'ai préalablement remontés et je commence à me sentir légèrement mieux au fur et à mesure que le temps défile.
Une image surgit dans mon esprit tandis qu'un vague début de sentiment de bien-être s'installe dans le creux de mon ventre.
J'oublie tout ce qui m'entoure et retourne des années en arrière.

Je suis sous ma couette que j'ai descendu au salon et que j'ai placé de telle sorte qu'elle forme désormais un toit protecteur de cabane au-dessus de ma tête. Je suis en train de regarder la télé et je dois avoir 7 ou 8 ans tout au plus. Puis ma mère rentre dans la pièce et finit par se glisser avec moi sous la couette et nous regardons ensemble le DVD.

Un claquement sonore me fait redescendre sur terre illico presto. Et merde j'ai oublié de fermer la porte. J'ouvre les yeux et me mets automatiquement debout. Et j'ai alors le déplaisir de retrouver ce cher Glenn sur le pas de la porte, semblant à peine surpris de me trouver là.

- GLENN -

Imperceptiblement, je la vois se tendre et me regarder d'un air mauvais. Je lève donc les mains en signe de paix et je lui fais signe d'enlever ses écouteurs qu'elle semble avoir oubliés.
"Qu'est-ce que tu me veux ? crache-t-elle après s'être exécuté avec un soupir d'exaspération.
- Rien de spécial Garcia. Je suis juste venus me reposer un peu. Ça n'a rien à voir avec toi donc tu peux te détendre.
- Ben barre toi alors. C'est déjà pris ici.
Je souffle un long moment en me pinçant l'arrête du nez puis je me rapproche d'elle doucement avant de continuer :
- Écoute, je suis fatigué et je veux juste dormir un peu. Je t'emmerde pas, tu m'emmerdes pas ; en bref, tu te contentes de m'ignorer et je fais pareil de mon côté.
- Rêve. Tu pollues mon espace vital rien que par ta présence, connard. Alors tu bouges tes fesses et tu dégages. Si t'es fatigué, va donc à l'infirmerie.
- Putain la ferme, je lui rétorque en grognant presque. Je te demande pas grand chose ma petite Alix. Je veux juste me poser un peu, dormir ici comme je le fais depuis trois jours et c'est tout. Ni plus ni moins. Alors Tu. Me. Fous. La. Paix."
Et avant qu'elle puisse dire quoique ce soit, je me pose sur une table avant de m'allonger dessus et de placer mon sac pour m'en faire un oreiller. Elle souffle bruyamment et remet ses écouteurs.
Pendant un long moment, aucun de nous ne bouge ni n'émet un bruit - et ça fait du bien, tellement de bien tout ce silence. Je me contente de rester allongé, les yeux fermés, tandis qu'elle reste assise.
Et alors que je commence à m'endormir, j'entends soudain un léger son. J'ouvre discrètement un œil qui tombe sur Alix qui regarde dehors, les yeux dans le vague. Je tends un peu l'oreille et je me rends compte qu'elle est en train de fredonner. Et vu l'air de la mélodie, ça ressemble à quelque chose que je connais. Mais je dois rêver n'est-ce pas ?
Au bout de deux minutes, je me rends compte que non, visiblement je n'hallucine pas.
Je m'approche donc d'elle tout doucement et le plus lentement possible je tire sur son écouteur et le place d'un mouvement rapide dans une de mes oreilles.
Putain c'est bien ça.
Elle met alors trois secondes à réaliser qu'une de ses oreilles n'entend plus rien et sursaute violemment quand elle me retrouve près d'elle. Puis on se fixe pendant au moins trois bonnes minutes avant qu'elle me pousse. De nouveau, on se fixe en silence jusqu'à ce que mon cerveau ait assimilé chaque détail qui lui est parvenu en l'espace de quelques minutes.
Et j'explose de rire. Cette situation est totalement surréaliste. Pas d'un rire nerveux ou même sarcastique mais bel et bien d'un vrai rire. Qui se transforme assez rapidement en fou rire sous le regard étonné d'Alix.

"Le générique de Pokémon ? Sérieusement ? je demande lorsque je suis à peu près calmé.

Elle rougit furieusement avant de pincer ses lèvres et de me regarder droit dans les yeux pour me répondre :

- Ben quoi ? C'est un excellent anti-dépresseur. Tu devrais l'essayer un jour.... Quoique je ne sais pas si ça aura un effet sur ton cerveau atrophié.
- J'essaierai, je dis joyeusement en ne tenant pas compte de sa dernière remarque."

- ALIX -

Pendant quelques instants, Marchal a l'air presque humain. Ses joues sont rouges, ses yeux brillent et un sourire semble scotché sur ses lèvres. Son masque est tombé. Et bien que j'ai envie de le virer d'ici à coups de pieds dans le cul, je me retiens car depuis ce midi quelque chose m'intrigue et j'aimerais tirer au clair cette situation.
Je peux peut-être lui demander de m'expliquer ce qui me taraude depuis toute à l'heure...
"Marchal ?
- Ouaip ? répond-il en se ré-asseyant sur sa table après que j'ai posé mon mp3 sur celle-ci.
- Pourquoi t'as arrêté la dispute dans la classe ?
- Parce que j'avais faim.
- Menteur, je lance sans hésitation parce que je suis sûre qu'il ne s'agit pas uniquement de ça.
- Disons que c'est en partie pour ça alors, corrige-t-il avec un sourire espiègle.
- Pourquoi ? je répète.
Pendant de longues secondes il ne dit rien.
- Pourquoi tu ne m'as pas achevé à ce moment-là ?
Il garde encore le silence quelques instants, comme s'il choisissait avec soin ses mots et dit finalement, en me regardant droit dans les yeux :
- Quel est l'intérêt de frapper quelqu'un qui est déjà à terre ?
- Je ne suis pas encore à terre.
- Peut-être pas définitivement mais bon. T'en as assez pris pour aujourd'hui, non ?
- Et à qui la faute, hein ?
- À mes gentils petits amis. Ce sont eux qui ont eu la brillante idée de cette page... Enfin plutôt de la créer maintenant. Que veux-tu ? Ils cherchent simplement à te détruire rapidement, termine-t-il en remettant le masque du parfait connard égocentrique.
- Alors pourquoi les avoir arrêté ?
Un instant je crois voir son masque se fêler mais j'ai dû rêver.
- Parce que je veux faire durer le jeu ma petite Alix. Tu es la première personne à vraiment te révolter et surtout à tenir. Pour être totalement franc, je veux voir jusqu'où tu vas aller."
C'est plus fort que moi. Je bondis sur mes pieds et j'attrape son col pour finalement articuler d'une voix grondante :
"Je. Ne. Suis. Pas. Ton. Putain. De. Jouet."
Il se contente de sourire sarcastiquement avant que je le lâche et que je quitte la salle.

Finalement, le reste de ma semaine se déroule sans trop d'encombres et je quitte tranquillement la salle de cours à 18h le vendredi. J'attends alors quelques minutes afin que mes camarades aient quitté les lieux pour éviter d'avoir affaire à d'autres chuchotements et je m'en vais à mon tour. Ou plutôt, j'essaye de m'en aller. Car le bras qui me tire en arrière et la main qui m'empêche de hurler n'ont pas vraiment l'air d'accords avec mon objectif. Je tente de résister et donner des coups mais une autre personne attrape mon deuxième bras et me traîne en arrière dans ce que je présume être une salle de classe. Même si pour l'instant elle me paraît plus être la porte qui mène en Enfer qu'autre chose.

(*) Incruste de l'auteur : "Mais si vous savez ; ceux comme Eren dans SnK ou Thomas dans le Labyrinthe. XD
(*2) Incruste 2 : Un gros bisou à celui ou celle qui trouve d'où sort cette réplique. XD

N.d.a : Hey, vous avez remarqué ? J'ai réussi à poster ce chapitre avant la fin de l'année et je n'ai qu'un mois de différence entre mes deux chapitres. Je m'améliore, je m'améliore.
Bref. J'espère qu'il vous a plu et que vous avez passé de joyeuses fêtes de Noël. :3
J'en profite aussi pour vous souhaiter une bonne année et une bonne santé un peu en avance.
Je vous fait aussi plein d'énormes bisous et je vous remercie pour vos votes et vos vues (non mais 65000, c'est... Wouah quoi.).
À la prochaine tout le monde - ou plutôt, à l'année prochaine ; oui, il fallait bien que quelqu'un fasse cette vanne foireuse.
Latte

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