La montre gravée (poème liminaire)

                                                                            À la mémoire de Pierre Bellemare


Écoutez le récit de cette étrange histoire,

Je vous laisse apprécier si vous devez y croire.


Un homme seul un jour, goûteur de monument,

Dans un jardin très vieux promenait un moment.

C'était un de ces parcs dont la rigueur étonne ;

Il faisait un peu chaud, il n'y avait personne.

En se tournant alors, au détour d'un grand buis,

Notre homme voit venir – il en est fort surpris ! –

Une troupe nombreuse et dont l'aspect évoque

Louis Quatorze ou Louis Seize, en costumes d'époque.

Il entend leur langage, un français révolu,

Il pense à des acteurs : c'est ce qu'il a conclu.

Ces gens passant vers lui viennent à sa rencontre.

Ils lui demandent l'heure, il sort sa vieille montre,

Répond qu'il est midi comme à des comédiens

Et, s'adressant à eux avec des mots anciens,

Son allure leur sied car il a leurs manières.

Ils parlent donc un peu, il a l'air de leur plaire.

Sur quoi échangent-ils ? Rien que propos plaisants :

Ils discutent seigneurs, théâtre, paysan

– Notre homme a l'esprit prompt, l'idée rafraîchie –

Comme aux temps fantasmés de quelque monarchie.

Bref ! il fait bon effet, de sorte qu'à la fin,

S'abstenant de parler du fait des rois défunts

Et du sort de leur tête à la Révolution,

S'achève l'entretien par une invitation :

Le soir même une fête – on précise la place –

L'homme accepte, intrigué. La troupe d'acteurs passe.


La nuit vint. L'homme alla aussitôt au lieu dit.

Le logis était vieux, remontant aux édits

De Nante ou de Villiers, mais qu'importe son âge !

Notre homme est bien hardi : il grimpe deux étages,

Sur des bois vermoulus il marche prestement

Jusqu'à atteindre enfin le bon appartement.

La porte lourde est là, un clavecin résonne

À travers le battant ; la musique l'étonne :

C'est qu'on n'avait pas dit qu'il s'agissait d'un bal !

La porte s'ouvre alors : mais c'est un carnaval !

Notre homme est stupéfait, il en tombe des nues !

Son hôte est habillé d'une antique tenue

– Bas blancs. Rubans. Perruque et poudre de gandin –

Tout semblable aux atours qu'il portait aux jardins !

De surcroît l'invité aperçoit des silhouettes

Derrière l'hôte accort, dans les accords de fêtes,

– Cependant que ce sire, en un gothique accueil,

L'incite en se courbant à passer hors du seuil –

Et de celles qu'il voit il craint fort les risées

Car toutes à part lui – toutes ! – sont déguisées !

Et même sur l'époque on s'était mis d'accord :

Tous en habits royaux ! Il aurait fait l'effort,

Si on lui avait dit, de louer un costume !

Devant un tel spectacle il est comme une enclume,

Interdit et stupide. Il se laisse entraîner

Malgré tout au-dedans, cachant qu'il est gêné

Et qu'il se sent intrus, disparate, imbécile :

Son hôte est si pressant, sa façon si subtile

Qu'il est bientôt entré avant qu'il ait dit oui.


Il est tard à présent. Le gala fut inouï.

Notre homme est étourdi des forces rencontrées,

Et tandis qu'en boitant il regagne l'entrée

– Car son état est tel qu'il sait qu'il doit partir :

Ainsi s'éloigne-t-on malgré tous les soupirs ! –

Il repense en riant à cette compagnie

Qu'il quitte avec regret, affection et envie.

Là, que d'aimables gens qui eurent la pudeur

De ne point remarquer, en leurs généreux cœurs,

Sa mise inconvenante et sa coiffure drôle,

Et qui surent rester attachés à leur rôle !

Et tous très singuliers en leurs rires fluets,

Parlant avec clarté, dansant le menuet,

Trouvant toujours les mots les plus plaisants et justes,

Spirituels et bons – mais de manière auguste !

Sachant avec aisance imiter les galants

Dans les airs de musique et d'un commun élan !

Il en est tout brisé, la tête toute pleine,

Le sang bouillant d'ardeur et le souffle hors d'haleine !

Ah ! comme il a goûté à ces précieux amis !

Comme il y pensera quand il sera remis !

Mais il lui faut partir en son humeur confuse ;

Il salue son hôte, un dernier rire fuse,

Le clavecin achève, un autre flambeau luit :

La porte se referme en claquant après lui.


Le silence soudain et la nuit sous la porte.


Pas un bruit. Pas un seul. Et la musique forte

A cessé de passer à travers le battant.

Tout s'est tu. Tout est noir. Et notre homme haletant

Ne comprend rien au vide après tant de puissances.

Il cherche dans sa poche et découvre – malchance ! –

Qu'il a laissé sa montre au milieu du gala.

Il ne peut l'ignorer : c'est une montre – hélas ! –

D'un ouvrage spécial, qui lui vient de son père,

Il y tient comme un bien cent fois héréditaire :

Il lui faut revenir.


                                     Il frappe le panneau.

Abat contre le bois le très sonore anneau :

La porte reste close et tout est immobile !

Alors il pousse en vain une planche indocile :

Rien n'y fait. C'est fermé. Pas un son. Tout est mort.

C'est pourtant incongru d'être enfermé dehors

Alors qu'il a tout juste émigré d'une foule !

Il cogne sans cesser, appelle et ses poings roulent

Sur la porte inflexible et personne ne vient ;

Il y colle l'oreille et il n'y entend rien ;

Dans la fente il ne voit pas la moindre lumière...

C'est trop fort ! Et sa montre ! Il hurle de colère !

Et il perçoit bientôt, arrivant du couloir,

Une très vieille femme en vêtements du soir,

Armée uniquement d'une lampe électrique :

Elle entend bien savoir ce que l'homme fabrique

À l'heure si tardive où les gens sont au lit.

Mais elle tremble un peu, et son grand front pâlit,

Et ses yeux sont inquiets pendant qu'elle questionne.

Il en est tout gêné, il voit qu'il l'impressionne ;

Alors il lui raconte à la jaune lueur

Toute son aventure – et elle a toujours peur.

Est-il fou, répond-elle, à prétendre ces choses ?

S'il désire voler, pourquoi est-ce qu'il n'ose

Dire la vérité ? il s'enfuira après !

Et elle ajoute, au cas où il persisterait

Dans son mensonge odieux, qu'elle est ici concierge,

Et que l'appartement qu'il lui désigne est vierge

Et de plus de cent ans sans le moindre habitant !


Il s'étonne. Il conteste. Il réclame et prétend

Que son histoire est vraie : il la répète même ;

Et sentant à la fin que ce visage blême

À sa fière version donnera toujours tort,

Il en vient à parler de son bijou en or :

« Je l'ai laissé, dit-il en l'ampoule jaunâtre,

Dans un petit salon, sur le rebord de l'âtre :

Il suffit de s'y rendre et pour tout vous prouver

De prendre cet objet : mon nom y est gravé ! »


Et il décrit sa montre, elle veut être sûre,

Se laisse persuader, glisse dans la serrure

Une puissante clé qui pend à son trousseau.

Et ils entrent tous deux.


                                                  C'est comme un long sursaut

Pour lui de rencontrer la place noire et vide.

La vieille avait raison, c'est un constat acide,

Car il n'y a personne et tout est silencieux.

Même, sur le parquet de sombre bois précieux,

Repose sans limite – ô découverte amère ! –

Un égal océan d'une épaisse poussière.


Notre homme éberlué se voit alors vaincu,

Et déjà la concierge en un air convaincu

Tout négativement hoche longtemps la tête...


Mais lui connaît ces murs, refuse la défaite ;

Comme il sait où il est, il marche d'un bon pas,

Traverse sans fléchir l'ancien lieu du repas

Et atteint aussitôt l'antique cheminée.

Là, sous un tas profond que de longues années

Au manteau de poussière ont longuement bâti,

Une forme, un rond dur comme de gris serti,

Enrubanné de cendre, a attendu des ères

Que vienne le chercher son vrai propriétaire !

Alors, sous le regard de la femme témoin,

Il attrape l'objet avec beaucoup de soin,

L'essuie du revers de sa rugueuse manche

Et pendant qu'en la nuit leurs deux têtes se penchent,

Sous le rayon de lampe arrive un spectre d'or :

C'est la montre-gousset ! La montre tourne encor !


Ainsi finit l'histoire.


                                            Il n'y a rien à dire

De plus à tout cela : le récit peut suffire.

Mais s'il est un détail que le lecteur pourrait

Vouloir connaître un peu : c'est que ce conte est vrai !

Et que sous la poussière enlevée à la montre,

Gravé sur le boîtier, voici ce qu'on rencontre

Et que notre homme put enfin apercevoir :

C'est le nom de son père, et ce nom était – War.


Alors voilà pourquoi, ce que les savants disent

Et ce que le bon prêtre affirme en son église,

J'accepte d'y penser – mais je n'y crois pas tant

Qu'aux Anomalies de l'Espace et du Temps.

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